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Mettre fin à l’intimidation

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Le corps de la jeune Marjorie Raymond est en terre.  Comme deux autres personnes par jour au Québec, la jeune fille s’est suicidée et sa lettre explique son geste par l’intimidation qu’elle a subie à l’école.  Nous devons garder en mémoire qu’il n’y a jamais qu’une seule explication au phénomène du suicide, et c’est vrai pour toutes les formes de violence, qu’elles soient contre soi-même ou contre l’autre.

Suicide de Marjorie

Un drame lié à l’intimidation, ne devrait pas mener à une stigmatisation d’une autre jeune vulnérable comme c’est actuellement le cas pour la jeune fille qui aurait intimider Marjorie.  La seule notion de « Tolérance Zéro » ne suffit pas.  La mobilisation par les marches, n’est qu’un tout petit premier pas.  Tous peuvent agir sur cette question, et agir maintenant.  Passons de la parole aux actes.

De l’action

(Photo: Facebook)
(Photo: Facebook)

La jeune et adorable adolescente qui a écrit cette touchante lettre de suicide au tournant du temps des fêtes, a frappé de plein fouet nos média de masse, et le coeur de la population québécoise.  Tous demandent maintenant haut et fort  de l’action face à l’intimidation en milieu scolaire.  Voila une autre vague d’indignation à laquelle assistent les organismes qui travaillent à la prévention de la violence.

LA solution n’existe pas

Le problème, c’est de croire qu’il y a une solution à ce problème. «  LA SOLUTION » à l’intimidation n’existe pas.  Il y a de multiples solutions à cette forme de violence, comme c’est le cas pour de nombreux autres problèmes de violence (suicide, taxage, bataille, la négligence, les abus et autres).  On ne peut faire face à la violence que par la mise en œuvre de combinaison de moyens.  Ces moyens demandent de l’engagement, une détermination et de bien comprendre les mécanismes d’un milieu.  A titre d’exemple, la lutte à la pauvreté des enfants pourrait réduire l’incidence des railleries, et le refus des parents d’acheter des vêtements de marque pourrait aussi contribuer à réduire le taxage, deux formes d’intimidation.  Nous avons tous un rôle.

L’école impuissante :

Intimidation à l'école. (Photo: Martin Tremblay)
Intimidation à l’école. (Photo: Martin Tremblay)

L’école est un lieu où l’on concentre des jeunes à des fins d’apprentissage, et la tâche d’enseigner de nouvelles connaissances et compétences aux élèves est lourde et importante.  Souvent cette tâche ne permet pas de solutionner  les problèmes sociaux d’un milieu.  L’école peut contenir les tensions, contrôler leurs effets et en réduire l’impact.  Elle peut déplacer les incivilités hors de ses murs mais ne peut pas solutionner de complexe problématiques sociales.  C’est ce qu’a démontré le modeste programme du Ministère de l’Éducation allouant 6 000 000 $ par année, aux 61 Commissions scolaires du Québec; sur trois ans.  Ce programme n’a pu permettre, au mieux que d’embaucher deux intervenants supplémentaires par région scolaire, et faire un état de situation et des inventaires de moyens à mettre en oeuvre.  Il n’est pas surprenant, en 2010, de voir les syndicats s’indigner du peu de résultats sur le terrain du programme, et de les voir aussi démarrer leurs propres programmes de sensibilisation à la violence vécue par les enseignants.  Le résultat du programme du Ministère, un bel exercice de bureaucratie colligeant des informations, mais personne n’a de ressources pour la mise en œuvre.

Nécessité de se prendre en main

La pyramide bureaucratique du Ministère de l’Éducation ne réussira pas à résoudre le problème.  Les syndicats, qui visent à accroître le nombre de professionnel non-enseignants pour venir appuyer leurs membres, absorberont rapidement les maigres fonds et le saupoudrage d’argent que le gouvernement rendra disponible.  Faire percoler des fonds dans une structure en période de contraintes budgétaire n’a jamais été une voie d’action efficace.

Lorsqu’on sait que de lutter contre la violence demande la mise en œuvre de combinaisons de moyens.  Lorsqu’on réalise qu’il est nécessaire de transférer aux jeunes de nouvelles compétences et de mettre en place des approches pour les mettre en œuvre.  Si on ajoute à ces considérations le fait que pour être efficace, les moyens doivent non-seulement couvrir  le milieu scolaire; mais aussi son entière communauté périphérique.  Il est futile de croire que la réponse aux problématiques de violence sera institutionnelle.  Le partenariat scolaire/communautaire est une voie incontournable.

