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Lettre de Jean-Philippe Gagliardi

Par 

Cher M. Normand Beaudet,

Je viens tout juste d’apprendre l’existence d’un papier que vous avez écrit et qui a été publié sur plusieurs sites Internet et autres médias daté du 13 mars 2008. Le document traitant du Mouvement des Cadets et du soi-disant producteur de masse d’enfants soldats dont le principal objectif est de tuer ou être tué.

Permettez-moi, monsieur, d’être attristé par vos remarques et de désirer éclaircir votre point de vue par une opinion bâtie sur plus d’une dizaine d’années  dans le Mouvement en tant que cadet et, plus tard, à titre d’officier du Cadre des Instructeurs de Cadets (CIC). Naturellement, il s’agit de mon opinion mais malgré tout, je crois qu’elle est bonne à partager avec vous puisque je suis très déçu par votre attitude cavalière face à un Mouvement que j’ai tant chéri et qui m’a tellement donné… (oui, et je ne suis pas un assassin ni un maniaque assoiffé de sang, rassurez-vous !).

À l’âge de 13 ans, je me suis inscrit dans un Corps de Cadets situé dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. Le Corps de Cadets disposait d’environ une cinquantaine de jeunes que je fréquentais tous les samedis avec un plaisir immense. C’est dans ce Corps de Cadets que j’ai rencontré une foule de jeunes intéressants provenant de plusieurs couches sociales, de plusieurs religions, de plusieurs lieux de naissance… bref, des jeunes très différents qui portaient l’uniforme (qui est loin d’être l’uniforme des Forces Canadiennes en passant). Avec cet uniforme, nous étions tous semblables, on se différenciait uniquement par nos personnalités individuelles et non par la couleur de notre peau, des griffes de nos vêtements, d’un gang quelconque ou de la religion que nous pratiquions. Voilà pourquoi les Cadets portent l’uniforme. Lors des sorties de fins de semaines, les cadets qui le désirent peuvent apporter avec eux une tenue de campagne (qui n’est pas l’uniforme officiel des Forces Canadiennes non plus). Ceci dit, les jeunes qui ne désirent pas porter ces vêtements portent des vêtements ordinaires pour jouer dehors et cela représente la grande majorité des jeunes, croyez-moi. Moi, quand j’étais cadet, j’adorais sincèrement porter ces vêtements mais cela me concerne personnellement puisque, comme vous le savez, le Mouvement des Cadets est une organisation civile, à but non-lucratif et géré par la Ligue des Cadets du Canada (http://www.armycadetleague.ca/) – J’aimerais que vous preniez le temps de lire le code d’honneur en page principale svp.

Au Corps de Cadets, ce que j’appréciais particulièrement c’était avoir la responsabilité d’un groupe, une tâche qu’on se donnait à tour de rôle pour développer notre sens des responsabilités. Je devais m’assurer que les horaires étaient respectés quand on assistait à un cours ou quand on allait faire du sport l’après-midi. Je devais prendre les présences le samedi matin et m’assurer que le groupe était complet tout au long de la journée. C’est de cette façon que j’ai appris que j’étais très à l’aise lorsque je devais parler en public et gérer un groupe. Deux ans après mon entrée au Corps de Cadets, on m’a donné de plus en plus de responsabilités. Je devenais responsable de peloton à l’âge de 16 ans, sergent-major de compagnie à l’âge de 17 ans puis éventuellement sergent major régimentaire à l’âge de 18 ans, le plus haut grade qu’un cadet peut se mériter. À ce moment, j’ai compris qu’on me faisait confiance, que mes pairs me faisaient confiance, que mes officiers me faisaient confiance. Et moi j’ai pris confiance en cette période de profond questionnement qu’est l’adolescence. Naturellement, plusieurs membres ont joint le Corps de Cadets pendant ces années, d’autres ont quitté mais nous étions tout de même une famille très unie. Ce qui dure encore à l’heure actuelle. Mon Corps de Cadets est bien implanté dans le quartier Hochelaga et malgré que la place ait été parfois difficile à faire, à cause de préjugés non fondés à propos du Mouvement, cela fait déjà plus de 50 ans que le Corps de Cadets coexiste dans le quartier. Un élément d’importance est la participation du Corps de Cadets à de nombreuses activités communautaires telles la conception de paniers de Noël ou la Guignolée. Même qu’à certaines occasions, la musique du Corps de Cadets offrait des spectacles aux ainés du quartier.

