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Le bucolique monde agricole. (1)

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Le Québec royaume du producteur, et de la précarité du travailleur.

Le discours sur l’autosuffisance alimentaire, et de l’achat local est dorénavant bien dans l’air du temps.

Je suis parmi les travailleurs québécois qui ont répondu « présent » au programme « J’y vais sur le champ ». Je suis passé à l’action avant même l’appel aux champs du Premier Ministre. Dès le début de la crise à la mi-mars, j’ai fait des pieds et des mains pour me placer en milieu agricole dans la région de Chaudière-Appalaches. Un véritable parcours du combattant. Je comprends pourquoi je suis parmi le faible nombre de travailleurs ayant été capable de se placer dès le printemps. Le milieu ne s’intéresse tout simplement pas aux travailleurs québécois.

La première raison est le très grand nombre de producteur qui sont totalement dépendant de la main d’œuvre étrangère, plus performante. La seconde raison me semble être que l’UPA, en charge du programme réponds aux priorités des producteurs, non pas des travailleurs.

Employés locaux

Culture de l’employé jetable.
Plusieurs textes et témoignages ont récemment été publiés sur le travail aux champs. On a souligné le fait que le travail y est difficile, on y est exposé aux éléments. Le constat est que souvent le travail s’effectue dans des positions inconfortables, qu’il est souvent routinier et les successions d’insectes n’atténuent pas les défis. Dans les productions à large échelle le rythme imposé est difficile et les salaires plutôt faméliques. Ce serait essentiellement les facteurs limitant la main d’œuvre agricole.

Mais même à l’aube de la soixantaine, on arrive à s’ajuster à tous ces défis qui comptent parmi les facteurs diminuant l’attrait du secteur d’emploi. Mais, il y a plus important encore. D’autres facteurs liés au travail expliquent le manque d’intérêt de la main d’œuvre pour ce secteur névralgique, essentiel à notre sécurité.

Nous sommes à la fin juin, j’apprends ce lundi matin que mon troisième employeur de la saison n’a plus besoin de mes services, je m’y attendais un peu. « Pas assez athlétique le vieux, semble-t-il ? » La performance n’y est pas. Décidément, je n’ai plus l’impression d’être indispensable pour ces gens. L’an dernier j’avais participé aux récoltes maraîchères par intérêt, et pour aider un employeur maraicher aux récoltes. Suite à la fin de la période des emplois étudiants le producteur était mal pris. Je me porte volontaire tout en m’inscrivant à une formation. Mais, entre autres facteurs, dès la réduction des besoins les plus intenses au champ, on m’avait cavalièrement congédié sans préavis. Entrée en matière difficile dans le secteur agricole, disons.

En cette année de crise COVID, j’ai relancé. C’était le contexte idéal pour aborder le travail agricole. Première surprise, malgré les alertes, il n’est pas facile en avril de trouver un emploi. Je suis embauché au mois de mai pour un employeur qui ne croyait pas pouvoir embaucher son employé âgé, plus à risque. Dès que la crise s’est atténuée, on m’a avisé que l’employé revenait, et c’était ma dernière semaine. Pour le second emploi en temps de crise, pendant quelques semaines on m’a fait exécuter une tâche essentielle pour laquelle j’avais acquis la compétence dans le secteur des arbustes à petits fruits. Au moment où il devenait tard dans la saison pour cette tâche, on me congédie sans plus de préavis.

Le dernier emploi dans une micro-production maraîchère n’a duré que quelques jours. Je ne répondais pas aux objectifs productivistes de la productrice, pas assez en forme. On n’a pas osé me dire trop vieux je présume. Le facteur commun de toutes ces situations; lors de l’embauche tous ces employeurs ont prétendu être mal pris, et avoir du travail en masse jusqu’à la fin de la saison. Ce n’était manifestement pas le cas.
Le syndrome de l’employé jetable a toujours pris le dessus. Le phénomène de l’an dernier, s’est répété cette année; et trois fois, coup sur coup!

