Désamorcer la combinaison mortelle armes à feu et tendance suicidaire
par Normand Beaudet
La lutte à la violence armée redevient un enjeu de taille pour la population et pour les organisations citoyennes. Le problème n’est pas aussi nouveau qu’on serait porté à le croire cependant, même si son intensification des derniers mois fait penser que nous vivons un climat sans précédent.
Depuis des décennies, des travaux s’effectuent au Canada et aux États-Unis. Suite à la tuerie de l’École polytechnique en décembre 1989, le CRNV a établi des liens avec la Coalition contre la violence armée dont il a souvent utilisé la documentation pour établir son positionnement.
D’importantes conclusions de recherches menées par la Coalition semblent pointer en direction d’une tâche prioritaire précise : désamorcer la combinaison mortelle armes à feu et tendance suicidaire. Des outils d’analyse à la portée des services dédiés à la sécurité publique pourraient d’une part contribuer énormément à la limitation, la réduction et même le contrôle de la possession des armes à feu. D’autre part, la violence suicidaire est un fléau qui rend indispensable une culture préventive qu’il s’agit de renforcer. La tendance au suicide-spectacle de notre époque, souvent précédé par un massacre d’âmes innocentes pour se donner toute l’ampleur voulue, est facilitée par l’omniprésence des armes à feu. Pour ces raisons, l’on ne peut traiter séparément des deux phénomènes qui s’alimentent mutuellement.
Suicide et armes à feu
Le suicide est une crise de santé publique en Amérique. Elle n’a cessé d’augmenter au cours de la dernière décennie malgré un petit répit entre 2018 et 2019. Le suicide (quelle qu’en soit la méthode) continue d’être la 10e cause de décès dans le pays, et les armes à feu continuent de représenter la moitié de tous les suicides.
Il est aisé de démontrer que l’accès aux armes à feu augmente le risque de suicide, que l’accès à une arme à feu à la maison multiplie par plus de trois les risques de suicide et que leur disponibilité rend les tentatives de suicide plus meurtrières.
Autrement dit, quand les armes à feu ne sont pas disponibles, la personne à risque de suicide est beaucoup plus susceptible de survivre même si elle tente d’utiliser une autre méthode : retarder une tentative de suicide peut permettre également aux crises suicidaires de passer et réduire leurs effets mortels. En mettant du temps et de l’espace entre une personne susceptible de tenter de se suicider et des moyens létaux, en particulier les armes à feu – augmente les chances qu’elle survive à une tentative de suicide; en offrant des opportunités pour intervention et réduction des risques, les crises suicidaires culminent assez rapidement pour de nombreuses personnes. Par contre, l’utilisation d’une arme à feu lors d’une tentative de suicide signifie souvent qu’il n’y a pas de seconde chance.
Les armes à feu augmentent le risque de suicide pour toute personne vivant à la maison, y compris les enfants. Une étude récente a révélé que la possession d’armes à feu à la maison était le meilleur prédicteur du suicide chez les jeunes. Pour chaque augmentation de 10 points de pourcentage du nombre estimé de possessions d’armes à feu dans les ménages, le taux de suicide chez les jeunes âgés de 14 à 19 ans a augmenté de près de 27 %.
S’assurer qu’une personne à risque n’a pas accès à une arme à feu peut souvent faire la différence. Les armes à feu et le suicide sont une combinaison mortelle; bien que le fait d’avoir une arme à feu ne rende pas une personne plus suicidaire, l’accès à des armes à feu augmente le risque qu’une personne meure par suicide si elle tente de le faire.
Aussi, un lien mérite d’être fait entre violence domestique et armes à feu. Près d’une femme sur quatre et un homme sur sept subiront, au cours de leur vie, de graves violences physiques de la part de leur partenaire intime. Heureusement, la plupart des victimes de violence domestique survivent. Mais beaucoup trop ne le font pas. Les armes à feu contribuent de manière significative à la violence domestique – menacer, contraindre, contrôler et tuer. Plus de la moitié de tous les homicides entre partenaires intimes sont commis avec des armes à feu.
D’autre part, nous avons déjà relevé le lien qui, sûrement, existe entre la tendance suicidaire et les tueries de masse. Une des affirmations que nous faisions suite aux attaques de la dernière décennie (les attaques à St-Jean-sur-Richelieu, au parlement à Ottawa, les tueries à Charlie Hebdo et dans une épicerie en pleine capitale française, etc.) était que la majorité des actes meurtriers à l’arme à feu étaient souvent des effets de crises suicidaires, déguisées ou mises à la sauce du jour, c’est-à-dire adaptée au monde de la cyber-communication. L’individu souffrant réalise le fort potentiel médiatique d’un tel geste meurtrier. Il perçoit l’acte comme un moment vengeur qui, en plus, fera en sorte que les récriminations qu’il associe à sa crise soient largement diffusées.