Savoir tirer les leçons du passé
Nombreux sommes-nous à nous souvenir de la crise du verglas de l’hiver 1998 : plusieurs millimètres de pluie verglaçante tombés sur le sud-ouest du Québec.
Au jour 3 de la tempête, soit le 8 janvier, la Ville de Montréal a dû déclarer un état d’alerte et mis en œuvre son plan de mesures d’urgence. L’effondrement de plusieurs composantes du réseau électrique avait entraîné l’arrêt de deux des trois usines, sources d’alimentation en eau potable pour 1,3 million de personnes.
Les usines sont tombées en panne dans l’après-midi du 9 janvier. Mais l’information demeura secrète pour éviter la panique au sein de la population. En soirée, il restait à la Ville des réserves pour deux bonnes heures non seulement pour alimenter la population mais aussi pour lutter contre plusieurs incendies causés par des chauffages d’appoint inadaptés. L’état major du Service de sécurité incendie de Montréal envisageaient même, en dernier ressort, de démolir les maisons en feu avec des béliers mécaniques si les usines n’étaient pas remises en marche.
De toute évidence, personne n’avait envisagé une telle vulnérabilité de ces infrastructures névralgiques. Et, malheureusement, vingt ans plus tard, nous avons tout l’air de n’avoir pas tiré les leçons de la crise.
La situation était tellement critique
Québec a dû accepter l’aide du gouvernement fédéral qui détacha un contingent de 3100 militaires pour aider les employés d’Hydro-Québec à garantir la sécurité de la population. Le 12 janvier, les services de police de Montréal se sont vu conférer des pouvoirs spéciaux les autorisant à aller de porte en porte ordonner aux gens de quitter leur maison pour des hébergements publics et le 13, les soldats obtinrent le pouvoir de procéder à des arrestations en cas de besoin.
L’interruption de service dans les usines de filtration d’eau, risquait de réduire à zéro l’alimentation en eau potable. L’île de Montréal était sur le point d’être évacuée en dépit des difficultés que cela représentait. Même après le retour de l’eau, il a fallu la faire bouillir durant les trois jours que durèrent les opérations de désinfection des systèmes.
La catastrophe a été évitée de justesse! Mais le scénario pourrait se reproduire!
Avant comme après : la culture de l’intervention a posteriori
Selon le rapport Nicolet qui a suivi la Crise du verglas, la société québécoise a surtout une culture de réponse ou d’intervention a posteriori face aux désastres, par opposition à une véritable culture de sécurité civile dont la caractéristique est l’investissement dans les ressources et le développement des dispositifs sécuritaires dans une perspective de prévention. Investir en sécurité civile, c’est préparer et planifier les interventions…
L’inversion de la ligne 9B Enbridge et le projet Energie-Est illustrent parfaitement cette absence d’une culture de sécurité civile axée sur la prévention et la préparation.
« La sécurité civile est l’affaire de tous ». C’est à peu près ce qu’on lit dans la brochure produit par le gouvernement du Québec dans laquelle il divulgue aux citoyens et aux autorités publiques les notions de base relatives à la sécurité civile. Il y est souligné, au bénéfice de nos élus, pompiers, policiers et autres intervenants, l’importance d’établir un profil de la vulnérabilité d’un milieu, un exercice indispensable pour apprécier les conséquences potentielles sur les éléments exposés d’un aléa d’une intensité donnée.
Les infrastructures vulnérables nécessitent des mesures de protection particulières
Pour revenir aux projets des oléoducs et, plus précisément, à la ligne Enbridge 9-B dont l’inversion du flux a été autorisée en novembre 2015, notons que nos autorités municipales ont autorisé le passage d’un volume de produit polluant équivalent à peu près à 80 piscines de 50 000 litres par heure sous la rivière des Outaouais. Cette substance passe à une quinzaine de kilomètres du décanteur naturel des eaux potables du Grand-Montréal, le Lac des Deux-Montagnes. Ce qui représente une menace directe à une trentaine de prises d’eau. Nous parlons donc de menace à la source d’approvisionnement en eau potable pour plus de 3 millions de personnes dont l’immense majorité ne bénéficie d’aucune source d’eau alternative utilisable.
La sécurité civile du Québec souligne que le profil de vulnérabilité d’une collectivité doit inévitablement assurer l’identification des populations sensibles, suite à quoi il faut se pencher sur la menace en tant qu’elle vise des infrastructures ainsi que des systèmes essentiels. Dans le cas de la région de Montréal, c’est un des plus grands centres urbains du pays dont l’approvisionnement en eau potable risque d’être compromis. Quelle menace cela représente-t-il si, comme à la crise du verglas, l’île n’avait que quelques heures de réserves pour alimenter en eau des millions de citoyens? Un aléa important pourrait neutraliser de nombreux points névralgiques de notre société : les plus grands hôpitaux de la province, plusieurs des secteurs et équipements névralgiques de la province, la production et la transformation des aliments.
Ces projets mettent sciemment la population face à une situation de crise dépassant de loin toutes les crises vécues à ce jour dans la province.
Des agences de sécurité pour prévenir les crises?
L’exercice d’appréciation de notre vulnérabilité doit permettre d’envisager les risques de sinistres et la menace qui pèse sur les infrastructures si tel est le cas. De telles installations, soit la combinaison des pipelines et des prises d’eau, sont particulièrement sensibles à des menaces humaines de type terroriste et, chez nous, à des aléas naturels tels que les glissements de terrain. Notons ici que la vallée du Saint-Laurent, les fonds de l’ancienne mer de Champlain, sur 6 000 km carrés, se classe parmi les zones les plus à risque au monde en ce qui concerne l’instabilité de ses sols. Les projets de type 9B Enbridge et Énergie-Est sont incompatibles avec tous les principes de planification sécuritaire.
Un simple exercice d’appréciation aurait dû suffire à éclairer les autorités municipales qui n’auraient qu’à mobiliser les populations pour s’insurger contre ces projets. Ainsi l’on se demande bien où étaient les ressources expertes de la Communauté urbaine de Montréal et de la sécurité civile du Québec au moment d’autoriser un tel projet? Comment expliquer le fait qu’en ce qui concerne le projet Enbridge les Forces Canadiennes ne se soient réveillées que lors des audiences de l’ONE sur le projet Énergie-Est pour relever ces questions de sécurité. N’est-ce pas leur rôle de pallier aux limites de la société civile en cas de désastres majeurs?
Nous dépensons des milliards annuellement pour alimenter de multiples agences de sécurité, et au moment où leur intervention devient critique pour prévenir la construction d’infrastructures pouvant constituer une menace majeure et bien réelle, toutes semblent totalement impuissantes! Est-ce la perspective de nouvelles menaces qui les intéresse? Ou les budgets de surveillance qui y seraient associés?
On comprend qu’il s’agit des agences dont les catastrophes justifient les gros budgets. Nous sommes bien loin de la transition vers une véritable culture de sécurité civile qui conduirait à investir, et à développer notre société dans une perspective de prévention, de préparation et de planification préventive.
La solution en prévention des menaces ne réside-t-elle pas dans le retrait des enjeux de protection civile des mains des agences chargées d’« assurer » la sécurité de ces mêmes installations?