Bien des gens reconnaissent que la violence est omniprésente et largement acceptée dans notre société. Elle affecte nos vies et celles de nos proches. Mais peu acceptent d’affirmer qu’elle est présente dans leur milieu de vie immédiat.
C’est le cas également pur la vaste majorité des écoles avec lesquelles le Centre a collaboré. Tout événement violent touchant de près une institution scolaire entraîne dans les jours qui suivent une déclaration de la direction affirmant que l’événement est un geste isolé et qu’il n’y a pas de violence dans leur école. Pourtant, lors de visites, de nombreux événements violents nous sont rapportés. La reconnaissance que la violence est à nos portes est pourtant d’une importance capitale. C’est elle qui ouvrira la voie à la mise en place de programmes de prévention de la violence.
Au grand désespoir de plusieurs personnes qui consultent les services du Centre, il n’existe pas de recettes miracles qui viendront à bout sans trop d’efforts des problèmes de violence. Il est possible, dans une démarche à long terme de prévenir des situations de violence en s’attaquant aux causes de cette violence. Les pompiers ont depuis longtemps compris que la meilleure façon de combattre les incendies, c’est d’agir de façon préventive sur les causes d’incendies. Avec l’aide d’outils adéquats, on peut réduire considérablement les situations de violence. Lorsque le feu est pris, il est trop tard pour se munir d’équipements pour combattre les incendies.
Identifier les situations de violence
Au niveau individuel :
-Autodestruction : drogue, alcool, suicide, auto-mutilation, prostitution, boulimie, anorexie, etc…
-Agression physique : viol, meurtre, bataille, assaut avec blessures et brutalités diverses;
-Domination psychologique : chantage, « taxage », domination, exclusion, harcèlement, intimidation par la destruction de biens;
Au niveau collectif :
-Agression physique : terrorisme, lynchage, guerre de gangs, règlement de comptes;
-Domination psychologique : abus de pouvoir, contrôle abusif, autoritarisme, intimidation, asservissement;
Très peu d’intervenants semblent définir ces multiples problématiques comme diverses formes de violence. Les actes de violence autodestructeurs se caractérisent pourtant par de profondes difficultés à entretenir un contact avec les autres, le développement d’une attitude d’isolement social, une profonde baisse de l’estime de soi affirmée ou pas, et un évident processus de destruction physique de la personne. Cette forme de violence regroupe plusieurs caractéristiques qui se retrouvent dans les actes d’agression qu’on définit couramment et sans hésitation comme de la violence.
C’est en identifiant correctement les actes de violence qu’on peut cerner l’ampleur des problèmes auxquels on fait face. C’est aussi de cette façon qu’on peut évaluer l’impact d’un programme visant à remédier aux causes de la violence.
La réaction du milieu :
Ces dernières années, les milieux de l’éducation ont eu recours à de nombreux moyens pour tenter de contrer les diverses formes de violence. Ces moyens peuvent être classés en trois grandes catégories :
Moyens coercitifs :
Les moyens coercitifs sont utilisés depuis longtemps pour garder le contrôle sur les étudiants. Aujourd’hui ils vont jusqu’à la surveillance systématique, les contrôles administratifs et physiques très serrés (caméra, vidéo, grillage), la répression (punition, retenue, exclusion, expulsion). Beaucoup croient que la seule façon d’imposer une discipline aux jeunes, c’est de recourir à ce type de moyens. Certains vont même jusqu’à demander le retour aux châtiments corporels.
L’utilisation des moyens coercitifs comporte des conséquences dont on ne tient pas toujours compte. Les symptômes de la violence sont peut-être camouflés, mais les frustrations et les conflits à plus faible intensité se multiplient tandis que s’accentue le niveau des tensions dans les relations interpersonnelles. Les résultats peuvent être tragiques : exportation de graves problèmes de violence dans le milieu environnant aux dépens de la réputation de l’école, avènement d’actes désespérés, suicides, meurtres, actes criminels ou de révolte.