Ironiquement, certains employeurs m’ont relancé par la suite, et j’ai dit non. Cette histoire n’est certainement pas le fruit du hasard.

Travailleurs étrangers

Productivisme imposé par la faible rentabilité.
Bien entendu il y a le facteur de la préférence pour les travailleurs étrangers. Je n’ai ni leur productivité, ni leur endurance dans le champ. Eux consentent à ce sacrifice temporaire pour améliorer leur statut, un contexte bien particulier.

Mais aucun de ces employeurs n’utilisait de travailleurs étrangers. Je n’étais peut-être pas à la hauteur, mais aucun de mes superviseurs immédiats, sauf le dernier n’a émis d’avis négatif sur mon travail.

Les incertitudes associées à l’industrie sur lesquelles insistent les producteurs semblent inciter les employeurs à dire ce que le candidat veut entendre à l’embauche. Les agriculteurs opèrent dans une conjoncture d’incertitude météorologique et financière; il faut le reconnaître. Souvent lourdement endetté pour les équipements et installations, le producteur semble jauger et ajuster son besoin en cours de route.

Ce qui est tragique, c’est que l’employé ne compte que pour peu dans l’équation. Dès que la tâche identifiée prioritaire; plantations, récoltes, sarclage, taille ou autre est terminée, on congédie. On est dans un environnement ou le producteur agricole a tous les droits, et ou l’employé oeuvre dans la précarité la plus absolue est à sa merci!

L’environnement de travail contribue aussi au manque d’attrait. Les brèches aux conditions élémentaires de santé et sécurité au travail, la pression pour plus de productivité et les mises à pied instantanées sont la norme. Il ne semble exister aucun souci pour la réputation ou pour la pérennité de l’industrie, la rentabilité immédiate prime. Cette incroyable précarité des conditions de travail est probablement la principale raison qui explique la mauvaise réputation des employeurs de l’industrie agricole, et le peu d’intérêt qu’elle suscite chez les travailleurs au Québec. On y cumule des statuts contractuels à court terme et saisonniers; la précarité et l’absence de bénéfices marginaux, le congédiement sans préavis et la culture de l’employé exécutant; et surtout docile. A quelques exceptions près, on ne se gêne pas pour exiger la performance et le rendement peu importe la disponibilité de la main d’oeuvre. Nous avons ici un secteur d’activités pour lequel le salaire minimum est trop cher, et qui est complètement accroc aux programmes de soutien de l’État.

Cette réalité du secteur est totalement incompatible avec l’importance névralgique de cette industrie. Elle est aussi en dissonance avec les prétendus besoins criants de personnel tant diffusés. Curieusement, lorsqu’on mentionne à des résidents en milieu rural qu’on travaille dans les champs, le regard de l’autre prend un air incrédule. C’est principalement cette réalité qui aurait rendu le travailleur étranger indispensable à la production. Évidemment, qui au Québec peut bien aspirer à de telles conditions?

Le Royaume des producteurs.

Mais qu’est-ce qui explique une si faible considération pour le travail agricole et les travailleurs.

Nous sommes dans une industrie dominée au Québec par l’Union des producteurs agricoles (l’UPA); un regroupement qui défend les intérêts des producteurs. On y défend surtout les intérêts des grands producteurs, qui ont acceptés les impératifs de la production industrielle à grande échelle, souvent basée sur des quotas de production. On produit des aliments au volume par une activité basée sur l’importation de grosse machinerie et d’intrants, pour satisfaire les marchés d’exportation. Ce créneau commercial qui vise à affecter la balance commerciale nationale, semble être le seul endroit où les employés compétents et plus spécialisés bénéficient d’un minimum de bénéfices.

