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Vers une théorie de la révolution non-violente

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Extrait de l’ouvrage: Manuel CERVERA-MARZAL (2011), Vers une théorie de la révolution non-violente, Revue de philosophie politique de l’UL, numéro 4: 164-184.

Pour accéder à l’ouvrage complet, veuillez cliquer sur Vers une théorie de la révolution non-violente

On peut aborder la question de la « révolution non-violente » d’au moins deux manières. Soit, en mettant l’accent sur le second terme de l’expression, on s’interroge sur la nature « politique » de la non-violence : est-elle réactionnaire (bourgeoise, disait Fanon), réformiste (comme le soutient Rawls) ou révolutionnaire ? Soit, en nous focalisant à l’inverse sur le premier des deux termes, la question devient : étant entendu que tout ou presque a déjà été dit et expérimenté du côté de la version « violente » de la révolution, une révolution non-violente est-elle historiquement possible, théoriquement concevable et, le cas échéant, quel sens donner à cette notion et quelles sont les caractéristiques de ce phénomène ? Tel est le problème que cet article souhaiterait éclaircir.

La conception dominante veut que la violence soit un phénomène inhérent à tout processus révolutionnaire. Charles Tilly inclut la violence dans sa définition de la révolution. Mais avant lui Mao annonçait déjà que cette dernière ne serait pas un dîner de gala. Pour le citoyen ordinaire comme pour le chercheur en sciences sociales, violence et révolution sont indissociables. Leur lien a beau être morganatique, il ne saurait être rompu. Mais cette évidence – comme toute évidence d’ailleurs – doit être questionnée. Alain Rey, linguiste et lexicographe, nous rappelle que si la révolution est histoire, le mot « révolution » a lui aussi son histoire. L’événement de 1789 est le grand repère symbolique qui modifie les conditions de l’emploi de ce vocable et les contenus du signifiant. La Révolution française a significativement contribué à donner au terme de « révolution » la dimension violente, brutale et sanguinaire qu’on lui adjoint généralement aujourd’hui. En Angleterre et en Russie, le déclenchement de la guerre civile en 1643 par les Têtes rondes de Cromwell et le renversement du Tsar en 1917 ont joué le même rôle que 1789 pour les Français. Le caractère historique du lien symbolique entre violence et révolution a pour effet d’ouvrir à la possibilité de rompre cette alliance. Mais, bien plus encore, l’histoire du XXe siècle a donné naissance à une nouvelle forme de révolutions, qualitativement différente du modèle jacobinbolchévique. Le fait que, lors des quarante dernières années, cinquante des soixante sept renversements de régimes autoritaires aient abouti grâce à la résistance civile non-violente impose de redéfinir la notion de révolution en la détachant de celle de violence. Les chercheurs en science politique – hormis quelques-uns, parmi lesquels Gene Sharp aux États-Unis, Timothy Garton Ash en Angleterre, Etienne Balibar et Hourya Bentouhami en France – n’ont pas encore pris la mesure de cette tâche. C’est sur Martin Luther King lui-même qu’il faut nous focaliser puisqu’il est, à nos yeux, le véritable initiateur de l’idée de « révolution non-violente », comme en témoigne l’ouvrage éponyme traduit en français en 1963. Cependant, avant d’explorer plus en détails la conception kingienne de la révolution et le dispositif conceptuel dans lequel elle s’insère, nous souhaiterions présenter et discuter les élaborations théoriques des quatre chercheurs mentionnés à l’instant. Les contributions scientifiques à la notion de « révolution non-violente » sont trop rares pour que nous nous permettions de ne pas les mentionner.