Pour beaucoup de personnes, la paix est associée purement et simplement à l’absence de guerre. La guerre et les moyens pour la mettre en œuvre sont en constante évolution. La paix et les moyens de la mettre en place devraient évoluer de la même manière.
Nous connaissons bien les moyens de faire la guerre de façon efficace : les armées, les bombes, la stratégie, la guérilla, les attentats, les offensives, etc. Connaissons-nous autant les moyens nécessaires à faire la paix ? Il serait intéressant de sonder les gens sur cette question.
Les conditions pour bâtir la paix?….
Les gens reconnaissent que les moyens pour bâtir la paix se trouvent dans les actions pour construire une justice sociale et la démocratie participative. Il semble par contre difficile pour eux d’identifier les pierres d’assises sur lesquelles la paix se construit. On soupçonne que les moyens de construire la paix se trouvent aussi dans tous les mécanismes qui permettent aux gens d’assurer la sécurité de leurs proches et leur propre sécurité. On sait que la sécurité, et l’insécurité, touchent tous les éléments essentiels de la vie en société, les droits fondamentaux de la personne : le droit au logement, à une alimentation et à un approvisionnement en ressources essentielles à la survie de base. Depuis longtemps on constate que l’impact de l’insécurité alimentaire est tout aussi important que celui de l’arbitraire d’un système policier ou de la menace d’une agression armée. De façon intuitive, la majorité des personnes peuvent se faire une image de ce qu’est la paix et des conditions dans laquelle elle peut se réaliser.
Nous constatons quotidiennement que la guerre trouve un terreau fertile dans les lieux où les gens vivent l’insécurité, la méfiance et l’incertitude chroniques. La peur engendre souvent l’agressivité et culmine en un recours à la violence. Ce recours à la violence devient le moyen d’éliminer l’autre qui nous menace. Les sociétés ont appris à réagir à cette violence qu’elles ne contrôlent pas. L’histoire de l’humanité a depuis longtemps prouvé que le recours à la violence engendre chez les personnes un cycle de peur et de violence pour se protéger. Le déclenchement de ce cycle mène à la dissémination de la haine et des préjugés, qui génèrent à leur tour des actes d’agression et de vengeance pour culminer le plus souvent en guerres sanglantes et très souvent inutiles.
On sait pourtant qu’une société qui s’investit dans ce qu’elle perçoit comme la construction de la justice et de la démocratie ne peut pas prétendre garantir la paix. Ces pays où il n’y a souvent qu’apparence de démocratie s’acharnent à protéger ces acquis en développant leur structure militaire. Les dépenses militaires deviendraient selon eux le meilleur gage de sécurité des populations bénéficiant de la démocratie et de la justice. L’adage bien connu « Si tu veux la paix prépare la guerre » prend ici tout son sens. Il illustre parfaitement la réaction des sociétés qui atteignent une apparence de démocratie basée sur le confort des populations qui y habitent et qui cherchent à protéger l’état d’aisance qu’elles ont atteint.
Une sécurité éphémère
La sécurité que procure l’aisance intellectuelle et matérielle des populations occidentales protégée par la muraille militaire semble pourtant, pour un nombre croissant de personnes, de plus en plus éphémère et fragile. On se questionne sur l’état du climat à l’échelle du globe, entre autre au niveau de la couche d’ozone et du réchauffement de la planète. L’attentat du World Trade Center a révélé de façon fracassante les faiblesses du mur de protection érigé par le complexe militaro-industriel occidental. La contre-offensive militaire au terrorisme qui est en train d’embrasser le Moyen-Orient contribue à nourrir les appréhensions. Les crises successives d’infection ayant déstabilisé récemment la totalité du marché des viandes sur le marché européen illustre une autre faille dans l’approvisionnement en biens essentiels. Tous ces événements ne sont que les illustrations les plus flagrantes de l’insécurité croissante qui frappe de plus en plus directement les populations des sociétés aisées. Les enjeux de sécurité ont considérablement grimpé dans l’échelle des priorités pour de nombreuses personnes, et ce n’est malheureusement qu’un début.
