« Mais où étaient les plans de contingence de nos experts ? »
DE : NORMAND BEAUDET
Ce texte est tiré d’une note acheminée le 17 avril dernier à un membre de l’équipe de crise de François Legault.
La courbe de contamination pour la COVID-19 semble dorénavant sous contrôle. Y aura-t-il ou n’y aura-t-il pas de seconde vague ? Peut-on dorénavant parler d’immunité collective ? et de fin de la pandémie en vue ? Il est trop tôt ! Mais une chose est certaine, il n’est pas trop tôt pour tenter de comprendre pourquoi le Québec s’est classé parmi les pires pays en termes de mortalité par 100 000 habitants. Au Canada, nous avons le pire bilan. On est pourtant abasourdis de voir les gestionnaires de la crise satisfait de la mission accomplie.
Mais bon Dieu, comment est-ce possible ? Près de 5 000 québécois âgés sont morts prématurément dans les derniers mois, et ce serait une réussite. La faute d’un système négligé ? Un système déficient pour lequel personne ne prendra la moindre responsabilité en serait la cause. On « flirt » avec le ridicule ici.
Improvisation mixte
Le premier phénomène curieux auquel nous avons pu assister, c’est celui du premier ministre Legault continuellement obligé d’improviser en conférence de presse. Incapable d’étayer devant les médias un plan de match crédible autre que la distanciation physique et le lavage des mains pour prendre le contrôle de la situation ? La lutte à la pandémie a semblé un vaste exercice de relations publiques, rien de plus.
Au moment où émerge la crise des CHSLD, on sait que s’annonce une tragédie ; et le cafouillage se poursuit. On assiste à des demandes répétées pour « des bras » ; du personnel supplémentaire… Le personnel médical est frappé par milliers, la maladie fait son oeuvre. Et on lance des appels désespérés à la population générale, aux médecins spécialistes, puis à l’armée ?
Mais le problème à ce moment est beaucoup plus grave que le simple manque de main d’œuvre. Le problème c’est l’absence criante des mesures les plus élémentaires pour contrôler l’épidémie issue de la pandémie mondiale. On a l’impression qu’aucun spécialiste en intervention terrain n’a été contacté. On doit éloigner la menace directe aux intervenants. C’est la priorité absolue dans toute épidémie. Rien en ce sens n’est mis en oeuvre. Tous les spécialistes qui interviennent depuis des décennies dans de nombreuses situations d’épidémie le diront. Dès les premiers signes de contagion, les patients infectés doivent être séparés physiquement des patients non infectés. Les lamentations du Premier Ministre contre la lenteur de la mobilisation illustre l’impuissance, le manque de préparation et de plans d’intervention sérieux face à la tragédie qui se déploie sous nos yeux.
Lorsqu’on apprend que le gouvernement a refusé l’aide d’une sommité mondiale dans l’intervention en situation d’épidémie, c’est le choc. Comment concevoir que le Dr Arruda puisse être responsable de la coordination de la santé publique, en même temps que responsable de la réaction en situation de crise dans les CHSLDs. Pourquoi l’offre du Dr Joanne Liu ; ancienne directrice de MSF a-t-elle pris tant de temps à être retenue ? Nous avons une personne ressource qui a été au front de la lutte contre des épidémies importantes, qui a l’expérience terrain avec le terrible Ébola… La première suggestion qu’elle fera, diplomatiquement, sera celle de séparer les patients infectés des patients sains.
Appel à l’armée, les pouvoirs civils débordés
Mais le moment clé de cette crise, le moment charnière pour révéler le niveau de désorganisation, et l’absence de plan pour réagir à la crise, c’est le 22 avril. Le jour où le Premier Ministre fait officiellement appel « A l’aide médicale de l’armée ». Il devient évident que le « war room » de Legault est dépassé par les événements, et ne sait même pas quoi demander au gouvernement fédéral. C’est la preuve de l’absence d’un plan de contingence qui fait l’inventaire des ressources disponibles et de leur rôle possible. Legault qui demande des « médics » à l’armée ??? On rêve là ! Et le Fédéral qui répond avec quelques centaines de militaires qui prendront plusieurs jours à se déployer, en situation de mesures d’urgences, on est dans le délire….
Il y a plus de 60 000 militaires, et probablement plus de 60 000 autres civils qui travaillent pour les forces au Canada. La demande de Legault envers l’armée canadienne d’obtenir du personnel médical illustre parfaitement l’incompréhension totale du rôle que les ressources humaines, et la puissance logistique de l’institution peuvent jouer ! L’armée grâce à ses équipements est en mesure de stopper net la propagation, mais nos dirigeants ne le réalisent pas.
Puis notre valeureuse équipe de gestion de crise Aruda, McCann et Legault en rajoutent en réitérant un appel désespéré aux médecins spécialistes à contribuer à la cause humanitaire des CHSLD ; et on ajoute des primes comme si l’argent était une solution mais toujours sans sécurisation des lieux ? On apprendra par la suite que du personnel d’agence et des préposés à statut précaires sans formation ont été des vecteurs de transmission incontrôlés, oeuvrant de Centres en centres, et se déplaçant de zones froides, à zones tièdes, à zones rouges. Exactement ce que les spécialistes savent qu’il ne faut pas faire !
Sans plan pour contenir la maladie le risque est grand avec les soldats et les médecins, d’étendre la contamination ! Cette chronologie des événements est tragique et démontre le niveau incroyable d’improvisation de dirigeants en place. On est au cœur de la raison qui explique le nombre élevé de décès dans cette crise au Québec.
