Un moyen d’action éprouvé.
L’histoire démontre que c’est en s’organisant et en préparant une stratégie de résistances que les groupes citoyens peuvent atteindre leurs objectifs.
Une lutte pour la protection de notre eau potable s’installe au Québec. Déjà, à la surprise de plusieurs, la ligne Enbridge 9B a été inversée, et nos représentants ont acceptés que des millions de litres de pétrole bitumineux menacent l’eau potable des Québécois. Suite logique, la lutte contre le projet Énergie Est, commence elle aussi à prendre la forme d’un lutte pour protéger notre eau de l’invasion des promoteurs d’hydrocarbures. Cette réalité de menace envers un droit fondamental, nous demande de penser en termes résistance.
Lorsqu’on pense à la résistance, il est important de l’organiser et réfléchir en termes d’efficacité; les gens doivent comprendre dans quel environnement tactique et stratégique s’inscrit leur engagement. Ils doivent savoir qu’il est possible de résister efficacement, près de chez eux, avec des moyens appropriés pouvant faire reculer ces projets destructeurs.
L’approche de « Pacte de résistance » citoyen entre des personnes touchées par un projet doit se construire sur des moyens d’action permettant de tout mettre en œuvre pour obtenir des gains et une victoire. C’est surtout vrai lorsqu’on parle de protéger nos cours d’eau, et surtout le Fleuve Saint-Laurent d’une menace pouvant affecter l’eau potable de millions de personnes.
« Pledge of Resistance » ou Pacte de résistance.
L’approche de « Pledge of Resistance », Pacte ou serment de résistance prend ses origines aux États-Unis . L’idée est de développer une approche de mobilisation qui vise à dissuader une autorité ou un promoteur de conduire son projet sans considérer l’avis des gens. L’approche présentée dans un tel pacte de résistance doit être concrète et crédible; on doit y élaborer une stratégie qui démontre que la campagne a de bonnes chance de mener à des résultats. Le « Pacte de Résistance » est souvent accompagné d’un document qui présente aux citoyens et aux citoyennes un véritable plan d’action crédible et réaliste. L’idée est d’établir un rapport de force pour imposer l’Écoute.
À la base de l’exercice, il y a un appel à la résistance expliquant aux militants et citoyens les enjeux urgents nécessitant la mobilisation immédiate. Par la suite, on élabore sur la stratégie, c’est-à-dire, la série de moyens d’action qui devront être mis en place par les diverses communautés touchées afin d’optimiser les chances de victoire. Au final, on demande aux citoyens de s’engager en participant ou supportant les actions directes non-violentes dans leur communauté, actions qui ont pour but de stopper le projet jugé destructeur. En rassemblant un grand nombre de signataires prêts à s’engager par des moyens précis et acceptables pour tous, le serment devient un outil de dissuasion pour les promoteurs et actionnaires d’un projet.
Le nombre d’adhérents à la démarche constitue une illustration claire de l’inacceptabilité sociale d’une initiative.
On pourrait résumer l’approche ainsi: « Travaillez à éviter le désastre avant qu’il ne se produise. »
Le Pacte se veut aussi être une sorte de guide expliquant l’importance de promouvoir des actions sujettes à mobiliser le plus grand nombre. La nécessité de mettre l’accent sur l’action directe non-violente dans le cadre d’une lutte de résistance devient rapidement une évidence.