Le Québec n’est pas épargné par cette réalité. La crise du verglas a révélé d’importantes failles dans notre système ultra-centralisé d’approvisionnement en énergie. Le problème des eux et des précipitations lève d’importants questionnements sur notre dépendance par les voies maritimes. La sur-spécialisation agricole dans l’industrie porcine au Québec menace l’approvisionnement en eau potable d’un nombre croissant de communautés rurales. L’exploitation commerciale abusive de certaines espèces de poisson a entraîné un dangereux déclin de la pêche commerciale en Gaspésie. La liste des évènements récents illustrant la vulnérabilité des structures d’approvisionnement de nos sociétés modernes pourrait s’allonger. Sommes-nous condamnés à vivre dans un climat d’insécurité chronique?
La logique de la guerre
Les structures militaires sont sensées assurer la sécurité des populations face aux menaces extérieures qui peuvent déstabiliser l’état mis en place par les populations ayant participé à l’exercice électoral. Les structures militaires ont été développées, il y a plusieurs siècles maintenant, dans un contexte où la menace numéro un à laquelle faisait face une société était l’agression armée provenant d’une autre société ou de groupes armés d’individus. La logique militaire était simple : L’ennemi était un envahisseur, la meilleure protection contre l’envahisseur était de l’empêcher à tout prix de pénétrer sur notre territoire. Pour répondre à cet impératif, il s’agissait de développer les moyens militaires nécessaires pour contrer ou surpasser les moyens militaires de l’adversaire, et notre sécurité était assurée. L’agression était perçue comme un moyen efficace de défense, les dommages touchaient l’ennemi sur son territoire. Cette logique a été poussée jusqu’à son paroxysme avec l’avènement des moyens de destruction massive. La logique militaire traditionnelle a été maintenue, mais la doctrine a été ajustée à la dissuasion nucléaire. En cas de guerre, la destruction mutuelle étant assurée, la logique voulait qu’une agression ne soit jamais lancée. La forte probabilité d’accident ne pesait pas lourd sur la balance des analystes. L’agression selon les stratèges, grâce aux armes nucléaires, devenait en apparence improbable, notre sécurité était donc assurée.
On constatait la première faille majeure dans la logique plusieurs fois centenaire de la guerre. La logique de la protection du territoire ne tenait plus de toute évidence. On ne pouvait plus se protéger contre une agression nucléaire, on ne pouvait que se contenter de dissuader l’autre de passer à l’agression. La panoplie des moyens conventionnels de combats perdait en grande partie sa raison d’être. Les armes conventionnelles devenaient beaucoup plus des moyens d’affirmer une présence sur un territoire, de le patrouiller ou de l’occuper en vue d’en faire respecter les lois. L’évolution des moyens de combats, les avions supersoniques, les missiles guidés à longue portée, les sous-marins à longue portée et les porte-avions géants rendaient futile tout effort en vue de protéger les frontières. Plus encore, l’idée de prendre possession d’un territoire, de ses populations et de ses richesses ne tenait plus. Cette notion d’occupation d’un territoire ennemi, souvent essentielle pour s’approprier ses richesses et ses ressources convoitées, perdait tout son sens. La guerre ne devenait plus qu’une entreprise d’intimidation utilisant des moyens de destruction insensée. La logique de la guerre, de la protection du territoire et de la mise en échec d’une prise de contrôle ne tenait plus. Dans le cas du Canada, avec un territoire qui s’étend sur près de 10 millions de kilomètres carrés, peuplé de moins de 25 millions d’habitants, situé en sandwich entre les deux super-puissances la logique était absurde depuis longtemps.