Une activité que j’aimais moins était la traditionnelle campagne de financement (de 2 à 3 annuellement variant d’une unité à l’autre) qui était nécessaire pour se payer des activités à l’extérieur comme, par exemple : les fins de semaine en forêt, les échanges interprovinciales, les soirées pizza et cinéma, les olympiades sportives, les cours de secourisme d’urgence etc. Tant d’activités qui sont si loin de vos propos traitant de l’entrainement de meurtriers. En plus de ces sorties tant appréciées, il y avait aussi les cours que nous suivions les samedis avant-midi. Ces cours portaient sur les modules suivants (dans l’ordre) :

Exercice militaire,

Formation élémentaire,

Entraînement aventurier,

Carte et boussole,

Adresse au tir,

Art oratoire,

Art du commandement,

Citoyenneté,

Conditionnement physique.

Dernièrement, je me suis intéressé au questionnaire que l’on soumet aux nouveaux arrivants au Canada. Dans une certaine émission de télévision, on a fait passer le questionnaire à plusieurs personnes canadiennes de souche qui ont, pour la majorité raté un paquet de questions. Moi, j’ai répondu à ces questions très facilement parce que c’est ce genre de sujet dont il est question dans les cours destinés aux Cadets. En plus, il y a des composantes relatives aux sports et à la citoyenneté. Notons qu’un des buts du Mouvement des Cadets du Canada est de former de bons citoyens. Ce que je préférais, c’était l’entraînement à la carte et boussole dans lequel j’excellais. Un autre domaine ou j’étais très bon était le tir de précision. J’ai eu la chance d’aller suivre un cours de six semaines en Ontario dans l’espoir de participer à la compétition internationale à Bisley en Angleterre. Ce qui ne s’est malheureusement pas produit parce que j’ai choisi de changer de branche et de me lancer dans l’entrainement d’aventure. J’ai donc pu suivre un cours de six semaines à Cap-Chat en Gaspésie (les cours ne sont pas rémunérés pour les Cadets, ils reçoivent environ 100 $ par semaine pour se payer une collation ou des souvenirs ou des articles de soins personnels etc.). Ce centre est maintenant fermé et on a redirigé les cours à Québec. Ce cours est divisé en quatre parties : Deux semaines de préparation de leçons puisque c’est un cours pour devenir instructeur, une semaine d’expédition en montagne, une semaine de canot camping en eau-vive, une semaine d’escalade sur paroi naturelle. La semaine restante est divisée en journées de repos et de visites culturelles en Gaspésie. Croyez-moi, ce cours m’a transformé et à cet endroit j’ai appris non seulement à me dépasser mais aussi à aider mon prochain dans des situations d’aventure et j’en suis encore nostalgique. Plus tard, je suis devenu cadet-instructeur (emploi rémunéré) sur ce cours et je supervisais la sécurité de 30 jeunes avec un adulte officier. Ce n’est pas des belles responsabilités pour un jeune de 17 ans mon cher monsieur ? Veuillez excuser le ton. À toutes étapes de mon cheminement dans les Cadets, j’ai reçu plusieurs trophées et récompenses pour mon esprit d’équipe, mon leadership, mes résultats sportifs (notez qu’un autre but du Mouvement des Cadets du Canada est de favoriser l’esprit sportif), etc. Vous devriez voir le mur de la maison de mes parents aujourd’hui encore tapissée de plaques diverses qui sont encore très chères à mes yeux.

