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Le parcours de Martin Petit dans l’armée canadienne

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Écrit par www.AntiRecrutement.info

Martin Petit. (Photo: domaine public)
Martin Petit. (Photo: domaine public)

C’est à l’âge de dix-neuf ans et débordant d’enthousiasme que Martin Petit s’est engagé dans l’armée. Il voulait connaître l’aventure, voyager et, plus que tout, améliorer la condition de ceux que la guerre malmenait. Ce témoignage, on le retrouve dans le livre qu’il a écrit pour partager son expérience militaire, Quand les cons sont braves. L’évolution est saisissante pour un jeune homme qui s’est engagé par goût d’aventure, mais qui est ressorti de chaque conflit un peu plus marqué par l’horreur de la guerre. Devenu pacifiste, Martin Petit veut éviter à d’autres les épreuves qu’il a vécues.

Qu’est-ce qui vous a incité à joindre l’armée ? 
J’avais un bon emploi stable dans une grande entreprise. Mais c’est cette stabilité qui me faisait peur : je me voyais encore dans vingt ans assis devant le même ordinateur à faire le même travail. J’ai alors décidé de prendre le large. Puisque je n’avais pas de diplôme, il me semblait qu’une seule option s’offrait à moi, celle de joindre l’armée. Même si, après quelques années, j’ai perdu mes illusions, je continuais quand même le travail de fantassin. C’est ce que je faisais de mieux. En regardant en arrière, je vois bien que j’étais jeune et naïf à l’époque.

Quel a été votre rôle dans les missions auxquelles vous avez participé ? 
J’ai participé à de multiples missions dans la région des Balkans, au Moyen-Orient et à la corne de l’Afrique au cours des années 90. Je faisais partie des troupes de combat : j’étais fantassin. Mon travail premier, tel que mentionné dans mes vieux manuels militaires, était de repérer l’ennemi et le détruire, peu importe le terrain ou les conditions climatiques.

Quelle perception aviez-vous de vos premières participations à des conflits armés? 
Dès ma toute première mission, j’ai commencé à me poser des questions sur l’importance que la Défense nationale accorde à ses soldats. Tout juste avant d’être déployé à la guerre du Golfe, on nous a fait signer une feuille qui mentionnait les primes dérisoires que nous allions recevoir pour risquer nos vies et le montant de l’assurance-vie que nos familles allaient recevoir si nous devions mourir au combat. Ce n’était pas du tout rassurant en partant. Des essais médicaux ont été effectués sur nous par la suite : les expérimentations visaient à tester des médicaments censés nous protéger en cas d’attaque chimique, mais qui n’avaient jamais été essayés sur des humains auparavant. On en voit le résultat même aujourd’hui : beaucoup de mes copains sont encore malades.

Les recruteurs disent que ceux qui partent au front sont volontaires. Était-ce votre cas ? 
J’étais volontaire quand je suis parti à la guerre du Golfe, tout comme le sont probablement ceux qui s’envolent vers l’Afghanistan en ce moment. Toutefois, un de mes collègues fantassins de l’époque ne voulait vraiment pas y aller. Il a vite appris qu’on ne peut pas agir de la sorte dans l’armée : sa demande n’a pas été écoutée et il a pris le même avion que nous vers le Moyen-Orient.

Comment en êtes-vous venu à remettre en question votre engagement dans l’armée? 
C’est au fur et à mesure des missions que je me suis mis à me demander si j’étais vraiment à ma place. En l’espace de cinq ans, j’ai participé à quatre missions au début de ma carrière : c’était trop de stress à supporter. Je me suis rendu à un point où je suis tombé dans l’alcool et les drogues douces pour me soulager de mon mal.

Il n’y a rien de plus désarmant que de ne pas savoir ce dont on souffre. Ce n’est que plus tard, après avoir eu le courage de demander de l’aide suite à une cinquième mission, que j’ai découvert que j’avais développé le syndrome de stress post traumatique. J’étais certain d’une seule chose, c’était que je ne pouvais plus joindre les rangs.

Qu’avez-vous vu de si troublant ? 
Il y a tellement de choses que les gens ne savent pas. Ce qui s’est passé en Somalie par exemple a été oublié. J’ai été témoin d’actes de racisme et de barbarie effrayants de la part de nos troupes. Je me rappelle de la fois où un de mes confrères a cruellement donné une bouteille de Tabasco à un jeune Somalien qui demandait à manger. Le pauvre s’est mis à boire la bouteille et le soldat riait éperdument en le voyant se brûler. Mais il y avait bien pire, comme des soldats qui se vantaient entre eux d’avoir tué un autre « nègre ». Je suis certain qu’il reste encore plein de corps enfouis dans le désert.

Ce n’est pas seulement de la part de mes confrères soldats que j’ai été témoin d’abus, mais aussi de la part de mes supérieurs. Par exemple, en Bosnie, j’ai vu, en bordure de la route, une jeune fille âgée tout au plus de 10 ans, gravement blessée. Je passais par là pour aller porter une lettre à un camp militaire, ce qui peut bien attendre. J’ai demandé par radio la permission à mes supérieurs d’aller la porter à l’hôpital, mais on m’a ordonné d’abandonner l’enfant. Mon collègue et moi avons alors fait ce que nos consciences nous dictaient : on a désobéi. J’en ai subi les conséquences, mais j’avais le sentiment que j’avais fait quelque chose de bien.

Votre image de la vie de militaire était-elle la même avant et après votre enrôlement? 
J’ai vite réalisé que les libertés qui sont ordinairement à la portée des Canadiens, comme la liberté d’expression, de presse et d’association, nous sont enlevées lorsqu’on s’enrôle. Je n’aurais pas pu écrire un livre lorsque j’étais toujours à l’intérieur des Forces, comme je l’ai fait après les avoir quittées. Il y a quelques années un de mes copains l’a fait : il a écrit un livre sur la mission canadienne en Somalie. Il a été arrêté, soumis à un procès martial, détenu, mis à l’amende, et transféré de base de peur qu’il ne contamine ses confrères avec des idées de liberté.

livreComment percevez-vous le recrutement? 
Ça me tue de voir l’armée embaucher de jeunes gens pour les envoyer en Afghanistan d’où ils reviendront « tout croches ». Je ne veux pas que la vérité soit camouflée. Je suis révolté de voir des campagnes de recrutement qui laissent croire que dans l’armée, tout est tellement beau. Je veux briser la loi du silence, contrer la désinformation et la propagande véhiculée par le ministère de la Défense qui veut faire croire à de jeunes hommes et femmes que la profession des armes est louable, voire agréable. Tout le monde devrait savoir ce qui se trame au sein de l’armée avant de s’enrôler.

Quel message avez-vous à transmettre aux jeunes adultes qui pensent à s’enrôler?
À celui qui se sent attiré par les belles promesses de l’armée, je dis : sois certain de savoir réellement dans quoi tu t’embarques. Penses-y deux fois avant de devenir militaire. Parle à un vétéran si tu veux avoir une idée claire de ce qu’on peut vivre dans l’armée, appelle-moi et je te raconterai ce que j’ai vécu et ce que les recruteurs ne disent pas.