Lorsque recherche et militance sont confondus.
L’alphabet d’une révolution
Vous serez certainement surpris d’apprendre que Gene Sharp, un professeur américain discret, modeste, de 83 ans est le maître à penser de la révolution non violente qui secoue présentement le monde. Son livre controversé, « De la dictature à la démocratie », a traversé clandestinement les frontières et les révolutionnaires se le passent de main en main, sous le nez des polices secrètes du monde entier. Que ce soit en Serbie, en Ukraine, en Égypte ou en Syrie, les écrits de Gene Sharp alimentent une vague de changements démocratiques profonds que personne ne peut arrêter.
Voir:
www.tou.tv/l-alphabet-d-une-revolution
http://www.dailymotion.com/video/xxjya4_gene-sharp-l-alphabet-d-une-revolution_news
Son approche pragmatique, son effort continu à promouvoir les moyens non-violents de lutte populaire, et son travail acharné pour en définir les concepts clé et les diffuser dans de nombreuses langues en on fait, pour certain, un militant. Ne se contentant pas de faire de la recherche et de la publier dans les grandes publications scientifiques; il a privilégié la création d’un Institut sans but lucratif, publiant ses propres brochures et les diffusant par ses propres moyens. Plusieurs institutions on longtemps perçu son travail comme marginal, et ses recherches comme ne faisant pas partie des priorités académiques traditionnelles. En ce sens, Sharp est un intellectuel anarchiste, autonomiste.
Des idées simples, mais analysées en profondeur.
Pour Sharp, résister à l’oppression est une affaire collective, le pouvoir politique repose sur le consentement des populations. Si les populations et les structures sociales et politiques qu’elles soutiennent retirent leur consentement et se mettent à résister; le pouvoir politique s’effondre comme un château de cartes. Pour Sharp, dans une telle dynamique, la violence est futile pour deux raisons, les états ont le monopole de la violence, et le recours à la violence confond les enjeux et limite l’adhésion des masses.
Il n’est pas nécessaire d’avoir étudié en profondeur les écrits de Gene Sharp, de Henry David Thoreau ou de Mohandas K. Gandhi pour savoir désobéir, et comprendre la futilité de la violence. Les enfants en bas âge et beaucoup de jeunes adultes sont naturellement très doués pour refuser d’obéir et de coopérer avec les adultes. Le déséquilibre des forces impose à l’enfant et aux jeunes une créativité, et elle s’avère souvent redoutablement efficace. C’est là un phénomène que notre société connaît bien, comme l’illustre le vieux proverbe, « on peut mener un cheval à l’abreuvoir mais on ne peut le forcer à boire ». Sharp a simplement poussé plus loin cette logique.
Il a compris que la capacité de désobéir et de refuser toute coopération politique est tout simplement inscrite dans notre tendance naturelle à nous rebeller quand cela nous chante. Les moyens de rébellions sont nombreux, et il a fait dans les années 70, un inventaire de 198 moyens de lutte non-violents. La non-coopération et la désobéissance non-violente ne viennent pas nécessairement d’une compréhension approfondie de la politique, de l’acceptation de certains préceptes religieux, ou de l’accession à un niveau supérieur de développement moral; Sharp a documenté que dans un grand nombre de situation des société ont utilisé les principes de désobéissance efficacement, lorsqu’un niveau d’indignation populaire est atteint. Lorsqu’elle est le fait d’une foule de gens agissant collectivement au nom d’une cause en laquelle ils croient, cette désobéissance devient une arme, parce qu’elle correspond à une compréhension de la nature fondamentale du pouvoir politique.
L’Institut Albert Einstein est indissociable de son créateur Gene Sharp qui est le plus grand penseur des résistances civiles de masse. Il en a fait un lieu pour l’élaboration de véritables stratégies capables de rivaliser avec les plus grandes forces militaires.
Bien entendu, les idées de Sharp plaisent à des mouvements qui revendiquent le changement social. Ces mêmes idées déplaisent aux régimes politiques autoritaires et à ceux qui les appuient. On ne doit pas oublier que les révoltes populaires non-violente ont entrîanées la chutes de nombreux régimes autoritaire dont celle de l’URSS; ce qui déplaît à de nombreux fervents communistes, ou disons staliniens en faveur d’une forme de capitalisme d’État. Difficile de produire des théories sur les mécanismes de pouvoir politique, de les diffuser aux mouvements intéressés; et de s’attendre à faire l’unanimité. Mais, en bout de ligne, on ne peut que difficilement s’opposer à l’approfondissement des connaissances sur le pouvoir populaire et à leur diffusion.