Le « Central American Pledge of Resistance » |
Face à la possibilité d’une invasion américaine au Nicaragua et au El Salvador, suite à l’invasion de la Grenade en 1983, des groupes de solidarité internationale se sont largement mobilisés. Plusieurs de ces organismes citoyens de solidarité avec l’Amérique Centrale issus de la longue tradition d’accueil de réfugiés se sont regroupés. Souvent actifs dans le large mouvement de soutien que constituait le réseau des sanctuaires hébergeant souvent des réfugiés sous ordre d’expulsion, ces groupes ont voulu s’attaquer à la source du problème, la répression féroce des groupe sociaux en Amérique Centrale. Plusieurs de ces groupes on vu dans l’action non-violente stratégique une nouvelle opportunité de lutte. L’idée est venue de créer un « Pledge of Resistance » afin de dissuader l’administration Reagan de soutenir la répression, et de conduire une autre invasion en Amérique Centrale. Qu’est-ce que cette idée de « Pledge » ?Le « Pledge of Resistance » fut en premier lieu un appel à la résistance, car un processus éducatif devait être mis de l’avant sur la « guerre à faible intensité » continue que le gouvernement américain conduisait pour défendre ses intérêts commerciaux sur ce territoire. Mais c’était aussi une forme de serment d’engagement de la population. On pourrait parler d’un Pacte sur la base duquel des hommes et des femmes prenant conscience de leur responsabilité face à l’action de soutien de leur gouvernement aux escadrons de la mort et à la Contra, s’engagent à participer ou supporter une campagne d’actions directes non-violentes pour dénoncer et obstruer une telle politique de déstabilisation d’une région en crise. Les citoyens américains ont utilisé le « Pledge » avec succès pour contrer la politique étrangère agressive de l’administration Reagan en Amérique Centrale. Quel en est le but ?Le Pledge est une forme de plan de contingence pour les citoyens quant à la possibilité de contrer un geste politique inacceptable. Il est difficile d’agir lorsqu’il y a invasion militaire, il est trop tard. Il faut agir avant, s’assurer que dès les premiers signes indiquant un mouvement militaire, les gens sont prêts. Non seulement ça mais la signature préalable par un grand nombre de personnes d’un engagement à passer à l’acte, envoie un signal au gouvernement en montrant clairement que la population se positionne contre la possibilité d’une invasion. C’est lorsque les autorités ont la certitude que la population est prête à se mobiliser que le Pacte devient un outil de dissuasion. Il prouve au gouvernement et aux autres décideurs que des citoyens sont prêts à résister contre un projet intenable à leurs yeux. Le « Pledge of Resistance » vit le jour en 1984, moment où l’approche fut adoptée par une large coalition d’organismes le Central America Working Group. Près de 700 personnalités signèrent publiquement l’appel original à la résistance publié dans le Magazine militant américain « Sojourner ». Le travail d’éducation et de mobilisation se poursuivit pendant plusieurs années ainsi que la collecte des engagements des citoyens. Malgré l’intimidation des groupes par les services de renseignements que l’on soupçonne d’avoir fouillé illégalement les locaux de 60 organismes participant, après seulement 4 mois de campagne plus de 43 000 personnes s’étaient engagées à suivre une formation et à participer à une des actions de désobéissance civile de la campagne. De nombreuses actions ponctuelles seront conduites au cours des années par de petits groupes de militants; actions visant à démontrer le sérieux des exercices de préparation, occupations, invasions de centres administratifs, blocus, etc…. La campagne culminera par une action massive de désobéissance civile de plus de 1000 personnes devant le Pentagone suite à l’assassinat de huit religieux salvadorien par les escadrons de la mort, organe de répression du gouvernement soutenu par l’administration américaine du temps. C’est à ce moment que le « Pledge of Resistance » est devenu un puissant outil de dissuasion et un outil central dans la lutte anti-invasion jusqu’au début des années 90. Suite à cette action, le nombre de signataires atteignait près de 100 000 personnes. Le « Pledge of Resistance » contre l’invasion militaire en Amérique Centrale du milieu des années 80 est devenu un exemple probant de la force dissuasive que peut constituer une mobilisation populaire déterminée et structurée. L’approche est devenue un modèle d’action de résistance de masses aux États-Unis. |
