Le 25 juillet dernier, la ministre fédérale de l’immigration Judy Sgro a invité les Églises du Canada à mettre fin à la pratique d’offrir l’asile aux requérants du statut de réfugiés qui sont menacés d’expulsion. À cause de graves lacunes dans le processus canadien d’examen des demandes de refuge, les demandeurs sont menacés d’expulsion sans droit de recours. Ils cherchent alors refuge dans des églises locales qui acceptent de leur garantir l’asile. Le cas Cherfi
La demande de la ministre suit de quelques mois la violation du sanctuaire de l’église unie St-Pierre à Québec le 5 mars dernier qui a permis contourner les lois et d’expulser de force Mohamed Cherfi vers les Etats-Unis. Ce geste politique grave va à l’encontre de toutes les conventions internationales importantes signées par le Canada et qui énumèrent les droits des réfugiés et déplacés. Par son engagement, le Canada a l’obligation, selon le droit international, de ne pas expulser quelqu’un vers la mort, la torture ou la répression.
Le cas de Mohamed Cherfi illustre parfaitement les failles du système canadien de détermination du statut de réfugié. L’absence d’appel a toujours été le défaut le plus important du processus. Le Parlement a reconnu que tout système d’arbitrage est propice aux erreurs. La nouvelle loi sur l’immigration et la protection des réfugiés a prévu un mécanisme d’appel, mais le gouvernement n’a pas mis en vigueur les articles de loi à cet effet. Au Canada, tous les processus décisionnels qui impliquent des droits fondamentaux donnent accès à un mécanisme d’appel, sauf les demandes de statut de réfugié. Depuis l’abolition de la peine capitale, la décision d’accorder ou de refuser le statut de réfugié est la seule décision judiciaire qui peut entraîner la mort de quelqu’un.
Mohamed Cherfi est un objecteur de conscience, qui a refusé de faire le service militaire obligatoire en Algérie, donc de s’impliquer directement dans la sanglante guerre fratricide qui sévit dans son pays. Au Québec, Mohamed Cherfi a pris position publique en faveur des droits des réfugiés algériens au sein du Comité d’action des sans statuts. Ce rôle militant a vraisemblablement entraîné son expulsion précipitée et sa sécurité est maintenant menacée.
À cause des failles béantes de la politique canadienne, les droits fondamentaux des défenseurs des droits de la personnes sont régulièrement bafoués et, parmi les demandeurs refoulés ou expulsés, on rapporte des cas de disparition, torture, emprisonnement arbitraire, exécutions sommaires et autres abus.
Le droit d’asile des églises
Le recours au droit d’asile par les églises est une tradition millénaire liée à la responsabilité morale de protéger la vie. Depuis les temps immémoriaux, des gens ont eu la vie sauve en se réfugiant dans des lieux de culte et cette pratique a été respectée par des dirigeants dans toutes les grandes confessions religieuses. Les régimes politiques ont traditionnellement reconnu les sites religieux comme des lieux symboliques, sacrés et intouchables, même parmi les dictatures les plus brutales et sanguinaires. C’est en quelque sorte comme si un pacte reconnaissant l’autorité morale des structures religieuses quant à la protection de la vie avait toujours été respecté.
Madame la ministre de l’immigration désire que les églises canadiennes rompent ce pacte. Il est à se demander si nous ne sommes pas devant un cas patent d’aveuglement politique teinté d’ignorance. La tradition non-violente du droit d’asile est à l’origine de nombreux progrès dans la condition humaine et est une source de profonde fierté dans « l’histoire de l’Amérique du Nord. Au cours des deux derniers siècles, des centaines de milliers, sinon des millions de personnes doivent la vie à l’existence et au respect de cette tradition.
Pour ne prendre que des exemples plus connus, signalons :
le chemin de fer souterrain (Underground Railroad), un vaste réseau de sanctuaires religieux qui a permis à plus de 30 000 esclaves noirs américains d’accéder la liberté canadienne;
À l’époque où les gouvernements reconnaissaient la femme et les enfants comme propriété du maître de maison, des églises ont servi malgré la loi de sanctuaire temporaire aux femmes et enfants abusés.
En Amérique Centrale , des prisonniers ont fuit la peine de mort et des dizaines de milliers de réfugiés ont été protégés par cette tradition.
Les sanctuaires ont joué un rôle important pour sauver des milliers de juifs de l’holocauste en Europe. Des condamnés à la peine de mort, des contagieux et des possédés (handicapés mentaux) ont également profité des sanctuaires.
aux Etats-Unis, des enfants abusés, que les lois rétrogrades retournent à des pères abuseurs, sont enlevés en collaboration avec leur mère et hébergés dans des sanctuaires: un véritable scandale dans certains États et des religieuses ont fait de la prison pour ces actes.
Madame la ministre, le cas des réfugiés n’est que la forme actuelle de cette réalité millénaire. Tant que les politiques ne seront pas parfaites, nous aurons besoin des sanctuaires.
Le contexte mondial actuel de lutte au terrorisme, de guerres civiles et ethniques, de génocides et de croisades contre les forces du mal nous laisse croire que le mouvement des sanctuaires a encore de belles années devant lui. Nous pouvons rêver que si la communauté internationale était intervenue rapidement au Rwanda et avait mis en place des mesures pour faire respecter les sanctuaires, la situation aurait été toute autre.
Contrairement à ce que vous croyez, loin d’être une menace aux idéaux démocratiques, le sanctuaire est un atout incontestable pour une démocratie. L’idéal démocratique ne sera jamais atteint. La démocratie sera toujours perfectible. Le jour où les politiciens croiront leur système parfait, nous serons à quelques pas de la dictature. La reconnaissance des sanctuaires est l’acte d’humilité suprême de la politique face à la Justice. Le Canada est-il une démocratie assez mature