Par Normand Beaudet
L’avancée des forces paramilitaires et la pression des États-Unis, de la France et du Canada ont porté l’estocade finale au gouvernement de Jean-Bertrand Aristide qui a dû s’enfuir à destination de la République centrafricaine le 29 février. Dès le début de mars, le Comité pour les droits humains des travailleurs haïtiens en République Dominicaine demande un avis au Centre de ressources sur la non-violence, sur une position constructive à prendre dans le contexte. Le Centre n’avait que quelques heures pour réagir. Voici la position remise qui a été très bien reçue.
Contexte
La violence sous quelque forme que ce soit, n’est pas une approche acceptable dans une société qui se veut civilisée. Or, dans la société haïtienne actuelle « il est de plus en plus convenu que la seule réponse à donner à une situation politique conflictuelle est de renverser un gouvernement élu pour le remplacer par un autre. » qui répond d’avantage aux intérêts d’une population aux détriments d’une autre. Une telle situation se vit toujours dans la violence qui, par définition, est une contrainte exercée sur un groupe de personnes par la force ou l’intimidation, sans son consentement.
L’histoire d’Haïti dresse un portrait rempli d’événements violents se succédant les uns après les autres. Un tel vécu génère chez les populations qui le subissent un fort sentiment d’impuissance, qui se transforme souvent en actes désespérés de violence. La société haïtienne en soi n’est pas une société violente, mais les conditions dans lesquelles elle vit font en sorte qu’elle réagit violemment. Comme peuple opprimé qui fait continuellement face à l’injustice et au non-respect de ses droits les plus élémentaires, la réaction instinctive est la violence. Cette violence génère la peur et toujours plus de violence. C’est un cycle infernal qu’il faut cesser avant qu’il soit trop largement répandu.
Pour faire cesser le cycle de la violence, il doit y avoir une action internationale concertée et à long terme. Nous devons nous entendre sur certains points :
- Les événements récents indiquent la nécessité d’une implication active et à long terme de la communauté internationale. C’est la seule façon de renverser la vapeur.
- Dans les événements qui ont eu lieu, les Nations unies ont en quelque sorte perdu la face en ce qui concerne la protection d’un gouvernement démocratiquement élu en ne protestant pas contre le départ d’Aristide (forcé ou volontaire). La question de la prévention des coups d’État devrait devenir prioritaire.
- Le Canada peut jouer un rôle de premier plan et doit pousser pour l’implication à long terme de l’ONU, s’il veut faire une différence et ne pas avoir à dépenser à nouveau sur le cas d’Haïti dans 10 ans.
- La simple intervention policière ou militaire ne règlera pas le problème de la stabilité politique du pays, il est nécessaire de travailler en profondeur la question de la gouvernance responsable.
Approche proposée
Une série de mesures énergiques doivent être mises en place afin de raviver l’espoir démocratique dans une population fortement ébranlée. Nous parlons donc ici de la mise en place d’un plan de réconciliation nationale. Un mécanisme de résolution du conflit inclusif, où on implique les divers courants représentatifs de la société haïtienne, est un exercice incontournable.
La résolution négociée du conflit doit se faire en fonction d’encourager les parties à coopérer et à assumer leurs responsabilités. L’objectif doit être de rendre à Haïti un statut de société où il est plus agréable de vivre. A l’issue du processus de résolution du conflit, on souhaite des accords acceptés volontairement par les parties en conflit, qui reflètent les intérêts de chacune des parties et qui ont de bonnes chances d’être honorés.
Un conflit non-résolu ou mal résolu pourrait simplement relancer de plus belle le cycle infernal de la violence. Une solution implantée à la sauvette laissera les litiges en suspens et la solution des problèmes ne sera que partielle. Ce sera une oeuvre inachevée qui nourrira encore les ressentiments, engendrant plus de colère et de désespoir, multipliera les ennemis et relancera les actes de violence. Nous ne voulons plus de solutions superficielles.
Si le conflit actuel est abordé de façon responsable, en créant les conditions pour un processus constructif menant à des solutions consensuelles, nous sommes persuadé que les conséquences positives seront multiples. Les représentants du peuple pourront agir avec efficacité et créer des alliances aujourd’hui inexistantes. Les petites réussites se multiplieront et transformeront le désespoir en une motivation pour continuer la collaboration. Il se créera un sentiment de travailler pour un objectif commun et les relations entre les groupes d’intérêts se verront améliorées pour créer une dynamique de justice et de paix pour une population qui a déjà beaucoup trop souffert.
Nous ne voulons pas que ce conflit reste mal résolu. La population ne veut plus avoir le sentiment qu’il y a un gagnant et un perdant. Nous voulons que la démarche en cours mène au sentiment généralisé que tous sont respectés. Nous voulons, en d’autre mots, une solution où tous sont gagnants, peu importe leur perspective. Pour ça, le processus de réconciliation national doit inclure toutes les parties.
Position
Nous souhaitons donc :
- Une démarche menant à une solution acceptable pour tous.
- La création d’une atmosphère de confiance.
- Le souci continuel de préserver de bonnes relations.