Les plus petits producteurs, obligés d’être membres de l’UPA se voient offrir un certain nombre de services. Ils y obtiennent surtout un appui; via des regroupements de producteurs dans chacun des secteurs de production (fruits, céréales, bovins etc…). Des producteurs qui rejettent les approches plus conventionnelles de la grande UPA, ont formé l’Union Paysanne une autre association de plus petits producteurs, souvent artisanaux. Les producteurs sont donc représentés de diverses façons dans leur secteur économique. Plusieurs de ces petites productions ne se permettent pas d’employés.

Mais du côté de la défense des droits des travailleurs c’est le vide. Au Québec, la syndicalisation du monde agricole ne s’est jamais vraiment matérialisée. Au Québec, les conditions de travail ne sont défendues par de grandes centrales généralistes, et que dans le cas de quelques très grands producteurs tout au plus. On est véritablement du pour une réforme en profondeur de cette industrie.

Nous sommes dans un secteur d’activité économique critique, et incroyablement dépendant des importations. Chaudière-Appalache est une région agricole qui était déjà en pénurie de main d’œuvre avant la crise sanitaire. L’endroit est idéal pour jauger les besoins de travailleurs aux champs. Mon constat, est que les besoins sont très limités contrairement à ce que nous laissent croire la nouvelle médiatisée. A chaque congédiement, il fallait enfiler des dizaines de téléphones à partir de liste d’employeurs ayant des besoins fournis par les bureaux de l’UPA. Un échec lamentable, ces listes n’étaient pas à jour et il n’y avait généralement pas de besoin, sauf éventuellement pour les récoltes. Seuls les contacts personnels ont mené à des résultats. Je me suis mainte fois fait répondre qu’on attendait la clarification de la situation au niveau des travailleurs étrangers. L’UPA n’était pas organisée pour gérer le programme qui aurait du faciliter la vie des travailleurs.

Le producteur se dit continuellement en situation de précarité, semble incapable de s’ajuster, et congédie souvent à la vitesse de l’éclair. L’employé dont il semble avoir tant besoin pour des tâches précises est le simple exécutant, rapide et docile. On est bien loin de conditions d’emploi enviables. Et ce travail sans attaches ni contrepartie, c’est exactement ce qu’offrent les travailleurs étrangers.

On est dans une industrie qui, curieusement, fonctionne en silos étanches. Le producteur en serres qui fait ses semis en hiver, ne parle pas au producteur de petits fruits qui a besoin de tailleurs de plants au printemps, qui lui ne parle pas au producteur d’asperges qui doit récolter rapidement en début d’été, qui lui ne parle pas au producteur de fraises pour la période de récolte qui suit et qui eux ne parlent pas aux maraîchers pour les récoltes de la fin juin, de juillet et d’août. Et eux ne parlent pas non plus aux producteurs de pommes et de raisins en prévision de l’automne. Ce cloisonnement en secteurs d’activité est favorisé par les regroupements par domaines de production de l’industrie; et attisent la précarité de la réalité des travailleurs.

Bref, le travailleur butine de mandats en mandats. Il ne peut pas compter sur un engagement sérieux de la part des employeurs, ou d’un regroupement d’employeurs. Hors des grandes productions, cette industrie est complètement désorganisée, et enlisée dans des habitudes d’un autre temps.

Dans de nombreux cas, les producteurs agricoles n’ont pas choisi la voie industrielle. Leur production est passée de la ferme familiale ou on embauchait les proches, à la petite entreprise commerciale dont le statut financier reste précaire. Cette migration a forcé les producteurs à s’organiser et défendre leurs intérêts. Au Québec, le secteur ne semble pas encore avoir pu s’ajuster à une main d’œuvre qui se raréfie. Encore moins à une main d’œuvre académiquement mieux qualifiée. On est très loin d’une industrie en mesure de professionnaliser ses ressources humaines.

Puis, la magie du mondialisme a fait apparaître à coup de grands soutiens de l’État le providentiel travailleur étranger. Nous connaissons la suite de l’histoire.