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L’opinion publique dans la lutte nonviolente

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Écrit par Laurence Guénette

Grève étudiante. (Photo: CC)
Grève étudiante. (Photo: CC)

Toute action militante est forcément, par définition, tournée vers l’extérieur. Elle cherche à être connue, à faire pression, à sensibiliser le plus grand nombre de concitoyen-NE-s dans le but de les mobiliser contre une injustice. Toute action directe est une prise de parole, effectuée dans des espaces légaux réservés à cette expression (pétition, manifestation…) ou au-delà de ce que la légalité nous réserve (grève illégale, occupation, désobéissance civile…). Mais dans tous les cas, la nonviolence comme stratégie de lutte conçoit dans tout conflit qui mène à une résistance l’existence de trois acteurs : le pouvoir exerçant une oppression ou une injustice, les gens qui résistent et se lèvent contre les agissements du pouvoir, et l’inévitable opinion publique. L’action directe a la plupart du temps un double objectif : celui de contraindre le pouvoir à modifier son attitude, mais surtout, celui de sensibiliser, d’informer, de rallier la société à son combat en la convainquant de la pertinence et la légitimité d’une cause. Une lutte comme celle du mouvement étudiant concerne d’abord et avant tout une question de justice sociale. Il est alors normal que le mouvement de résistance ait en tête la re-politisation des citoyens au-delà du système électoral, qu’il cherche par tous les moyens à interpeller cette masse de gens qui fait le poids par sa collaboration au pouvoir et son consentement silencieux. Dans la lutte nonviolente, les militant-E-s doivent s’adresser à l’intelligence du « public » et soulever son indignation afin de délégitimer la pouvoir et accéder, en fin de compte, à une victoire.

« La première démarche de l’action nonviolente est de prendre la parole, pour rompre le monopole de la parole dirigeante, et déjà exercer un contre-pouvoir » (Chloé Di Cinto)

Manifestation à Victoriaville le 4 mai 2012. (Photo: inconnu)
Manifestation à Victoriaville le 4 mai 2012. (Photo: inconnu)

Dans notre société très imparfaitement démocratique, cet appel à la mobilisation et à la re-politisation des citoyen-NE-s se pose en contraste profond avec le discours dominant qui lui, suggère habituellement de déléguer notre pouvoir et de voter différemment aux prochaines élections dans le cas où certaines orientations nous déplairaient. Dans les moments de mobilisation sociale, les médias de masse semblent presque entièrement dédiés au maintien de l’ordre établi dans l’opinion publique. La désinformation ou le biais des médias est parfois évidents, mais souvent plus déguisé, et parfois même involontaires de la part de certains journalistes aux réflexes conformistes. Cette défense de l’ordre établi se lit parfois entre les lignes, dans la subtilité d’une formulation. Le traitement médiatique de la répression policière en est un exemple flagrant, dans lequel les manifestant-E-s sont toujours responsables de leurs propres malheurs: « l’escouade anti-émeute a dû intervenir », nous dit-on. Cela exclue qu’il y ait peut-être d’autres moyens de mettre fin à un blocage que par la violence étatique, sous-entendant que c’était nécessaire, et le terme « intervenir » n’établit aucune distinction entre les types d’intervention, de l’arrestation calme et procédurale aux bombes sonores, aux insultes et aux coups de pieds dans les côtes. Le biais des médias de masse se lit aussi dans le choix des données qui sont martelées dans cesse et de celles qui ne sont omises. Les militant-E-s, en prenant part au mouvement contestataire de l’intérieur et en observant durant les heures suivantes la couverture médiatique, connaissent tous à un certain moment une prise de conscience plus fondamentale de ce que l’on appelle souvent, sans vraiment la ressentir, la désinformation. Malheureusement, il ne faut plus se surprendre de la position souvent malhonnête et biaisée des grands médias quand ils rapportent des soulèvements populaires menaçant le pouvoir ou le statu quo.

« Les systèmes démocratiques fonctionnent différemment [des dictatures]. Il est nécessaire de contrôler non seulement ce que les gens font, mais ce que les gens pensent. Puisque l’État n’a pas la capacité d’assurer l’obéissance par la force uniquement, la pensée peut mener à l’action, et donc toute menace à l’ordre doit être éliminée ou supprimée à sa source » (Noam Chomsky)

Manifestation juin 2012. (Photo: inconnu)
Manifestation juin 2012. (Photo: inconnu)

Une fois établi le constat que l’opinion des autres citoyen-NE-s est une donnée et une valeur sociale importante dont nous devons tenir compte, il faut pourtant se demander quoi faire des médias de masse, tant qu’ils existent et jouissent d’un espace exagéré et illégitime dans la communication politique de notre société. La question de l’opinion publique se pose, que l’on entende dans cette expression la désignation de l’opinion et la sensibilité de nos concitoyen-NE-s pour des questions de justice, ou encore l’opinion publique telle qu’entendue et véhiculée par des médias de masse, reflétée par des sondages biaisés et des intentions de vote. Certain-E-s militant-E-s opteront pour une tentative de conserver à tout prix la bienveillance des médias de masse à leur égard, tandis que d’autres choisiront de contourner ou de rejeter cet intermédiaire pour communiquer avec le public par des moyens et des médias alternatifs.

En tous les cas il convient de faire attention à ne pas organiser des actions directes qui seront enchaînées aux diktats de la société-spectacle et ne s’exprimeront que dans les conditions établies par les médias de masse. On risque alors d’accorder plus d’importance à l’image médiatique qu’à la revendication qui motive l’action, un glissement vers la facilité que l’on devrait éviter, puisqu’il risque de créer une émotion publique peu efficace plutôt qu’une opinion publique. En effet, mobiliser l’opinion publique ne signifie pas de se rallier à n’importe quel prix des voix passives : cela signifie de s’adresser à l’intelligence des gens pour qu’ils fassent front commun contre la violence de l’injustice contre laquelle on se mobilise. La création et le maintien d’un média alternatif ou d’une presse militante a toujours rencontré son lot de défis et d’obstacles. Ces canaux de communication apparaissent pourtant comme nécessaires pour re-politiser les citoyen-NE-s et présenter une critique radicale des injustices et des oppressions.

« Notre but est de donner [à la majorité silencieuse] le moyen de s’exprimer, de lui fournir les arguments dont elle a besoin pour étayer par l’intelligence ce qu’elle sent par le coeur et la peau !» (Pierre Bourgault)