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Pensée et action: l’exemple de Gandhi

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Extrait de l’ouvrage: Étienne GODINOT (2010), Pensée et action: l’exemple de Gandhi, Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits (http://www.irnc.org); 17 p.

Pour accéder à l’ouvrage complet, veuillez cliquer sur Pensée et action – l’exemple de Gandhi

Mohandas K. Gandhi vers la fin des années 1930. (Photo: domaine public)
Mohandas K. Gandhi vers la fin des années 1930. (Photo: domaine public)

On sait l’importance des enjeux et l’urgence des solutions à trouver aux problèmes graves dans nos sociétés et de notre planète : la misère et malnutrition frappent de nombreux pays ; le chômage et l’exclusion sévissent partout dans le monde ; la pollution de l’environnement (les cours d’eau, la mer, les sols, l’air), la destruction des écosystèmes, les atteintes graves à la biodiversité, l’épuisement des ressources naturelles (ressources halieutiques, forêts, nappes phréatiques, minerais, énergies fossiles), et le réchauffement climatique menacent la survie même de l’humanité. La prolifération des armes nucléaires pourrait devenir catastrophique dans le cas d’embrasement de conflits régionaux – ces armes n’empêchent en rien le terrorisme, mais relèvent de la même logique que le terrorisme – ; les idéologies de racisme, de xénophobie et de peur de l’autre séduisent des populations déboussolées menées par des leaders assoiffés de pouvoir.

L’illusion de toute-puissance et la démesure de l’homo sapiens sapiens, sa coupure avec la nature, son déficit d’intériorité, de spiritualité et même de simple bon sens, tous ces facteurs contribuent à une fuite en avant économique et technologique incontrôlée et folle – comme on parle d’un camion fou qui ne peut plus s’arrêter – : mécanisation à outrance et suppression du travail manuel si indispensable à l’équilibre de l’homme, invention d’armes de destruction massive capables de détruire cent fois la planète, modification génétique des organismes vivants dans le mépris le plus total du principe de précaution, maternité de femmes à l’âge de 60 ans, etc.

Le néo-colonialisme économique – particulièrement manifeste dans l’ultralibéralisme actuel et la mondialisation économique – a imposé un modèle qui écrase les agricultures vivrières et paysannes, qui asphyxie l’économie des sociétés différentes – notamment celles des pays du « Sud » – et leur impose un modèle culturel dont on mesure chaque jour davantage les impasses : course infinie aux biens matériels, compétition exacerbée dans tous les domaines de la vie (l’économie, l’éducation, le sport, etc.), jeunisme imbécile et négation de la réalité de la vieillesse et de la mort, matraquage publicitaire. Les « élites » et même les populations des pays dits « sous-développés » sont tentées par les mirages des sociétés occidentales opulentes, qui sont pourtant – et peut-être pour cette raison – dépressives, en proie à la désespérance, aux psychotropes et aux drogues.

Nous sommes à une période cruciale et charnière de l’histoire, où l’humanité est condamnée à disparaître si une grande partie des peuples de notre planète ne change pas radicalement ses modes de vie, de production, de consommation, d’échange, de résolution des conflits.

Les défis du XXIème siècle et des suivants sont immenses :

  • promouvoir un développement durable qui respecte la nature et préserve les droits des générations futures, qui doit être dans les pays riches une décroissance, et partout dans le monde une « altercroissance ». Deux expressions de Gandhi sont connues à ce sujet : « Vivre simplement pour que tous puissent simplement vivre », « La Terre peut produire assez pour satisfaire les besoins de tous, elle ne peut produire assez pour satisfaire l’avidité de tous »
  • vaincre la misère et l’exclusion,
  • mettre en oeuvre de nouveaux modes de gestion des conflits de toute nature –interpersonnels, sociaux, internationaux  -dans le respect de l’adversaire,
  • inventer une nouvelle relation de l’homme à l’Univers et à la nature, à la science, au travail, au temps.

Dans de telles périodes, il est nécessaire de puiser aux sources vives, et d’avoir recours aux hommes qui ont oeuvré à élever l’humanité et à la sortir de la barbarie : Lao Tseu, Patanjali, Socrate, le Bouddha, Jésus, Gandhi et bien d’autres sont ces phares qui permettent à la caravane humaine de ne pas se perdre dans la nuit de la bêtise et de l’égoïsme, de la haine et de la violence.

Gandhi n’est pas mort. Il a « inauguré dans la politique humaine le plus puissant mouvement depuis près de deux mille ans », selon l’expression de Romain Rolland. Il a effectivement une fécondité immense si l’on recense tous ceux qui se sont inspirés de lui, y compris ceux qui sont moins ou ne sont pas connus.

Ses intuitions, ses modes d’action au quotidien et sa stratégie politique ont été mis en oeuvre par des personnages et des mouvements extrêmement divers à travers le monde. Sa pensée a été reprise et approfondie par des chercheurs, la plupart du temps engagés dans l’action.

Le texte Hind Swaraj – Indian Home Rule 3 (« L’autonomie indienne – Les règles intérieures du peuple indien ») a été écrit pour l’essentiel sur le bateau entre Londres et Le Cap entre le 13 et le 22 novembre 1909, alors que Gandhi vivait en Afrique du Sud. L’auteur avait à l’esprit la libération du peuple indien, mais les valeurs présentées dans ce livre sont éternelles et universelles. Ce livre constitue la base philosophique gandhienne et présente une vision d’un autre mode de vie que le mode occidental. Gandhi condamne sévèrement la civilisation dite « moderne » idéalisée par la Grande-Bretagne et les Occidentaux. Il montre que beaucoup progrès technologiques aggravent les conditions de vie, que la civilisation occidentale a laissé de côté la morale et la spiritualité, qu’elle crée de nouveaux besoins liés à l’argent et impossibles à satisfaire, qu’elle accroît les inégalités et voue à l’esclavage une grande partie de l’humanité. « Cette civilisation, écrit-il, est telle qu’on a juste à être patient et elle s’autodétruira ».

Cent ans après la rédaction de Hind Swaraj, la crise économique et surtout la crise écologique montrent la pertinence de l’analyse de Gandhi, et mettent en évidence les dangers et les impasses de la civilisation mise en oeuvre depuis bientôt deux siècles par l’homo technicusoeconomicus. Quels sont les dogmes qui sous-tendent cette civilisation ? La croyance que la possession de biens matériels est le but ultime à atteindre par l’homme, l’approche principalement économique des problèmes de société, le culte de la compétition érigé comme moteur de la vie sociale et internationale. La fuite en avant technologique, la mécanisation généralisée, l’agriculture et l’élevage industriels ne sont que des conséquences de ces dogmes. « Pour Gandhi, la non-violence n’est pas d’abord une méthode d’action, elle est une attitude, c’est-à-dire essentiellement un regard, un regard de bienveillance et de bonté envers l’autre homme ». Ceci dit, le Mahatma est le premier leader à avoir pensé la non-violence en termes de stratégie politique. Il est particulièrement actuel car il a réconcilié la morale et l’efficacité politique. Déjà en 1924, à l’aube des luttes non-violentes pour l’indépendance de l’Inde, Romain Rolland écrivait que « cette philosophie est le véhicule d’une nouvelle raison de vivre, de mourir, et d’agir pour toute l’humanité et apporte à l’Europe épuisée un nouveau viatique ».

C’est pourquoi il est utile de regarder de près la pensée et l’action de Gandhi, et de nous demander comment nous pouvons nous en inspirer pour les actualiser aujourd’hui.