La contre-violence est un engrenage dangereux. L’efficacité apparente des moyens qui l’accompagnent la rend alléchante. Mais l’escalade des moyens de représailles qui suivent son utilisation la discrédite. Il faut donc trouver des moyens efficaces qui se dissocient clairement d’une attitude de bras de fer.
Moyens éducatifs et moyens de diversion :
Les moyens éducatifs comprennent les cours thématiques qui présentent diverses problématiques liées aux relations avec les autres, l’intervention d’invités provenant du milieu communautaire, la diffusion d’informations par des dépliants et des kiosques. Les activités sociales, éducatives et sportives, qui sortiront les jeunes de la rue peuvent compter parmi les moyens de diversion. Tous ces moyens sont utilisés de façon croissante pour faire face aux divers aspects de la violence.
Évidemment, ils informent et sensibilisent les jeunes. Ils peuvent occuper le temps afin que les jeunes ne puissent faire des « bêtises ». Grâce à eux, on peut constater l’avènement d’une plus grande préoccupation du milieu face aux formes multiples de la violence et à leurs conséquences.
Par contre, la majorité des intervenants l’affirment, l’impact de ces moyens est limité : c’est mieux que rien, comme on dit souvent. Ils peuvent être des compléments à un programme complet de prévention de la violence qui attaque le problème à sa racine. Mais, ils sont trop souvent accompagnés d’attitudes culpabilisatrices et d’intimidation (par la présence policière ou les menaces de sanctions) pour s’avérer vraiment efficaces. Malheureusement, ces approches sont trop souvent perçues comme suffisantes en soi.
L’utilisation de ces moyens peut être négative si on se limite à prêcher la vertu aux jeunes. Face à des problèmes aussi terre à terre que les relations journalières avec l’entourage, une intervention qui ne dépasse pas le transfert de connaissances doit être perçue comme une fuite pour se donner bonne conscience. Il est évident que si les jeunes se battent, vendent ou prennent de la drogue, se suicident ou joignent des « gangs », ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas informés des conséquences de leurs actions, ni parce qu’ils ne sont pas assez occupés, comme on voudrait souvent nous le faire croire, ni parce que leur entourage n’est pas assez vigilant.
Comprendre la violence
Avant d’élaborer des pistes de solution au « problème » de la violence, il faut mieux comprendre les sources de la violence et mieux cerner les sentiments qui animent la personne qui l’utilise.
Presque toutes les études sur la violence sociale révèlent que le sentiment prédominant chez les personnes qui utilisent les diverses formes de violence, c’est la peur. Une peur générée par un profond sentiment d’insécurité. À l’occasion de drames conjugaux, l’homme qui domine, c’est celui qui a peur de perdre. Peur de perdre sa femme, ses enfants, son confort, ses biens ou son pouvoir. L’adolescent violent, c’est souvent celui qui, insécure, s’accroche à sa blonde, joint une « gang » pour se donner du pouvoir et de l’influence ou trouver du support, car il craint son environnement, sa solitude, son propre vide.
Les sources de l’insécurité sont diverses : pauvreté, origine ethnique, groupe d’appartenance, apparence physique, conditions familiales difficiles, etc… L’adolescence, « la plus délicate des transitions », comme le disait Victor Hugo, est aussi une source importante d’insécurité. Le jeune est troublé par sa profonde métamorphose physiologique. Il est fasciné et en même temps déchiré entre les nouvelles perspectives et responsabilités de la vie adulte et les attachants et rassurants vestiges de ses désirs d’enfant.
L’adolescent qui vit ces profonds dilemmes dans un contexte d’insécurité sociale, celui qui manque d’outils pour résoudre de façon harmonieuse les conflits qu’il vit, ou celui qui se sent humilié ou dévalorisé, tous sentent s’accumuler les frustrations et se multiplier les conflits. Tôt ou tard, le vase débordera. Alors exploseront la dépression, la tentative de suicide, la violence ou le désarroi.
