Écrit par Dominique Boisvert
(Commentaire écrit en réponse au texte de Francis Dupuis-Déri« Se souvenir de qui, de quoi? » publié dans Le Devoir)
Je suis un pacifiste et un objecteur de conscience aux impôts militaires (puisqu’on ne conscrit plus nos bras mais plutôt notre argent). À ce titre, je suis contre la guerre et la violence comme manière de lutter contre les injustices et de rétablir le droit.
Pourtant, j’ai le plus grand respect pour les hommes et les femmes qui ont donné (ou plutôt à qui on a pris, contre leur gré) leur vie au service (pour beaucoup ou la plupart d’entre eux) d’un idéal ou d’une cause qu’ils croyaient juste. Je respecte aussi les hommes et les femmes qui ont choisi de travailler dans l’armée canadienne (non, il ne s’agit pas d’un simple travail comme n’importe quel autre!), même si je questionne certaines de leurs motivations ou si je suis en désaccord avec eux sur l’utilité ou l’efficacité de l’armée dans la solution des problèmes ou des conflits internationaux.
S’opposer à la guerre comme moyen de résoudre (efficacement et durablement) les conflits, s’opposer au militarisme comme tendance (tentation) grandissante de nos gouvernements « démocratiques », et s’opposer à l’armée et à la force militaire comme moyen d’assurer notre défense et d’assumer nos responsabilités internationales NE VEUT ABSOLUMENT PAS DIRE accepter l’injustice, renoncer à intervenir, négliger ses responsabilités internationales, être négligent face aux besoins de notre sécurité, ou encore moins être peureux et manquer de courage!
Au contraire, la plupart des pacifistes et objecteurs de conscience sont fortement impliqués dans la lutte contre les injustices (locales et internationales) et sont prêts à payer de leur personne pour contribuer à des solutions durables des conflits. Ce qui demande souvent au moins autant de courage (sinon plus: mais ce n’est pas une compétition à qui serait plus courageux!) pour aller au coeur de conflits violents sans armes ou autres instruments de violence (comme les nombreux groupes d’interventions non violentes présents pour faire de la médiation, agir comme protection des défenseurs locaux des droits humains ou travailler à la prévention des conflits).
La guerre a, depuis la nuit des temps, presque toujours été présentée comme une fatalité, un mal nécessaire, une caractéristique de la « nature humaine » et de l’Histoire. Pourtant, la guerre est une « production humaine » et une « institution sociale » comme tous les autres développements qu’a connus l’humanité: modes de production économique, institutions politiques ou religieuses, inventions technologiques, etc.
La guerre N’EST PAS une fatalité. Elle est un CHOIX de société. Et d’autres choix sont non seulement possibles, mais infiniment plus avantageux sur les plans humain, politique et écologique. Historiquement, les guerres n’ont presque jamais réglé durablement les conflits. Et encore moins dans la justice. Sans parler de leurs coûts de plus en plus exorbitants en vies humaines (de plus en plus parmi les populations civiles, d’ailleurs), en argent (alors qu’on ne trouve plus le financement pour les soins de santé, l’éducation, la solidarité internationale, etc.), en ressources humaines et matérielles, en destructions multiples (voir le bilan de la guerre en Irak) et en dégâts écologiques.
Certes, les alternatives à la guerre et aux armées pour faire face aux dangers (réels) posés par les conflits, les luttes d’intérêts (politiques, financiers et commerciaux), le terrorisme, etc. ne sont pas faciles à mettre en place. Car on s’oppose à des millénaires d’habitudes guerrières et à des intérêts financiers extrêmement puissants (le général Dwight Eisenhower, grand héros de la seconde guerre mondiale et alors président des États-Unis, a clairement indiqué, au terme de sa présidence, le danger capital que représentait le complexe militaro-industriel). Mais de la même façon que ce n’est qu’au 19e siècle qu’on a finalement aboli (officiellement) l’esclavage, en 1948 qu’on a finalement adopté une Déclaration universelle des droits humains ou en 1984 qu’on a finalement signé une Convention internationale contre la torture, il faut bien commencer quelque part si nous voulons qu’un jour la guerre ne soit plus considérée comme « normale » ou comme un moyen acceptable de gérer les conflits.
Il faut qu’on finance de plus en plus les Chaires de recherche en résolution non violente des conflits, au lieu de ne financer que les Chaires en études stratégiques; qu’on finance les initiatives de Casques bleus, de Casques blancs ou de Casques rouges des Nations Unies au lieu de mettre autant d’argent dans les forces armées traditionnelles ; qu’on institue un Ministère de la paix en plus (ou au lieu) du traditionnel Ministère de la défense (qui est d’ailleurs bien plus un Ministère de l’intervention étrangère, justifiable ou non, que de la défense de notre territoire ou de nos intérêts). Bref, si on veut la paix, il faut cesser de préparer la guerre (essentiellement par les forces armées) et se mettre enfin à préparer sérieusement la paix, en y consacrant la priorité, le temps, les ressources financières et les recherches intellectuelles nécessaires.
Enfin, la dernière justification (et celle qui fait le plus l’unanimité) des forces armées est son rôle de « protection civile »: leur intervention durant la crise du verglas, les inondations de la Rivière Rouge au Manitoba ou les opérations de sauvetage en mer le long de nos côtes. Il est évident que tout pays a besoin d’un corps organisé, discipliné, bien équipé et mobilisable à bref délai, pour intervenir dans toutes sortes de situations de crise ou pour épauler les responsables civils dans des circonstances exceptionnelles. Mais ce rôle peut très bien être joué, avec autant d’efficacité et à meilleur coût, par des structures CIVILES qui auront l’avantage supplémentaire de valoriser la responsabilisation citoyenne au lieu de s’en remettre à une délégation (déresponsabilisation) au corps spécialisé qu’est l’armée. D’ailleurs, dans plusieurs pays comme les États-Unis, ce rôle est joué par une structure différente de l’armée régulière, soit la Garde nationale.
C’est dans ce contexte que je dis qu’on peut très bien (et qu’on doit) respecter les militaires, mais qu’on doit combattre la guerre. Et que les coquelicots rouges (volontairement ou non de la part de ceux qui les vendent, consciemment ou non de la part de ceux qui les achètent et les portent) sont sinon une valorisation, du moins une acceptation de la guerre et des combattants. Tandis que les coquelicots blancs sont clairement une remise en question de la guerre (sans manquer de respect pour les combattants) et une invitation à la dépasser en développant de nouveaux outils, plus respectueux de tous les hommes et de toutes les femmes (combattants ou civils), pour gérer et régler les conflits, locaux et internationaux, auxquels nous serons toujours confrontés.