La recherche d’une alternative
Jusqu’à ce jour les armées et leurs dirigeants ont continué à miser sur la logique de guerre traditionnelle pour justifier l’acquisition de nombreux systèmes d’armes et le maintien de forces terrestres, navales et aériennes. L’interventionnisme militaire dans des conflits régionaux est plus que jamais à la mode. Le tout a commencé par le militarisme accru dans les interventions des forces de maintien de la paix de l’ONU. Par la suite, nus avons vu poindre des offensives militaires face à la drogue et maintenant la lutte offensive qui vise le terrorisme. L’interventionnisme militaire semble devenir la seule voie qui puisse justifier le maintien de moyens militaires conventionnels. L’offensive redevient, comme au temps de jadis, la seule voie de protection efficace face à l’arme des pauvres dans sa nouvelle forme suicidaire, le terrorisme.
La réflexion sur les moyens militaires a mené de nombreux chercheurs depuis le début des années 1970 vers la recherche d’alternatives au militarisme. L’absurdité de la logique de guerre, la désuétude de la logique de protection, les coûts monstrueux des technologies militaires ainsi que l’avènement d’une panoplie de nouvelles menaces tout aussi imminentes que celle de l’agression armée a stimulé et justifié ce travail.
L’évaluation détaillée des mécanismes de lutte sociale utilisés au cours de l’histoire par les populations pour protester contre les injustices, résister à l’occupation, renverser des régimes totalitaires et faire valoir leurs droits a permis de concevoir une toute nouvelle façon d’entrevoir les enjeux relatifs à la paix et à la sécurité. L’objectif de l’agression armée est soit de neutraliser un adversaire menaçant soit de prendre le contrôle de nouvelles ressources dans un pays ennemi. La première justification de l’agression armée perd sa raison d’être si l’infrastructure de défense d’un état n’a aucune caractéristique offensive : on parle ici de systèmes de défense dont la structure n’offre pas de possibilité d’agression. Pour la seconde justification, la prise de contrôle de ressources afin de pouvoir en profiter, demande que l’occupant bénéficie d’une certaine collaboration des populations du pays qui subit l’agression. La simple occupation physique d’un territoire ne garantit en rien que l’agresseur pourra profiter de cette situation. Nous avons ici les bases d’un système purement défensif, qui ne vise plus la protection des frontières, mais la résistance à l’envahisseur.
La dissuasion populaire, une avenue à explorer
La défense civile non-violente, la dissuasion civile ou la dissuasion populaire, est une des avenues qui ont été proposées comme alternative à la défense militaire. Ce système de défense ne voit pas l’occupation du territoire et la prise de contrôle militaire d’un état comme une défaite, mais comme le signal pour engager la lutte. La base de la stratégie de lutte est de rendre l’occupation aussi indigeste que possible en évitant d’avoir recours à la violence afin de ne pas stimule les mécanismes de cohésion naturels qui soudent la solidarité des soldats en situation de guerre. L’ennemi devient difficile à identifier, il n’affronte jamais directement et peut nuire au processus d’occupation de partout. Le refus de collaborer et la nuisance systématique doivent devenir un réflexe naturel pour les résistants.
Tout au long de l’histoire et particulièrement au cours de ce siècle, des dizaines d’évènements qui se sont produits aux quatre coins du monde ont été documentés et ont illustré de façon parfois décisive la capacité des masses de déstabiliser, renverser des régimes ou des systèmes totalitaires. Ces mouvements de résistance ont été plus souvent qu’autrement improvisés, se sont matérialisés en un laps de temps assez court et ont bénéficié de faibles moyens, mais ont produit des résultats parfois surpren
ants, au-delà même de toutes les attentes. La lutte de Gandhi contre l’empire colonial anglais en Inde en est un exemple flagrant et connu. On parle souvent de la lutte de Martin Luther King pour les droits civiques aux États-Unis. Il est par contre moins connu que de nombreuses dictatures (Marcos aux Philippines, le Shah en Iran, de nombreux dirigeants et occupants en Europe de l’Est) ont goûté à la médecine de la lutte populaire non-violente. Les moyens d’action utilisés jusqu’à présent se comptent par centaines et, pour la grande majorité d’entre eux, nous sommes devant des moyens improvisés.
