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Pornographie : Aux origines de la « Culture du viol ».

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Voir à protéger nos jeunes.

Vous êtes en contact avec de jeunes garçons, il est grand temps de comprendre cette notion de « Culture du viol ». Les témoignages de personnes qui disent avoir été victimes de harcèlement, d’agression sexuelle ou de viol se multiplient encore une fois sur les réseaux sociaux. Ce n’est probablement qu’un début.

Ce phénomène à nouveau médiatisé s’apparente aux récentes vagues de dénonciations #AgressionNonDénoncée, en 2014, et #MoiAussi, en 2017. Cette fois, plusieurs lieux de pouvoir sont dénoncés. Les médias sociaux se transforment en nouveaux vecteurs d’allégations, symptômes d’un mal profond qui gruge notre vie sociale et la vie amoureuse des couples. Jamais l’imagerie sexuelle n’a été aussi accessible, et cette médiatisation du sexe semble multiplier les déviances. Que se passe-t-il?

Le sexe a toujours été monnayable, la prostitution n’est-elle pas « le plus vieux métier du monde »? Au cours des soixante dernières années la pornographie a fait son chemin dans l’univers médiatique. Nos sociétés ont constaté avec consternation comment certaines institutions religieuses ont subies les déviances. En comblant les besoins criants en services sociaux, elles ont fermé les yeux sur des pervers, permettant l’assouvissement de bas instincts sur des enfants. Le sexe a toujours été objet de commerce, de contrôle et de pouvoir. La déviance sexuelle a toujours existé. Avec les dénonciations récentes, il devient évident pour tous, que ça n’a pas changé. Dorénavant plus rien n’empêche cette réalité d’être exposée au grand jour, et frapper de plein fouet les abuseurs, parfois présumés.

Sexe, instrument de profits :

Aujourd’hui, dans notre monde surmédiatisé, quoi de plus banal que le sexe. Nous sommes entrés dans une ère de l’adulation du phantasme et du plaisir sexuel. Tous aspirent à une vie amoureuse palpitante, à des sensations nouvelles et des plaisirs qui assouvissent des besoins; qu’ils soient perçus ou créés. Ainsi s’est généralisé un « sexe loisir », qu’on a commercialisé. Mais la simple commercialisation ne suffit pas, il faut exploiter tous les interstices des besoins, et même créer de nouveaux besoins. Le maintien et la croissance du marché s’imposent.

Nous sommes au cœur d’un enjeu important ici, la pornographie et les multiples rouages des industries du sexe banalisent tout comportement. On cherche à diversifier le marché en exploitant, et en créant autant de phantasmes et de produit les véhiculant que possible. On n’y voit pas de limites, allant jusqu’aux violences sexualisées. Il est aujourd’hui impossible d’aborder les vagues de dénonciation, sans creuser l’élément devenu fondamental qu’est la pornographie.

Le commerce du sexe est bien ancré. Des entreprises multimilliardaires ont trouvé depuis quelques décennies le moyen d’exploiter les phantasmes masculins. Elles y ont associé une gamme de média, et dorénavant une foule d’objets ayant pour but de multiplier les besoins perçus et d’en fabriquer de nouveaux à l’infinis. Nous sommes entrés dans une ère du sexe de consommation ou prime la recherche du plaisir, suprême et instantané. Avec internet, les médias sociaux ont pris le relais des magazines et du cinéma, cette industrie a définitivement été capable de percoler dans le quotidien d’une majorité. Elle a réussi à mouler l’esprit de nombreux hommes à ses perceptions déviantes du geste ou du propos sexuel, accepté et banal.

La perception de la femme « objet sexuel » a fait son chemin au point ou dorénavant peu s’en formalisent. L’étendue des comportements déviants dénoncés présentement sur les médias sociaux en font foi. La pornographie, ce n’est plus que juste du cinéma ou la vidéo. C’est un mécanisme de colonisation des esprits qui stimule une vision mâle du sexe mécanique, et attise par le fait même la dépréciation de la femme toujours consentante. Ultimement cette vision de l’intimité perturbe les mécanismes de socialisation vers le couple, et d’initiation des contacts humains. La liste de ces perturbations est longue : attouchements non consentis, embrassades forcées, incivilités dans des endroits publics, séquestration avec abus, viols, inceste, abus de pouvoir érotisés etc… Et ces gestes sont surtout posés par des hommes sur des femmes.

