Aller au contenu
Accueil » Taux de suicide en augmentation?

Taux de suicide en augmentation?

Par 

Écrit par Normand Beaudet

« En 1996, 1 463 personnes sont décédées par suicide au Québec. Sur ce nombre, 1 136 étaient des hommes, soit près de 80 % de l’ensemble des décès par suicide.

« Le taux de suicide global dissimule le fait qu’il s’agit d’un problème touchant plus durement les hommes. En effet, le taux s’élève à 30,7 par 100 000, contre 7,8 chez les femmes. Chez eux, la situation se détériore dans tous les groupes d’âge, mais de façon plus marquée chez les 15 à 19 ans et les 30 à 49 ans. Ces derniers représentent la tranche de la population la plus durement touchée, la moitié des décès par suicide leur incombant. »

Le désespoir chez les hommes adultes au Québec. Vous êtes dans la jeune quarantaine, un homme de race blanche au Québec. Il ne serait donc pas surprenant que, comme moi, vous connaissiez au moins une demi-douzaine de personnes de votre âge qui ont commis un suicide. En ce qui me concerne le suicide a touché des amis, des anciens collègues, un membre de la famille, en tout, une demi-douzaine de jeunes hommes. Je ne suis donc pas surpris par les statistiques accablantes de 30 suicides par 100 000 individus chez les hommes, dont 47 % chez les hommes entre 30 et 49 ans, statistiques qui placent le Québec en tête des pays industrialisés.

Une entrevue télédiffusée avec le responsable d’un centre de recherche sur le suicide et la mort assistée à Montréal m’a frappée. L’entrevue avec le chercheur m’a en fait renversé. Le dialogue s’est contenté de souligner que les causes du suicide étaient complexes, sociales, psychologiques et autres. Un des facteurs dominant serait un trait culturel lié au fait que les hommes ne demandent pas d’aide. On souligne le fait que les franco-canadiens seraient plus touchés. Le suicide serait un comportement qu’on accepte trop. Pas plus de détails sur les causes.

Puis, sans connaître les causes, on passe à la liste des moyens qui pourraient être mis en oeuvre pour prévenir le suicide. Le nombre de comprimés dans les bouteilles de médicaments devrait être réduit et les médicaments mieux contrôlés. On parle d’appareil pour couper le moteur d’automobile quand le niveau de gaz toxique augmente dans la cabine, de l’augmentation des contraintes sur les armes à feu ou encore de la pause de barrières anti-suicide sur les ponts. Selon l’intervenant, nous devrions devenir créatif quant aux moyens mis en oeuvre pour prévenir. Bien sûr, certains de ces moyens peuvent servir.

Serait-il possible cependant que ce spécialiste soit complètement dans le champ, qu’il n’ait pas compris?

Nous savons que le suicide est un geste de désespoir, une violence ultime contre soi-même. On identifie une croissance du taux de suicides depuis les années 70. Nous devrions nous demander ce qui a pu causer tant de désespoir chez tant d’hommes depuis le début des années 70. Peut-être ainsi serions nous face à des pistes? Le début des années 70 correspond à la fin de la révolution tranquille qui a construit l’État québécois et favoriser la modernisation de la société québécoise tout en encadrant le monde du travail et en transformant en profondeur l’éducation. Tous les espoirs étaient permis à la génération de l’après baby boom. Si on se fiait à nos parents, les emplois à temps plein, garantis à vie et dans de multiples domaines diversifiés et palpitants étaient possibles. Nous avons été conditionnés et orientés vers les études supérieures hautement spécialisées, avec promesse de réussite plus que probable. Peut-être même, avec la société du loisir comme horizon.

Subitement, au cours de la dernière moitié des années 70, mais encore plus au début des années 80, le contexte du travail s’est
transformé. La crise économique a frappé et les gouvernements, endettés, ont cessé d’embaucher. Les entreprises du Québec Inc. ont aussi cessé d’embaucher pour des postes permanents passant à la sous-traitance. Les balises syndicales étaient bien établies et l’objet des luttes s’est orienté vers la protection des acquis et l’encadrement des conventions. Des programmes de discrimination positive pour les femmes, les autochtones, les handicapés et les gens d’origine ethnique sont apparus. Pour les hommes blancs et en santé, l’accès au travail autre que précaire est devenu l’exception. Juste retour des choses, diront certains. Ne vous surprenez pas, par contre, de l’augmentation des taux de désespoir.

En quelques années, une décennie environ, les gars de la génération X sont passés d’une perspective de vie où tous les espoirs étaient permis, à un contexte de vie où, pour souhaiter avoir un emploi garanti et stable offrant de bonnes conditions, il faut que tous les astres soient bien alignés. Il faut en premier lieu être qualifié dans le domaine très précis qui nous intéresse, que dans ce domaine d’activité on embauche encore, que l’emploi soit dans un cadre syndiqué et surtout que ce cadre offre aux nouveaux syndiqués les mêmes conditions qui sont offertes aux anciens. Si toutes ces conditions sont réunies, vous avez de la chance. Dans la plupart des cas, toutefois, ces conditions n’ont pas été réunies. La seule issue fut de s’adapter à une vie de petites jobs, de contractuel, de chômage, de sous-traitant de programmes gouvernementaux, de formations intensives supplémentaires
ou de BS. Ces hommes ont été forcés d’oublier les REER, la retraite et tout ce qui accompagne ce modèle de vie. Un contexte tout à fait québécois vous en conviendrez.

A ma connaissance, très peu ont accepté de renoncer à ce modèle de vie qui reste l’inaccessible idéal de bien des hommes qui
franchissent maintenant le cap de la quarantaine. Plusieurs n’acceptent pas de mettre une croix sur ces rêves et naviguent de déceptions professionnelles en déceptions amoureuses et sociales jusqu’à la crise. Certaines entreprises ont odieusement capitalisé sur ce rêve pour leur vendre des REER : Liberté 55, ça vous dit quelque chose?? Entre suicide, faible taux de naissance, violence conjugale, abus de médicaments et dépression, il n’y a que quelques pas. Un cocktail encore plus explosif si on est homosexuel, ou si l’État nous retire la garde des enfants et impose une allocation bien entendu.

C’est dans ce contexte, à mon avis, qu’on doit évaluer le suicide chez les hommes. Et, malheureusement, on est loin d’être sorti du bois. De nombreux jeunes ont maintenant eu comme modèles des hommes hantés par le désespoir qui sont passés à l’acte. Le gouvernement Charest annonce présentement la coupure de 16 000 poste par attrition dans la fonction publique québécoise et l’accélération de la sous-traitance. L’ère Martin semble s’annoncer dans un contexte de désengagement de l’État. Les exigences en terme de formation et de compétence sont de plus en plus pointues pour obtenir des postes, et les entreprises refusent de mettre en place des structures de formations au travail. L’accès à des conditions d’emplois protégées et à plus de quelques dollars au dessus du salaire minimum est à toutes fins pratique disparu. Tous devraient devenir entrepreneurs, travailler en usine ou dans la construction pour assurer leur avenir.

Les causes du suicide sont donc principalement sociales, politiques et économiques. Refuser cette réalité, c’est jouer à l’autruche.