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Nonviolence radicale, anarchisme et perspectives révolutionnaires

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Écrit par Laurence Guénette

(Image: Banksy)
(Image: Banksy)

Il existe une relation étroite entre anarchisme et nonviolence qui mérite d’être abordée ici, et qui est pourtant largement ignorée dans certains milieux militants. Cela est sans doute attribuable à une mauvaise compréhension de la nonviolence, perçue à tort comme un pacifisme désengagé, et à une ignorance de l’anarchisme, que plusieurs font l’erreur d’associer au chaos et à une désorganisation vide de projet politique. Pourtant, la nonviolence mérite que l’on s’intéresse à l’anarchisme comme philosophie politique et comme mode d’organisation dans la lutte, autant que l’inverse est vrai; l’anarchisme gagne à connaître l’approche nonviolente des luttes. La radicalité de l’un et de l’autre se rejoignent et il importe de réfléchir aux mouvements sociaux en étant riche de ces perspectives de résistance.

« L’anarchisme préconise l’abolition de l’État dont découlera ensuite la disparition progressive de la violence comme outil social. La nonviolence préconise le rejet de la violence dont découlera ensuite la disparition de l’État » (Xavier Beckaert)

L’anarchisme et la nonviolence proposent tous deux de rejeter et de déconstruire les structures d’oppression; cela se transpose dans la société idéale vers laquelle on tend, mais surtout – et entre temps – dans les modes d’organisation des mouvements de résistance. L’anarchisme comme la nonviolence proposent l’exercice du pouvoir plutôt que sa délégation; la coordination plutôt que la subordination; le pouvoir partagé et l’autonomie plutôt que le pouvoir sur, expérimenté autant dans les régimes dictatoriaux que dans les systèmes de démocratie parlementaire. Les deux approches conçoivent donc la nécessité de changements majeurs ainsi que de modes d’organisation visant à l’empowerment, à l’autonomisation des gens.

La lutte commence! Banner drop, Montréal, août 2012. (Photo: Maille à part.)
La lutte commence! Banner drop, Montréal, août 2012. (Photo: Maille à part.)

Les deux philosophies se rejoignent aussi dans une critique de l’État comme détenteur du monopole de la violence légitime. Cette relation est bien évoquée par le philosophe Tolstoi, à la fois un anarchiste et l’un des pionniers de la nonviolence radicale. Pour lui, l’essence du pouvoir « consiste à menacer les hommes de la privation de la liberté, de la vie et à mettre ses menaces à exécution ». Donc partout où il y aura du pouvoir des uns sur les autres, y compris sous forme d’un État largement légitimé par une culture de démocratie représentative, il y aura une structure d’oppression fondée sur la violence, la menace de la violence, ainsi que le maintien du statut quo. La nonviolence, au même titre que l’anarchisme, ne peut qu’aspirer à la déconstruction de la violence de l’État comme mode d’organisation de la société.

Pour une révolution intègre et nonviolente

Les peuples n’en sont pas actuellement à leurs premières tentatives de libération, ni à leur premiers essais révolutionnaires. La majorité des révolutions ont employé des moyens violents pour arriver à leurs fins. Mais trop souvent, ces luttes armées et ses renversements violents de régimes ont permis à un groupe d’hommes d’arracher le pouvoir à un autre groupe d’homme (le masculin est ici employé de façon totalement volontaire). De telles « révolutions » se sont finalement avérées n’être que des changements de paradigmes et de conjoncture. Même en étant motivées par un projet politique louable, elles n’ont pas permis une émancipation véritable du peuple. Comme le dit le chercheur anarchiste Nicolas Walter, « la violence est l’exemple extrême de l’usage du pouvoir d’une personne contre une autre, le paroxysme de ce contre quoi nous luttons ». De la même façon, une perspective anarchiste de la révolution ne peut admettre l’instauration de l’anarchie par la violence, ce qui serait profondément contradictoire. L’anarchisme libertaire et de gauche doit avoir pour objectif d’extirper à leur racine tous les rapports de domination et de subordination, ceux-là mêmes qui sont inévitablement créées  lorsqu’il y a usage ou menace de violence.

« Le choix de la violence pour résoudre un conflit génère un système politique plus centralisé et potentiellement plus répressif tandis que le choix de la lutte nonviolente tend à produire un système politique plus décentralisé et plus investi par le peuple » (Gene Sharp)

Anarchopanda, masquotte non-officielle du printemps érable, 2012. (Photo: inconnu)
Anarchopanda: masquotte non-officielle du printemps érable, 2012. (Photo: inconnu)

Cette réflexion ne signifie pas que la révolution nonviolente nous débarrasse résolument du risque de voir resurgir des relations hiérarchiques et oppressives au sein de la société. Mais sa force principale est de reposer sur le courage et la détermination de tous et de toutes, plutôt que sur des leaders et des élites. L’approche nonviolente des luttes ou de la révolution suggère en effet de viser à l’inclusion de chacun et chacune sur une base égalitaire et « autonomisante ». Bien davantage que la lutte armée traditionnelle et ses structures hiérarchisées et machistes, la révolution nonviolente permet la participation de tous et toutes à leur propre libération; enfants, femmes, hommes, communautés LGBTQ, minorités ethniques, ainé-E-s et personnes physiquement limitées sont appelées à participer, plutôt que de mettre en scène le mâle d’âge productif. La nonviolence implique que véritable combativité ne se limite pas à la lutte armée!

Manifestation 22 juin 2012.  (Photo: Rogerio Barbosa)
Manifestation 22 juin 2012. (Photo: Rogerio Barbosa)

Si beaucoup d’actions et de campagnes nonviolentes se limitent à une cause précise, ces luttes « partielles » peuvent néanmoins contenir une perspective révolutionnaire, puisqu’elles contribuent à l’éducation des participant-E-s. La nonviolence, par sa pratique et par la compréhension de ces principes, est susceptible de transformer les acteurs de la lutte; elle contribue à les préparer et les propulser vers une conscientisation plus globale, plus profonde et donc, plus radicale. Autrement dit, l’action nonviolente « contient suffisamment d’épaisseur sociale, culturelle et politique pour permettre d’articuler une lutte partielle sur un sujet donné à une perspective de dépassement du capitalisme » (Gamlin, Du marketing militant au projet collectif). Les modes d’organisation anarchistes et nonviolents rendent les militant-E-s plus sensibles et alertes par rapport aux relations d’oppression et aux dynamiques de pouvoirs, et cette conscience que l’on peut espérer irréversible est un atout majeur pour les luttes à venir!