L’accessibilité instantané aux médias numériques a permis de renforcer ce message de sexe simple loisir chez les femmes. Pour étendre ses marchés, l’industrie s’adresse de plus en plus au féminin et au féministes dans un renforcement de cette vision de la femme hypersexuée, ouverte au profitable plaisir instantané. Avec l’émergence des amours multiples, l’industrie n’a pas fini de profiter de l’illusion créé par la fabrication du nouveau phantasme ultime; sous forme d’objet à vendre ou d’abonnement numérique, bien entendu. On ouvre simplement de nouveaux marchés. Mais on renforce aussi une vision perturbée du contact humain et de l’assentiment intime, une réalité complètement déformée. La sexualité et les relations hommes-femmes semble régies par une simple mécanique physiologique de désir et de pulsion physiologique. Il manque une harmonie consentie.

Comme si la plénitude sexuelle provenait de l’exploit physique ou de l’objet.

La confusion est assez complète. Il devient difficile d’identifier un érotisme sain ayant pour but d’approfondir la relation gratifiante et de creuser l’intimité du couple quelle que soit sa composition. On voit une pornographie ayant pour but d’exploiter les phantasmes souvent mâles, inassouvis. Une exploitation à des fins de pure profitabilité commerciales comme une forme d’érotisme. Le commercialisme a réussi à occulter le fait que l’ultime bonheur sexuel ne provient pas de l’acte, enrobé d’accessoires tous plus imaginatif l’un de l’autre. Le bonheur et le plaisir provient plus souvent d’une relation amoureuse ou des êtres humains, grâce à une sexualité respectueuse et librement consenti, atteignent avec patience une harmonie et un diapason. Ainsi peuvent-ils se laisser aller et s’abandonner. Les facteurs temps et confiance sont indispensables à un tel niveau de complicité. Difficile de voir un équivalent avec ce que l’on appellerait le fast-sexe porno. Ce sexe qui, après un plaisir subit, « accessoirisé », permet de générer de multiples nouveaux besoins tous plus profitable les uns que les autres..

Une sexualité épanouie n’est évidemment pas une question d’accessoires et d’assouvissement de fantasmes. Sauf pour de rares exceptions ou l’outil sert de déclencheur, c’est le fruit de l’apprivoisement mutuel, d’une complicité et d’une aisance acquise avec le temps. L’exploitation commerciale du sexe qui moule la plénitude à sa vision du commerce d’objets, table sur l’illusion du plaisir mécanique et l’insatisfaction sexuelle chronique. Le malaise, surtout celui des hommes, se transforme ainsi en véritable mine d’or pour les commerçants, mais en un véritable danger pour la femme. Oui, les accessoires et l’érotisme peuvent nourrir une relation, un vécu et renforcer l’intimité d’un couple. Mais une complicité réelle, un respect et le consentement doivent rester les assises dans la construction du lien amoureux.

Assises d’une culture du viol.

Bien entendu, au cœur de cette industrie, il y a le viol. L’absence total de contexte humain dans la médiatisation de l’acte sexuel. On évacue totalement la notion de consentement. C’est pourtant l’élément essentiel au confort et à l’abandon. Complicité, respect et consentement; les états qui tracent la voie directe vers la satisfaction amoureuse disparaissent.
Pour une industrie qui carbure à l’insatisfaction chronique, on se doit de tordre la réalité de l’amour. On se doit d’éliminer la mise en contexte, car on ne vise pas l’harmonie des corps et la satisfaction. Il faut mécaniser et « objectifier » les gestes; et sensationnaliser à outrance les partenaires, propulser le désir et le laisser baigner dans la futilité de la pure mécanique. L’image du bien performant dildo masculin toujours prêt, et de la bien soumise poupée gonflable en disent long ici. Le modèle économique associé à la sexualité devient le véhicule principal de cette « culture du viol » décriée.