Les adolescents ont besoin d’être appuyés, supportés, compris. Ils doivent bâtir leur personnalité, leur identité et se cherchent des modèles. Ils doivent sentir l’estime et la confiance du monde adulte, se sentir valorisé, être responsable de choses importantes, sentir qu’ils ont de l’influence dans leur vie et celle des autres. La violence est trop souvent perçue par les jeunes, comme une voie rapide et efficace vers la reconnaissance. Mais cette perception est un leurre mis en place par une société affectée par une fascination maladive pour la violence. Les programmes de prévention de la violence, pour être efficaces, doivent viser à favoriser l’estime de soi et des autres, à apprivoiser la peur face aux changements et à la diversité, à diminuer ou éliminer le sentiment d’insécurité. Ils doivent également offrir des alternatives au terrorisme de certaines « gangs » à la fuite dans la drogue et l’alcool. Des alternatives qui permettront aux adolescents de s’accomplir, de pouvoir apprécier leur valeur, de raffiner leurs outils pour faire face aux conflits et ainsi apaiser leurs appréhensions et leurs craintes.
Pistes de solutions, le transfert d’aptitudes
Certaines approches traditionnelles, comme les moyens éducatifs et les moyens de diversion ont leur place ici. Il ne faut pas non plus oublier le rôle des psychologues ou travailleurs sociaux au niveau des problèmes sociaux graves. Il existe pourtant un large éventail d’autres moyens disponibles pour atténuer, neutraliser ou apprivoiser l’insécurité et les craintes vécues.
-Créer un fonds d’aide aux étudiants moins nantis financé à l’aide d’événements organisés par les jeunes ou par la vente de services fournis à la communauté par les étudiants (en coiffure, mécanique, construction, hôtellerie ou autres métiers).
Objectif : valoriser le travail des étudiants, développer l’estime de soi chez les jeunes et atténuer l’impact de la dégradation des conditions sociales qui augmentent les tensions.
-Développer les attitudes de prévention des conflits. Les cours sur le développement affectif et social devraient inclure de façon systématique un contenu important sur les attitudes à développer pour apprendre à prévenir les situations conflictuelles et les désamorcer.
Objectif : outiller tous les jeunes pour les rendre autonomes dans la gestion de leurs relations avec leur entourage, et changer la perception négative qu’ils ont du conflit.
-Mettre sur pied des services d’écoute où des jeunes, formés aux techniques d’écoute active, sont disponibles pour accueillir d’autres jeunes qui ressentent le besoin de se confier. Ce genre de service est un exutoire essentiel pour les frustrations et une façon de pallier à la froideur des institutions.
Objectifs : développer la capacité d’écoute des jeunes et détecter ceux qui vivent des situations conflictuelles.
-Créer un service de conciliation capable d’offrir des tierces parties lors de situations conflictuelles. Les conciliateurs auront perfectionné leurs aptitudes à l’écoute active dans le cadre d’un service d’écoute et suivront une formation supplémentaire à la conciliation. Ils s’habitueront à faire face à des situations de conflit, raffineront leurs techniques d’intervention et développeront une plus grande confiance en leurs moyens.
Objectif : développer les aptitudes des jeunes dans la résolution des conflits; offrir au milieu un service essentiel pour diminuer les tensions et réduire les frustrations des jeunes.
-Créer un service d’intervention non-violente en situation de crise formé de jeunes qui ont développé une certaine aisance dans les techniques d’écoute active et de communication en situation conflictuelle comme conciliateur. Ces jeunes recevront une formation particulière sur les conflits et la violence.
Objectif : apprendre aux jeunes à faire face aux situations de crise et développer chez eux les aptitudes nécessaires; faire prendre conscience du rôle essentiel que peut jouer l’étudiant dans son milieu pour prévenir ou désamorcer les situations de crise.