Le défi est de bien comprendre les mécanismes au cœur des mouvements de résistance mis en œuvre par les populations civiles. Une excellente compréhension de ces mécanismes peut permettre de déterminer les conditions et les outils capables d’optimiser l’efficacité de ces moyens de résistance. Ériger les moyens de résistance populaires en système de défense représente tout un défi. Les questions qui se posent sont multiples. Comment organiser les populations? Comment les former? Comment les outiller afin de retirer plus facilement et plus efficacement à l’occupant les avantages de son agression? Quelles sont les conditions économiques sociales et politiques qui permettront aux personnes d’avoir la force et le désir profond d’en finir avec l’occupation? Comment organiser la société afin que son infrastructure soit moins vulnérable et qu’elle permette une résistance des populations?
Plusieurs éléments ressortent des études en cours sur la résistance populaire. Un nombre considérable d’événements historiques ont été répertoriés et ces événements confirment la puissance de la lutte populaire et de la résistance non militaire comme outil de transformation politique. L’allégeance des citoyens doit être un acquis dans une société qui voudrait mobiliser et préparer sa population à la résistance populaire, car les moyens de lutte peuvent très bien être utilisés pour lutter contre un gouvernement en place, les auteurs d’un coup d’état ou une force d’occupation. La structure économique d’un état qui choisirait les moyens de résistance civile pour protéger son intégrité sociale et politique devrait être décentralisée. La société devrait faire en sorte que la population reste capable de subvenir à ses besoins fondamentaux en termes d’alimentation, d’eau, de chauffage, de communication et de transport, même en situation de représailles par les dirigeants qui imposent leur domination par la violence. Une société a le devoir de prévoir les moyens pour se défendre. Ces moyens ne sont par contre pas incompatibles avec les intérêts des populations.
Une série de facteurs devraient faire en sorte que les personnes qui croient fondamentalement à la paix contribuent à l’avancement de la réflexion sur les alternatives de défense non-militaire et populaire. Ce mode de défense est cohérent avec les valeurs de respect de son prochain. Il permet de revendiquer la justice sociale et économique sur la base de la sécurité nationale, l’allégeance des populations étant un des fondements du désir de résistance. Les infrastructures nécessaires à la mise en œuvre de la stratégie de défense sont en harmonie avec les principes de base de décentralisation, d’autonomie, d’un seuil d’autosuffisance minimal en besoins essentiels et de l’usage de technologies au service des personnes. La réflexion sur un système de défense qui renouvelle la conception de la sécurité, une défense basée sur une vision plus globale des menaces qui pèsent sur la race humaine et qui met la personne au cœur de sa structure est une nécessité absolue en ces temps de remous politique.
Repenser la sécurité sur de nouvelles bases et revoir en profondeur ce que veut dire la défense d’un État seront des entreprises qui nécessiteront de réviser en profondeur l’organisation sociale et politique. Toutes les branches de spécialités peuvent y contribuer; c’est la seule voie possible vers la construction d’une paix durable où les ressources financières engouffrées annuellement dans les équipements militaires pourront être redirigées vers des activités sociales adaptées à la réduction de la vulnérabilité.
Pouvez-vous imaginer qu’un jour, pour des raisons de sécurité nationale, des fermes familiales soient supportées par les fonds du ministère de la défense populaire? Ou encore que ce ministère pourrait imposer son veto sur un méga projet de centrale électrique parce que ce projet augmenterait la vulnérabilité des infrastructures du pays? Pourrions-nous envisager qu’un quartier pauvre soit pris en charge, et supporté pendant une période donnée afin de favoriser son développement, car la pauvreté et le désenchantement d’un bassin de citoyens menaceraient la capacité de résistance nationale en situation de conflit?
La paix n’est pas que la simple absence de guerre, c’est un véritable projet de société.