Un pacte environnemental : la lutte contre Keystone XL |
La formule du « Pledge » fut reprise par des mouvements écologistes à la fin des années 2000 pour contrer le projet Keystone XL de la pétrolière albertaine TransCanada. Le Projet Keystone XL proposait d’exporter, à travers tous les États-Unis, le pétrole des sables bitumineux provenant des sous-sols de l’Alberta. On parle d’une canalisation de 2 500 kilomètres qui aurait transporté plus de 110 millions de litres de pétrole par jour vers le Golfe du Mexique. Selon l’ancien climatologiste de la NASA, James Hansen, si ce projet avait été accepté, les jeux seraient faits pour le climat. Que s’est-il passé ?Face à la menace, les organismes environnementaux se sont mobilisés. Le site français « slate.fr » en mars 2014 résume bien l’opposition au projet. « Lorsque les ONG, en tête desquelles 350.org organisent une mobilisation à l’échelle nationale, pour faire pression sur le président Obama, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui descendent dans la rue, prêtes à risquer l’arrestation. Lors de la manifestation du 21 septembre 2013 dans le cadre de la campagne Draw the Line, plus de 1200 personnes ont été arrêtées. Plus récemment, la mobilisation étudiante « XL Dissent » qui s’est déroulée le 2 mars dernier à Washington a vu 398 étudiants arrêtés par la police dans le cadre d’une action de désobéissance civile. Jamie Henn, directeur de la communication de 350.org est nécessairement enthousiaste étant donné sa position, il a évoqué « le plus grand acte de désobéissance civile de la génération ». Le site militant poursuit afin d’illustrer à quel point l’opposition fait peur aux industriels: « On apprenait l’année dernière que, selon des documents obtenus par le groupe Tar Sands Blockade via une requête « Freedom of Information Act », TransCanada, probablement dans un élan de patriotisme, aurait fourni des stages de formation à la police locale du Nebraska mais aussi à des agents fédéraux, pour « éliminer les activistes non violents anti-Keystone XL » en les réprimant grâce aux dispositifs anti-terroristes. Plus récemment, on apprenait également l’existence de collusions entre TransCanada et les services de renseignements canadiens. Les écologistes américains et canadiens se rendent compte peu à peu à qui ils ont affaire. Mais cela ne les ralentit pas, au contraire : à l’heure actuelle, plus de 86.000 personnes ont signé le « Pledge of resistance » (« Engagement à résister ») lancé par l’ONG Credo Action, une pétition par laquelle les citoyens s’engagent à risquer l’arrestation par des actions de désobéissance civile pour « dire non au pipeline Keystone XL ». Encore une fois, plus de 100 000 Américains ont finalement signé le Pacte de résistance, et se sont portés prêts à participer ou supporter l’une des 100 actions de désobéissances civiles pouvant être mises en action si le Président Obama acceptait le projet. Résultats?C’est à la veille de la conférence de Paris sur le climat COP 21 que le gouvernement américain a tranché sur le projet. Après six ans de tergiversation suite à la première demande de permis de Transcanada, le président Obama a refusé d’approuver le Projet Keystone XL. A quelque mois d’une campagne présidentielle, les opposants politiques du Président ont vite fait de l’accuser d’avoir cédé aux pressions du lobby des groupes environnementaux.
|
Bold Iowa : le Pacte d’engagement, toujours d’actualités |
Depuis juin 2016, les citoyens de l’État américain de l’Iowa, citoyens de la communauté et groupes autochtones, se sont rassemblée en une coalition nommée « Bold Iowa ». L’appel a été lancé pour un Pacte de résistance au projet d’oléoducs Bakken traversant les États américains du Dakota du Nord, Dakota du Sud et de l’Iowa.
Le mouvement Bold Iowa s’inspire dans ses moyens d’actions du groupe Bold Nebraska ayant lutté contre le projet Keystone XL. Les citoyens s’engagent tous à participer ou supporter une action directe non-violente dans le but de prévenir ce projet néfaste à l’environnement et aux communautés environnantes.