L’école soutenue par sa communauté :

La solution est entre les mains de l’école, soutenue par l’action communautaire.  Déjà nombreuses sont les écoles qui ont compris que leur fonctionnement efficace dépendait d’une étroite collaboration avec les CPE,  les organismes d’aide alimentaire, les organismes de sport étudiant, d’aide au devoir et les maisons de jeunes.  Pour ces écoles, l’École soutenue par sa communauté est déjà une réalité incontournable.  La voie pour véritablement mettre en échec les gestes d’intimidation et de violence passe par une intensification de ces collaborations.

Trottibus. (Photo: inconnu)
Trottibus. (Photo: inconnu)

Le plus important geste serait l’harmonisation des pratiques en gestion saine des conflits entre les intervenants scolaires, les surveillants de pauses, les services de garde, les services de brigadiers scolaires et les intervenants jeunesse dans les communautés.  Cette harmonisation est indispensable.  Il faut aussi compléter une structure efficace d’accompagnement communautaire préventive en s’assurant de la complémentarité de ces services, ce qui ne devrait pas représenter un défi insurmontable.  D’autres initiatives communautaires capables de venir compléter cette prise à charge communautaire des jeunes sont en développement et en évaluation.  L’initiative Trottibus mise en place par la Société canadienne du Cancer peut jouer un rôle.  Le projet des Anges de la Sécurité du resto à Ville Saint-Michel est aussi une approche intéressante  D’autres approches préventives qui peuvent être complémentaires sont aussi en voie d’évaluation.

Même si nos gouvernements  les ignorent, et nos instances syndicales préfèrent regarder ailleurs, l’école soutenue par sa communauté est une incontournable réalité. Les directions le savent et de plus en plus d’enseignants l’apprécient.

Des outils de paix :

La Commission scolaire de Montréal a déjà tenté de se substituer aux organismes de paix en créant son propre service de prévention de la violence dans les années 90.  Ce fut un échec, le service a été coupé pour des raisons budgétaires.  Le nouveau programme de prévention de la violence du gouvernement a renouvelé la tentative en tentant de reproduire l’initiative à l’étendue des Commissions scolaires du Québec.

Le constat à ce jour, pas beaucoup de réalisations sur le terrain et à ce rythme le passage aux actes va couter très cher en nouvelles ressources.  Pourtant, au Québec, ils existent des dizaines d’organismes pour la paix qui ont développés une expertise sur les compétences pour contrer la violence.  Ces organismes oeuvrent avec les moyens du bord, parfois depuis des décennies, et ils pourraient devenir une ressource inestimable dans l’implantation de services complémentaires tant en milieu communautaire que scolaire.

Les Anges de la Sécurité de Saint-Michel. (Photo: inconnu)
Les Anges de la Sécurité de Saint-Michel. (Photo: inconnu)

L’information et la sensibilisation ne suffisent plus; et en ce qui concerne la prévention de la violence cette réalité est bien connue.  Il est nécessaire de transférer de nouvelles compétences aux jeunes, de mettre en place de moyens d’action pour mettre en œuvre ses compétences afin que les jeunes et le milieu les intègrent.  Puis, finalement, il faut nous assurer que ces moyens mis en opération couvrent les divers lieux de vie de nos jeunes.

Les moyens existent :

Au début des années 80, plusieurs programmes en prévention de la violence ont été testés et ont montré leur valeur.  Pour repérer les jeunes isolés et marginalisés dans les milieux scolaires on a établis divers systèmes dont des boîtes postales permettant d’échanger des messages entre jeunes, des activités sociales ayant pour but d’optimiser la participation, des services d’écoute jeunesse offert par des jeunes à leurs pairs et bien d’autres initiatives responsabilisant les jeunes face aux autres.  Ces initiatives sont lourdes en investissement d’énergie, peuvent être actualisées et  demandent l’implication de comités bénévoles.  Les parents doivent s’y investir; mais dans plusieurs cas, il semble que seul le milieu communautaire soit en mesure d’en assurer la pérennité.

Depuis le début des années 90, des programmes de gestion saine des conflits et de médiation par les pairs ont été établis dans de nombreuses écoles; leur maintien repose sur des ressources du milieu scolaire sujettes à une grande mobilité.  Dans le cadre de ses programmes les jeunes apprennent à écouter, à communiquer de façon constructive et à aider leurs pairs à résoudre des conflits.