En plus des plaques, sur le mur règne fièrement ma commission d’officier des Forces Armées Canadiennes. À l’âge de 20 ans, j’ai décidé de rendre au Mouvement ce qu’il m’a donné en m’impliquant à titre d’adulte responsable. J’aurais pu également demeurer civil comme c’est le cas pour plusieurs adultes cadres dans le Mouvement. Le CIC (Cadre des Instructeurs de Cadets) est effectivement une branche de la Réserve des Forces Armées Canadiennes. L’exception qui sépare le CIC est qu’aucune instruction relative au combat n’est prodiguée. Les cours reçus sont relatives à la pédagogie, à la supervision d’activités, de leadership, d’entraînement aventurier en toutes saisons, au soutien de personnes en situations difficiles, à la prévention du suicide, etc. Ce n’est pas pour rien que plusieurs CIC sont enseignants, psychothérapeutes, intervenants avec les jeunes qui le font majoritairement bénévolement. Il m’est arrivé à plusieurs reprises d’aider des jeunes en situation de pauvreté, de problèmes scolaires etc. Ce qui est merveilleux est lorsque, pour ces jeunes, une petite réussite avec les Cadets les pousse à persévérer à l’école et dans la vie. Je ne connais pas beaucoup d’organisations dont la structure et l’encadrement sont si professionnels et par des individus de qualité comme j’en ai rarement vu ailleurs. Pour moi, en plus d’être motivé à travailler avec la jeunesse canadienne, j’y ai fait les plus belles rencontres de ma jeune vie et je garde encore contact avec des personnes à travers le pays et le monde avec qui j’ai passé des moments de qualité et dont la séparation est toujours douloureuse. J’essaie de bien choisir mes mots afin de communiquer tout ce que mes émotions se bousculent à vouloir vous transmettre.

Aujourd’hui, je ne suis plus un membre actif de ce Mouvement. J’ai du prendre du recul à cause de d’autres projets de vie que j’ai entrepris. J’ai donc du déposer l’uniforme pour poursuivre des études doctorales en Sciences de l’Administration, ce qui demande beaucoup de temps. Avec le recul, je suis toujours capable de dire que plusieurs des qualités que je possède aujourd’hui me viennent du Mouvement. D’abord mon aptitude à m’exprimer clairement, dans cette lettre, oralement devant un groupe et toujours dans les deux langues officielles. De plus, mon leadership qui se manifeste dans tout projet entrepris en équipe et qui n’est que facilité par le respect que j’ai envers mes pairs et mes supérieurs (car dans toute organisation il existe une forme de hiérarchie). Finalement, j’entretiens toujours la même passion pour le plein-air que je pratique encore aujourd’hui et que j’ai pu développer gratuitement lors de mes années à titre de Cadet.

Finalement, je ne connais que très peu de personnes qui ont poursuivi une carrière militaire après avoir été dans les Cadets. Je n’ai aucune statistique à vous donner qui soit digne de citation mais c’est réellement très peu. Selon mon humble expérience, moins d’une fraction de 1% et des gens, j’en ai rencontré en plus de 10 ans). Une plus grande proportion de mes camarades sont devenus CIC par exemple, ah ça oui ! Mais c’est une perspective très différente de la vôtre. Pour conclure, ce n’est pas parce que j’insiste sur le fait que les Cadets ne sont pas des soldats qu’il faut négliger nos Forces Armées Canadiennes. Naturellement vous êtes un pacifiste et ça je comprend et je respecte. Moi aussi je me considère comme tel. Cependant, je trouve vos propos insultants pour les familles des soldats blessés et morts au combat. Ce que je remarque est que dans votre élan contre la violence, vous ne compreniez pas que les soldats ne sont pas la cause de la guerre. Du moins dans les pays tels le nôtre. Ces gens font un travail digne de tout notre respect dans des conditions horribles parce qu’on leur a ordonné. Pour que cet ordre soit donné, il doit y avoir une cause fondamentale. Travaillons à cette cause, je suis de votre côté. Ceci dit, j’espère que vous prenez les transports en commun !

Pourquoi ne pas prendre une journée et aller voir ce qui se passe réellement dans les Corps de Cadets au lieu de jouer les éditorialistes et noircir mes plus belles années de jeunesse de vos propos malveillants et non fondés qui confondent le fléau des enfants soldats  à des Cadets ici au Canada. Le terme soldat, aux mains du reporter est un terme dangereux. Cependant rappelons-nous de certains héros canadiens DE PAIX tels le général Roméo Dallaire pour qui j’ai une estime immense. Monsieur, vos propos me font violence !

J’aimerais bien voir ma réponse à la suite de votre article sur votre site afin de montrer que votre organisation (www.nonviolence.ca) en est une de vérité et d’intégrité. De mon côté, je vais faire circuler ce commentaire via Internet.

Jean-Philippe Gagliardi