Ce que les professionnels de l’humanitaire savaient
Pourtant, ce qui doit être fait en temps d’épidémies est connu depuis des lustres par les agences internationales, et de nombreux coopérants canadiens qui ont vécu ces crises pourront le confirmer. Il fallait rapidement :
1- SÉCURISER LES SITES : Une planification adéquate aurait indiqué qu’il fallait isoler la menace ! C’est la première chose qu’on vous enseigne dans les formations en sauvetage et en premiers soins. Si vous n’éloignez pas la menace, vous ne serez plus un aidant, mais une autre victime. Il fallait donc sortir au plus vite les cas de COVID de nos CHSLDs ; il fallait mettre les résidents contaminés dans des cliniques de campagne montées par l’armée. Les militaires peuvent faire ça rapidement, ce sont des experts en logistique. D’ailleurs c’est le premier geste que la Croix Rouge a posé à Verdun pour contrôler la contamination à l’hôpital LaSalle. L’initiative a pourtant levé un curieux scepticisme.
2- ZONES ROUGES AUTONOMES : Un tel plan aurait décrit la force logistique de l’armée capable de créer rapidement des installations alternatives de soins autonomes pour les gens infectés. Des installations physiquement autonomes en termes de transport ambulancier, alimentaire, sanitaire et en unité de décontamination. Il fallait créer une distance urgente entre les patients infectés et les non infectées, une barrière infranchissable pour le virus. Sortir la contamination des CHSLDs pour faciliter la tâche des intervenants et stopper leur contamination massive. Les militaires sont les mieux équipés et entraînés en termes de capacité de protection individuelle, et de décontamination. Pourquoi n’a-t-on jamais eu recours à cette expertise ? Pourquoi l’isolation physique, la première mesure à mettre en place ne s’est-elle jamais matérialisée ? On travaillait à l’aveuglette.
3- DÉCONTAMINATION SYSTÉMATIQUE : Un plan de contingence aurait déterminé la priorité. Ainsi les militaires pouvaient dès le premier appel de Legault, moment où le nombre de sites et de patients infectés était encore contrôlable, créer de véritables barrières sanitaires. Comme la Croix-Rouge l’a fait on pouvait utiliser des arénas et des tentes de campagnes, ou au besoin des centres communautaires, des hôtels ou d’autres installations pour créer ces sanatoriums temporaires. Ces mesures sont bien connues, c’est ce qu’on faisait au temps de la terrible tuberculose, entre 1850 et 1950 au Canada. On parle donc de mesures bien connues et appliquées par les coopérants internationaux : établir des lieux distants des patients sains ; munis d’un poste de désinfection à jets pour les intervenants travaillant en zones infectées, les zones rouges. En plus du transport, les militaires ont la tâche de décontaminer les espaces libérés : on règle les enjeux de trop grande promiscuité, et la contamination par la vétusté des bâtiments. Puis les médics militaires « testent » tous les résidents des bâtiments libérés des patients infectés. Les cas positifs vont immédiatement dans la clinique de campagne, dans les sanatoriums temporaires. Centre après Centre, la propagation est neutralisée.
Les résidents dont les conditions médicales sont trop lourdes sont acheminés dans les zones rouges des hôpitaux qui ont été tragiquement sous utilisées. L’armée a toutes les capacités logistiques pour mettre en place une telle structure, si le besoin est correctement exprimé. Ce qui ne fut pas le cas.
Ainsi, les médecins en zones chaudes-rouges travaillent en sécurité, ainsi que les employés en zones froides. Les guéri.e.s retournent dans les chambres désinfectées par l’armée. Chaque sortie de zones chaudes passe par un poste de désinfection active par jet ou rayonnement, de façon à éliminer toute contamination lors de la manipulation des équipements et des protections. Comment concevoir qu’aucun poste de désinfection actif n’ait été créé tout au long de la crise ? C’est une erreur monumentale qui est aussi une cause de l’étendue de l’infection par les travailleurs de santé.
4- SAUVER DES VIES : Les plus malades sont envoyés dans les zones rouge des hôpitaux pour recevoir des soins plus intensifs. Heureusement, en milieu hospitalier, ce genre de mesure était en place ce qui a contribué substantiellement à la protection des hôpitaux. Comment se fait-il que les mesures de cloisonnement des zones dans les hôpitaux ont été rapidement mis en place, plusieurs semaines avant l’éclosion, et que les CHSLD, eux, ont été négligés ? L’absence de ces mesures élémentaires dans les CHSLD a mené à une aggravation dramatique de la crise, avec un grand nombre de CHSLD qui ont atteint plus de 50 % de patients contaminés. Un véritable fiasco, prévisible, causant la mort prématurée de plus de 5 000 québécois, une situation qui pouvait de toutes évidences être évitée.
Bref ! La réation des autorités est un échec.
Dès la mi-mars, avec les bonnes mesures d’urgence et un plan adéquat ; il était possible de bloquer net la propagation du virus dans les bâtiments. Le travail exemplaire mais un peu tardif de la Croix-Rouge à Verdun aurait dû être un modèle reproduit sur de nombreux lieux, ce qui n’a pas été fait. Nous savons pourtant depuis longtemps qu’en plus de souffrir de manque de personnel, un grand nombre de nos installations de soins sont vétustes et qu’il y règne souvent une promiscuité inacceptable facilitant la contamination. Nous savons depuis les sanatoriums de la tuberculose, soit plusieurs décennies, qu’il est nécessaire pour stopper une contamination de créer cette distanciation physique entre les résidents infectés et non infectés grâce à un minimum de logistique ; ce qui n’a pas été fait ! On le fait maintenant, trop tard !
Qui est responsable d’un tel fiasco ? Bien entendu ceux qui ont permis la corrosion de notre système de santé. Mais tout aussi les responsables actuels, sont ceux qui ont failli à écouter le bon sens, et à appliquer les connaissances épidémiologiques et de soins d’urgence les plus élémentaires.