Voici une citation qui synthétise assez bien les découvertes de Sharp…
« Si la minorité au pouvoir est unie et bien organisée, tandis que la majorité gouvernée est divisée et n’a pas d’organisation autonome; cette population est en général faible et incapable d’opposition collective. On peut prendre les individus un par un, et les neutraliser. Pour être efficace, l’action politique a besoin d’une résistance et d’une attitude de défi collectif. Les sources du pouvoir des gouvernants ne sont vraiment menacées que si l’aide, la coopération et l’obéissance leur sont refusées par un grand nombre d’individus à la fois, regroupés dans des organisations et institutions sociales. » -Gene Sharp
Mieux saisir les assises théoriques des travaux du chercheur:
LA FORCE SANS LA VIOLENCE
http://www.aeinstein.org/wp-content/uploads/2013/09/TARA_French.pdf
Informations utiles sur Gene Sharp provenant de :
www.irenees.net/bdf_fiche-acteurs-152_fr.html
Gene Sharp, Docteur en philosophie (Oxford), est Chercheur Principal à l’Institut Albert Einstein de Boston, Massachusetts. Il est titulaire d’une licence et d’une maîtrise de l’Université d’État de l’Ohio, et Docteur en philosophie des sciences politiques de l’Université d’Oxford. Il est aussi professeur émérite de sciences politiques, à l’Université de Dartmouth, Massachusetts. Il a été chercheur pendant près de trente ans au Centre des Affaires Internationales de l’Université de Harvard. Il a écrit divers ouvrages, dont The Politics of Nonviolent Action (1973), Gandhi as a Political Strategist (1979), Social Power and Political Freedom (1980), Making Europe Unconquerable (1985), Civilian-Based Defense (1990) version française La Guerre Civilisée (PUG, 1995), From Dictatorship to Democracy (1993 and 2002), et Waging Nonviolent Struggle: Twentieth Century Practice and Twenty-First Century Potential (2005). Ses ouvrages ont été traduits en plus de trente langues.
L’Institut Albert Einstein a pour mission de faire progresser au niveau international l’étude et l’utilisation stratégique de l’action non violente lors des conflits. L’institution se consacre à défendre les libertés et institutions démocratiques; s’opposer à l’oppression, à la dictature et au génocide et diminuer le recours à la violence comme instrument politique
Cette mission suit trois axes encourager la recherche et les études politiques sur les méthodes d’action non violente et leur utilisation lors de divers conflits antérieurs; partager les résultats de cette recherche avec le public, par des publications, conférences et par les médias et explorer avec les groupes en conflit le potentiel stratégique de l’action non violente.
Cet organisme de recherche a été créé par Gene Sharp en 1983 à Harvard. Il a fait travailler de nombreux chercheurs de l’Université de Harvard et est rapidement devenu l’un des centres de la recherche mondiale en matière de résistance civile de masse (ou Défense basée sur les civils). Après l’effondrement du communisme, la plupart des chercheurs des autres pays cessèrent cette recherche car l’hypothèse d’une défense de l’Europe par résistance des civils devenait sans objet. Par contre, l’Albert Einstein Institution conserva cet axe d’activité de manière principale, et bien lui en pris car les résistances de masse sont de plus en plus utilisées dans le monde et avec succès.
Par l’étude approfondie de l’Histoire, Gene Sharp connaît particulièrement bien les résistances passées, leurs difficultés et leurs réussites. Par l’étude des formes d’action, il est devenu le spécialiste de l’action non-violente qui constitue la base de toute résistance, à la fois son pilier et son unité d’action. Par l’étude de la stratégie, il a permis à cette discipline d’atteindre la hauteur qui lui permet de rivaliser sans difficulté avec les stratégies militaires les plus puissantes.
Il a partagé le résultat de ses travaux dans de nombreuses publications traduites en plus de trente langues étrangères. Il a donné des consultations auprès de mouvements démocratiques de Taiwan, Birmanie, Pays Baltes, Thaïlande, Tibet, Serbie, Venezuela et Bielorussie…
On a beaucoup parlé de lui dans la presse depuis les évènements de Serbie, de Géorgie, d’Ukraine et de Kirghizie. Il est maintenant reconnu comme le théoricien des résistances non violentes, de la défense par actions civiles (ou défense basée sur les civils). Gene Sharp est quelqu’un de pragmatique, qui parle peu mais avec un solide bon sens. Son apport à la paix est maintenant considérable. Son nom fera date dans l’histoire. Il mérite sans conteste l’un des prochains Prix Nobel de la Paix.