- Le souci de créer des conditions favorables qui aideront les parties à trouver des solutions novatrices et constructives.
- La conviction, que pour le bien du peuple, les parties sont capables d’en arriver à une entente satisfaisante
- Une démarche impartiale où les intervenants extérieurs maintiennent une attitude de neutralité et s’efforcent de transformer la méfiance entre les parties en confiance mutuelle.
Les Nations unies doivent mettre en place un mécanisme de diplomatie préventive qui maintiendra une dynamique de conciliation entre les parties. Cela atténuera les conflits qui opposent le Président Aristide, l’opposition, les factions armées et le secteur privé haïtien. Le but ultime est de convaincre les acteurs de participer à une conférence ou une série de conférences de réconciliation nationale. L’impartialité ou la neutralité des interventions de la diplomatie doit être au coeur de la démarche. Elle garantira un processus de conciliation où les intérêts de chaque partie seront considérés de façon équitable.
Au terme d’une intervention semblable au Burundi, Monsieur Ould Abdallah a affirmé :
« Je crois que les Nations unies, étant perçu comme n’ayant pas d’intérêts politique, stratégique ou économique à défendre, sont les mieux placées pour choisir les hommes qui seront les plus facilement acceptés par les parties en conflit(?). Je suis quelques peu gêné de le dire mais, dans certaines missions très difficiles, le médiateur doit être profondément convaincu de la valeur morale de la tâche à accomplir. Cette force morale et la disponibilité qui en découle sont indispensables au succès de toute entreprise humaine de ce genre. »
Nous croyons que le processus de conciliation doit comporter les étapes à entreprendre suivantes.
1- Choisir un médiateur, ou plutôt un conciliateur d’expérience qui aura comme premier mandat de définir le processus de réconciliation nationale et de faciliter chacune des étapes de la mise en oeuvre. Son travail sera essentiellement de créer un rapprochement entre les parties.
2- La toute première priorité, sera de créer dans le pays un espace sécuritaire, protégé par la communauté internationale. C’est en ce lieu que se déroulera le travail de négociation et de réconciliation entre toutes les parties impliquées. Tout le processus sera facilité et coordonné par un ou deux diplomates de réputation internationale et par des membres influents, indépendants et crédibles de la diaspora.
3- En deuxième lieu, pour montrer leur bonne foi, les intervenants doivent imposer un cessez le feu à leurs milices respectives. Les forces policières et militaires internationales, sur place, ont pour première mission d’assurer la sécurité de la conférence de réconciliation nationale et le maintien du cessez le feu. On devrait aussi accepter que les dirigeants militaires de chacune des factions soient en garde surveillée pour la période de la conférence de réconciliation.
4- Un mécanisme de pression international doit être prévu dans le but de forcer les parties à arriver, dans des délais raisonnables, à une solution négociée de bonne foi. Ce mécanisme de pression, cependant, ne doit pas affecter l’ensemble de la population. Le système légal canadien impose l’isolement aux membres d’un jury… Pourquoi ne pas confiner les négociateurs dans un espace physique précis jusqu’à l’obtention d’un résultat satisfaisant. Un consensus, ou vous ne sortez pas.
5- Il faut également prévoir la diffusion la plus grande possible du processus de réconciliation dans le but d’informer la population de son déroulement. Les médias écrits, Radio Canada International ou même la télévision à information continue pourraient être mobilisés à cette fin. Un très beau rôle pour les membres de la diaspora haïtienne à Montréal (couverture sur place et émissions diffusées à partir du Canada). Un tel exercice de « téléréalité » obtiendrait certainement des cotes d’écoute très élevées
6- L’ordre du jour de la rencontre devra donner priorité aux questions les plus urgentes compte tenu de la réalité terrain:
- Consensus sur les mécanismes démocratiques. (déjà en place si je comprend bien)
- Consensus sur la fin de l’impunité et sur un mécanisme de justice réparatoire. (essentiel pour raviver la justice.)
- Consensus sur la mise en place d’un mécanisme de désarmement (toutes les milices sauf la police nationale).
C’est l’ordre des enjeux qui nous semble le plus logique. Mais ne croyons pas qu’il serait réaliste de parler d’un échéance de deux ou trois mois. Kofi Annan, devant la Chambre des communes d’Ottawa, a parlé d’un minimum de deux ans d’engagement de la communauté internationale.
La présence continue et active de la communauté internationale est probablement la seule façon de contrôler la manipulation politique qui se fait dans les opérations courantes des affaires du pays… Pour nous, c’est un moindre mal en quelque sorte.
Nous croyons que l’ONU, dans le cas de la situation à Haïti, peut incarner la communauté internationale. Nous croyons aussi que le Canada, compte tenu de son historique de colonie, de sa tradition au sein de l’ONU, du lien solide de ce diaspora et de sa proximité, peut fournir une part importante du corps international de civils et de policiers pour mener à bien cette tâche difficile, mais qui pourrait devenir un précédent.
Haïti a vraiment besoin d’un parrainage dans ce processus de paix.
Le Canada pourrait certainement être le meilleur candidat pour le rôle.