L’ancien législateur d’état et ex-candidat au poste de gouverneur de l’État de l’Iowa, Ed Fallon, s’est lui-même engagé en participant à une action directe non-violente malgré le risque de l’arrestation. L’arène légal devient alors une nouvelle arène de combat pour poursuivre la lutte en cas de procès. Citant la victoire contre le projet Keystone XL, les citoyens et citoyennes de l’Iowa affirment la possibilité de victoire contre le projet de Bakken.
|
Schiste 911 :Une inspirante histoire de résistance à la sauce québécoise |
Au Québec, l’approche du Pacte de résistance a aussi inspiré la lutte au développement de l’industrie des gaz de schiste. Nous avons vu à la fin des années 2000, des groupes formés de citoyens et de militants environnementalistes se mobiliser face à l’exploitation des gaz de schiste sur les basses terres du Saint-Laurent. L’un de ces groupes qui a pavé la voie à l’utilisation de « Pactes de résistance » est la campagne « Moratoire pour une génération » qui a lancé l’initiative « Schiste 911 ». La coalition d’organismes citoyens a milité depuis 2010 pour un moratoire de 20 ans sur l’exploitation du gaz de schiste au Québec. Le but de l’approche fut de soutenir les mouvements citoyens touchés par les projets, et désirant lutter contre les promoteurs de l’industrie du gaz de schiste. Les citoyens ne voulaient pas rester dans l’attente. Plus de détails sur le site d’Équiterre: http://www.equiterre.org/en/categorie/moratoire-dune-generation Le réseau Moratoire d’une génération, a lancé Schiste911, qui est un plan original de signalement et de résistance civile regroupant notamment une ligne téléphonique ainsi qu’un site internet. Ces outils permettent à la population d’envoyer des alertes lorsque des activités liées à l’exploration et à l’exploitation des gaz de schiste ont cours. «C’est un outil qui permet à tout le monde sur le territoire québécois de s’impliquer et de surveiller les activités des gazières», a expliqué Marie-Ève Leclerc, organisatrice et porte-parole de Moratoire d’une génération dans une entrevue à TVA. Schiste 911 est une initiative de lutte sophistiquée; elle se veut une campagne alliant réseau de vigilance, système d’alerte, formation à la résistance citoyenne et vidéo participative comme moyens de dissuader l’industrie des énergies extrêmes de venir saccager nos communautés. La campagne est indiscutablement une composante du mouvement citoyen qui a contribué à obtenir l’arrêt jusqu’à nouvel ordre des forages pour le gaz de schiste au Québec au terme d’une marche « Moratoire d’une génération » de 700 km, entre Rimouski et Montréal (2011). De plus, en collaboration avec les citoyens du village de Saint-Marc-sur-Richelieu, ils ont permis à ces citoyens mobilisés contre l’invasion des gazières sur leur territoire d’initier une démarche particulièrement intéressante et prometteuse contre l’industrie. Une vidéo d’engagement citoyen à la résistance a été créée. Le document présente des citoyens s’engageant à participer ou à supporter une action directe non-violente telle que le blocage des routes afin de dissuader l’industrie de venir s’établir sur leur terre. La sophistication de l’approche de ce groupe a été cité en exemple comme mouvement d’opposition aux technologies de fracturation pour l’extraction d’hydrocarbure par une firme internationale mandatée par les organisations et les gouvernements en gestion de risque. Voir: http://www.pressegauche.org/spip.php?article13301 En février 2014, le gouvernement québécois décréta un moratoire sur l’exploitation des gaz de schiste. Le BAPE, en décembre 2014, dans son rapport, conclut que le Québec ne tirerait aucun profit de l’exploitation de cette ressource. Les mouvements citoyens ont permis de faire comprendre cette réalité et contredire les mensonges de l’industrie.
|
Vers un pacte: le meilleur pari pour protéger notre eau
L’idée du pacte citoyen de résistance est toujours d’actualités.
Peut-être avec les événements de Prince Albert, verra-t-on un pacte de résistance dans l’ouest-canadien contre tout nouveau projet d’oléoducs? En voyant les effets dévastateurs de ces projets d’exploitations des hydrocarbures, les gens auront le courage de se mobiliser autour de la protection de leur cours d’eau.
Rappelons-le, l’accès à l’eau potable doit et sera pour toujours un droit pour tous et toutes. C’est le pari à faire.