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Résistance anticapitaliste et altermondialiste au Québec : l’Opération SalAMI

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Écrit par Laurence Guénette

En mai 1998, la conférence de Montréal réunit des représentant-E-s des pays membres de l’OCDE pour discuter de l’AMI, l’Accord multilatéral d’investissement. Pour la modique somme de 1000$ chacun, les quelques 500 participants de la conférence tenue à l’hôtel Sheraton allaient apprendre et discuter les détails de l’AMI, un classique du modèle néolibéral, qui prévoyait accorder plus de libertés et de pouvoirs aux entreprises multinationales afin de favoriser les échanges. L’AMI s’est préparé discrètement, sans que les populations d’aucun des pays concernés ne soient informées ou consultées. Au moment où une fuite a forcé son dévoilement, le texte de l’AMI était prêt à 90% !

Ici comme ailleurs, la résistance s’organisa rapidement. Au Québec, elle prit forme sous l’Opération SalAMI, qui avait pour objectif non seulement de perturber et contrer l’adoption de l’AMI par une élite politique sans scrupules, mais aussi d’éduquer la population, de la mobiliser et de soulever les questions sociales liées au capitalisme mondialisé dans les médias de masse. À l’époque, bien que l’ALENA fut déjà en vigueur et que de nombreuses populations en ressentent déjà les effets, il reste que pour la majorité des Nord-Américains, la « mondialisation » était une notion encore vague aux conséquences assez abstraites.

« C’est à un véritable changement de civilisation que ce traité nous conduit. Nous passons du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes au droit des investisseurs à disposer des peuples ». (appel du groupe de résistance à l’AMI en France, 1998).

Le 25 mai 1998, jour de la Conférence de Montréal, près de 200 militant-E-s bloquèrent dès le matin les accès de l’hôtel Sheraton, pendant que quelques autres centaines de manifestant-E-s les appuyaient. Ils et elles exigeaient « le retrait pur et simple du Canada des négociations de l’OCDE sur l’AMI, et que le Canada et le Québec refusent de négocier et s’opposent à tout nouvel accord ayant pour effet de subordonner, ici ou ailleurs, les droits humains, sociaux, culturels et environnementaux aux intérêts des investisseurs et des multinationales. » Le blocage dura au total 5 heures, dont autant d’heures de retard pour ladite Conférence, et se solda par 99 arrestations et accusations criminelles. Les participant-E-s s’y attendaient; cette arrestation de masse largement médiatisée faisait partie de leur plan de désobéissance. Ainsi, aucun-E n’a résisté à son arrestation, mais il convient de mentionner que plusieurs ont été brutalisé-E-s, détenu-E-s de façon arbitraire pendant plus de 24 heures, y compris des personnes mineures.

Opération Salami, mai 1998
Opération Salami, mai 1998

84 des accusé-E-s ont subi un procès collectif, lequel fut l’objet de beaucoup d’amusement de la part des accusé-E-s et fit couler beaucoup d’encre dans les médias. Les 84 « criminels » arrivèrent en Cour bâillonné-E-s avec des dollars américains, et plaidèrent la nécessité; la nécessité d’entreprendre une action d’éclat devant la menace de l’AMI, une catastrophe dont la population n’entendrait pas parler autrement. Les articles parus suite à ce procès-spectacle racontent comment la défense, entre autres Jaggi Singh qui se représentait lui-même, contre-interrogeait les policiers qui témoignaient en les forçant à répéter des slogans ou des pancartes des manifestant-E-s. L’audience présente au procès et les co-accusé-E-s se tordaient de rire en entendant ces policiers répéter « L’AMI non! Aucune hésitation! ». Le procès pris fin environ un an plus tard avec la condamnation des participant-E-s à effectuer quelques heures de travaux communautaires.

L’opération SalAMI a été une action de désobéissance civile nonviolente remarquablement pertinente. La préparation des participant-E-s, leurs modes de fonctionnement affinitaire et les principes adoptés par les participant-E-s contribua non seulement à l’action elle-même, mais aussi à forger une culture militante riche chez de nombreuses personne. Si les enjeux qui étaient à l’origine de cette résistance sont toujours d’actualité, il est tout de même possible de dire que cette campagne fut un succès. La couverture de l’événement par les médias fut importante, et força dans ces mêmes médias un espace pour la critique du néolibéralisme; les détracteurs de l’AMI avaient dorénavant une voix, y compris une chronique hebdomadaire à la radio durant la période entre l’action et le procès. Opération SalAMI allait aussi donner le ton dans les franges progressistes de la société pour la suite de cette lutte, notamment celle en marge du Sommet des Amériques d’avril 2001 à Québec.

 Extraits choisis du journal de mob Opération SalAMI, mai 1998 :

« L’Opération Salami se déroulera selon 3 principes:

La transparence : Ses stratégies se conçoivent en fonction d’actions publiques et ouvertes, dont le succès ne saurait dépendre du secret. Malgré une politique de non-coopération avec les forces répressives, le défi que nous posons aux autorités n’a pas besoin de miser sur l’élément de surprise, élément de toute façon bien difficile à garantir avec les moyens actuels de surveillance.

La nonviolence : L’opération Salami a pour principe de respecter en tout temps la personne humaine et les valeurs de justice et d’égalité. Dans cette action, nous ne cherchons pas à porter atteinte à l’intégrité physique ou morale de nos opposants, même si ceux-ci devaient user de répression ou de brutalité. Nous cherchons ainsi à maximiser la clarté politique et l’impact social de notre action. Si nous ne sommes pas nécessairement tous et toutes pacifistes, nous nous entendons cependant sur la pertinence et la valeur tactique de la nonviolence sur le terrain de cette action ».

La formation : L’opération SalAMI demande à quiconque participera physiquement au blocage de prendre part à une session de formation préalable à la résistance civile. La formation est un élément essentiel à la démocratisation des actions et à la consolidation du mouvement de résistance. »

Le Comité femmes SalAMI; un effort pour « démontrer que la résistance non violente radicale n’a de sens que si elle prend en compte la violence la plus sournoise et la plus banalisée, celle faite aux femmes. »

Dans des mouvements de lutte et de résistance, les féministes font encore aujourd’hui l’expérience de relations d’oppression et de différenciation des genres. Si l’on pourrait s’attendre à ce que le milieu militant soit plus sensible et prudent face à ces questions, les habitudes construites sont si bien encrées (chez les hommes comme chez les femmes!) que le travail de libération est constant.

Dans l’Opération SalAMI, une approche féministe radicale prenait tout son sens, non seulement pour créer des dynamiques libérées de toute oppression parmi les participant-E-s, mais aussi pour rappeler que la mondialisation néolibérale s’effectuait sur le dos des peuples en général, et sur le dos des femmes en particulier! Les féministes de l’Opération SalAMI créèrent donc un comité femmes qui évolua dans l’analyse et la pratique féministe et perdura au-delà de l’action de 1998. Le groupe affinitaire féministe, autonome et anarchiste devint plus tard « Némésis » (déesse de la colère) et allait en effet continuer son combat plusieurs années durant.