Programme de médiation par les pairs de l'Université de Paix. (Photo: inconnu)
Programme de médiation par les pairs de l’Université de Paix. (Photo: inconnu)

Encore une fois, le maintien de ce type de service et le soutien de son fonctionnement ne peut pas être à la charge des professionnels du milieu.  Les enseignants et les professionnels sont accaparés par l’enseignement et l’assistance aux cas lourds des jeunes qui font faces à de multiples difficultés.  On constate que l’action du milieu environnant l’école est indispensable au maintien des ces formes d’intervention.

Les jeunes à problèmes, expulsés des classes, sont de moins en moins laissés à eux même.  Plusieurs ne vont plus à la rue, des organismes offrant une alternative à la suspension scolaire sont de plus en plus largement implantés grâce au travail des YMCA.  Ce genre de service doit s’étendre et ces organismes doivent pouvoir compter sur la possibilité d’offrir de véritables voies de sortie à ces jeunes, et ainsi  les raccrocher à la priorité d’apprendre.  N’oublions pas que les jeunes expulsés sont souvent ceux qui sont laissés à eux même, et qui se donne un pouvoir en intimidant.  L’intimidation est pour plusieurs une façon de reprendre du pouvoir sur une réalité de déceptions.

Contrer l’intimidation :

L’intimidation n’est qu’une forme particulière de violence.  Elle est plus subtile, car elle ne se matérialise pas toujours en des gestes physiques.  Il est indispensable que les jeunes et les gens des milieux scolaires développent les attitudes et les bons réflexes pour reconnaître et faire face à ces situations.  Ce n’est pas par des conférences,  la diffusion d’information et le lancement de campagnes de sensibilisation que les bons réflexes se développeront.  Des ateliers doivent permettre de créer des mises en situation et des jeux de rôle pertinents; des scénettes doivent être crées afin de permettre aux jeunes d’étudier les façons de faire; de ressentir les sentiments vécus de part et d’autre puis de développer les réflexes adéquats lors de situations d’intimidation.  Le théâtre d’intervention devient donc un outil indispensable dans le développement de moyens efficaces pour contrer l’intimidation.

Programme de résolution saine des conflits, Institut Pacifique. (Photo: Josias Gob)
Programme de résolution saine des conflits, Institut Pacifique. (Photo: Josias Gob)

Nous devons aussi permettre aux jeunes de mettre en application les compétences acquises en les responsabilisant face à ces situations.  Les jeunes du second cycle du primaire pourraient offrir un service d’accompagnement préventif aux jeunes du premier cycle.  Les jeunes du premier cycle du secondaire pourraient faire de même avec le second cycle du primaire et ainsi de suite.  Apprendre à détecter les incivilités, à contrer ces comportements, à isoler les jeunes qui perpétuent ces comportements ou à les référer aux adultes en mesure de les aider à désamorcer ces comportements sont des compétences à la portée des jeunes.   La lutte à l’intimidation est donc loin d’être un objectif insurmontable.  Les moyens de passer à l’action sont connus, la grande partie des ressources sont disponibles; nous devons intégrer le tout.

Passer à l’action :

La lutte à l’intimidation est donc l’affaire de tous.

Oui!  Nous pouvons manifester pour revendiquer le soutien des gouvernements et des écoles.  Mais la dernière chose à faire serait d’attendre après les gouvernements.

Prenez la rue, mais aussi impliquez-vous dans votre conseil d’établissement, ou celui de vos petits enfants.  Demandez à votre direction d’école la liste des organismes communautaires actifs dans votre milieu.  Formez un comité de prévention de la violence dans votre école.

Inventoriez les organismes intéressés ou qui ont des compétences au niveau de la gestion des conflits et qui peuvent offrir un soutien à la mise en oeuvre de services d’accompagnement aux jeunes.  Puis,  impliquez-vous dans le comité de parent de votre commission scolaire et demandez que votre commission et nos gouvernements (municipaux et provinciaux) soutiennent les initiatives citoyennes et communautaires de soutien aux établissements scolaires.

Ainsi nous passerons de la dénonciation à la prise à charge citoyenne de ce problème qui a toujours existé en milieu jeunesse.

Ainsi nous lutterons ensemble contre l’intimidation et feront en sorte de réduire l’incidence de cas comme celui de la jeune Marjorie, et les retombées désastreuses  de la dénonciation publique sur ses compagnes vivant leur houleuse adolescence.

Si vous ne bougez pas, cessez de condamner, vous nuisez à la cause.

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Normand Beaudet

Membre fondateur du Centre de ressources sur la non-violence

Coordonnateur de l’initiative « Outils de paix »

Les propos ne reflètent que l’opinion de l’auteur.