Le mythe de l’homme qui performe pour un maximum de plaisir de la femme est intégré. La mise en scène de la femme bruyante et bien ouverte, qui en demande toujours plus joue son rôle. Les films pornos ont désormais fait leur place dans le réel ou complicité et consentement sont accessoires. Et comble de l’outrance, dans l’imaginaire amoureux d’hommes conditionnés au sexe de conquête qui se feront dénoncer, et de femmes consentantes qui accepteront cette fatalité du sexe commerce, émergera une incompréhension. Ainsi, beaucoup de couple sont malades, moulés par ce commercialisme sexuel. La distorsion du réel induite mènera jusqu’à condamnation ses dénonciatrices d’abus.

Les dénonciations nous appellent à agir; couples, pères, mères; grands-parents ou proches; amoureux, amoureuses ou amis. Nous avons eu, ou auront des relations intimes. Nos jeunes et nos proches subiront ce conditionnement. Cette réalité lève un imposant défi d’éducation.
Sommes-nous conscients de la toxicité des images de la sexualité qui nous sont transmises? Comment se positionner? Comment manifeste-t-on correctement l’attirance pour l’autre? Ou se situe la ligne entre la relance amoureuse intéressée et le harcèlement? Comment consent-on, ou refuse-t-on de consentir? Où est la marge entre la simple « joke grivoise » et le geste abusif? La sexualité masculine est-elle immuablement, physique et inassouvie? La sexualité féminine implique-t-elle des mises en scène aguichantes occultant le consentement? Bref, comme proche, voulons-nous un jour voir un homme que l’on aime, un adolescent, un membre de notre famille exposé publiquement comme agresseur à cause de comportements maladroit ou abusifs induit? Nous sommes de plus en plus nombreux à avoir l’impression de nager dans la confusion, et à être inquiets, avec raison.

Les questions qui se posent ici sont les suivantes. Dans un tel contexte de distorsion complète de la sexualité et de l’amour. Comment pouvons-nous être surpris de l’émergence de distorsions importantes dans les perceptions des hommes? Combien d’abus dans les relations amoureuses des couples origine d’une telles distorsion, menant aux frustrations et aux violences?

Est-il surprenant de voir l’homme, moulé depuis sa jeunesse à ces distorsions cognitives induites par le commercialisme pornographique se comporter en agresseur? D’autant plus lorsque sa perception est multipliée par l’instantanéité des technologies de l’information qui conditionnent à se croire tout permis en matière de sexe? Est-il surprenant de voir certaines femmes exposées à la normalisation de la femme objet, croyant s’avantager; sombrer dans des comportements associés à l’hypersexualisation au quotidien? A qui profite cette évacuation du consentement dans la relation amoureuse? Quel impacte ce monde parallèle a-t-il sur des jeunes issus de milieux disfonctionnels? Milieux ou souvent la relation sexuelle est un enjeu de confrontation, de déchirement et de conflits ouverts? A qui profite cette éclipse totale sur les assises d’une plénitude amoureuse? Les faiblesses physiologiques et psychologiques des plus vulnérables sont manipulées et exploitées à outrance par des rapaces, exploitant la fragilité des relations humaines intimes. On utilise la sublimation des pulsions de reproduction à des fins de profits.

Le constat est plus qu’alarmant ici… Que ce soit par des maladresse, une vision tronquée de la vie amoureuse ou par pure ignorance; un constat s’impose. La « culture du viol » a bel et bien fait son nid dans nos sociétés sur médiatisées. Aujourd’hui, les symptômes de cette maladie frappent de plein fouet nos vedettes; le monde des célèbres, des riches et des puissants. Elle touchera aussi inévitablement certains de nos proches. Nous devons maintenant agir.

Féminisme : Le conditionnement pornographique comme catalyseur de violences.

Pour le mouvement féministe cette réalité n’est pas nouvelle. La pornographie instrumentalisant le sexe comme structure de pouvoir est connue. L’industrie a toujours été un mécanisme de renforcement du pouvoir de l’homme sur la femme. Plus que jamais les théories et les analyses du mouvement se confirment. Depuis longtemps les mouvements de femmes considèrent le conditionnement pornographique comme une importante source de violence. A la lumière des récentes dénonciations et de l’étendue du fléau, nous devons prendre acte. Nous devons approfondir notre compréhension de cette industrie du sexe extrême comme un outil de discrimination et de violence systémique. On commence à réaliser qu’effectivement, la pornographie est politique et qu’elle affectera dorénavant notre quotidien.

Ainsi selon Danielle Chaussée en 2014 dans la revue Alternatives non-violente dénonçait virulemment la pornographie. « C’est une forme de prostitution filmée. C’est le viol des femmes déployé à une échelle massive et industrielle, et une vaste propagande de haine anti-femmes. C’est un crime contre l’humanité, invisible mais omniprésent et au vu de tous. Elle est planifiée par et pour les hommes, dans le but de perpétuer leur suprématie sur les femmes en diffusant le mode d’emploi du viol des millions de fois par jour à des millions d’hommes. » Avec l’émergence de nombreuses dénonciations dans les médias sociaux, nous devons nous pencher sur une telle analyse. Nous sommes dans les eaux de la violence ultime entre les femmes et les hommes. Une violence dorénavant érigée en vaste système de conditionnement à la distorsion des relations intimes.

Plus que jamais nous nous devons de parler des rouages de cette « culture du viol » de plus en plus présente. Si on n’y porte pas attention maintenant, elle aura des conséquences de plus en plus désastreuses dans toutes les sphères de la vie publique; nos jeunes, les couples, tribunaux, les dynamiques sociales et familiales. Lorsqu’au yeux d’un grand nombre d’hommes, la femme est associée à un objet de plaisir à contraindre, on fonce droit au mur. Lorsque cette « culture du viol » ambiante renforce la perception que le consentement n’est qu’un élément marginal de la relation. Lorsque pour un grand nombre d’hommes, la femme qui ne consent pas est hors norme. La frustration arrive vite et la ligne entre l’insistance pour du sexe, et la violence est rapidement franchie.

En cette ère de la sur médiatisation de tout, impossible que cette réalité soit sans impact. La socialisation des médias permet la dénonciation avec un minimum de filtres. Et nous y sommes! Des faits émergent de façon récurrente sur l’étendue du malaise sexuel ambiant. Un simple survol des liens entre la pornographie et la « culture du viol » qui s’est incrusté donne des vertiges. On constate maintenant de façon aigue les symptômes d’un phénomène de société longtemps caché par l’étanchéité des tribunaux. L’action de dénonciation nous permet de bien saisir la portée des affirmations et analyses sur la violence systémique de cette culture. Il est intéressant de revoir le commentaire de Me Sophie Gagnon, directrice générale, clinique juridique Juripop :

« Il est important de se rappeler que les violences à caractère sexuel, c’est le seul crime violent au Canada dont l’occurrence ne diminue pas. Donc c’est vraiment, malheureusement, un fléau de société. »

Cette véritable culture est en émergence, elle utilise l’ensemble des connaissances sur la sexualité et des savoir-faire en matière de phantasmes à ses fins. Au cours des récentes décennies se sont érigées des traditions de voyeurisme et d’objectification du sexe. De véritables coutumes de dénigrement des personnes, et d’évacuation du consentement auxquelles se conforment un nombre croissant d’hommes, et de femmes. Cette perception de l’intime a commencé à se transmettre socialement, de génération en génération. Les médias sociaux illustrent parfaitement le fait que cette culture conditionne dorénavant, en grande partie les comportements individuels masculins envers la sexualité.

Tous les indicateurs de l’implantation d’une Culture du viol sont en place. Il faut le reconnaître et commencer à déboulonner le fléau qui fera encore de nombreuses victimes.

Pour approfondir voir :
DANIELLE CHAUSSÉE
ANV NO 170 (2014)
La pornographie ou l’industrie du viol
Article écrit par Danielle Chaussée
https://www.alternatives-non-violentes.org/Revue/Auteurs/Danielle_Chaussee_77