Écrit par Martin Hébert
Le 20 mai dernier, l’agence américaine de protection de l’environnement (EPA) sommait la pétrolière BP de diminuer la quantité de Corexit qu’elle a épandue dans le Golfe du Mexique. L’usage massif de ce dispersant chimique a soulevé tout un questionnement et son efficacité est mise en doute.
Si la composition du produit a été divulguée, les proportions exactes des composantes n’ont jamais été rendues publiques sous prétexte qu’il s’agit là d’un secret industriel. Plusieurs indicateurs montrent que le produit est toxique pour l’environnement, mais son producteur n’en a pas testé les impacts réels sur les écosystèmes marins avant la mise en marché.
Par précaution, l’agence américaine a donc donné deux ordres à la pétrolière : utiliser un produit moins toxique que le Corexit et diminuer les quantités épandues. Mais, à la stupéfaction de tous, BP s’est obstinée à ignorer ces injonctions. Même sous les regards du monde entier, et après avoir été pointée du doigt à maintes reprises pour sa négligence calculée en matière de sécurité, la pétrolière a ignoré au-delà des limites raisonnables les demandes de l’EPA.
Cette réaction face à la première exigence de l’EPA, trouver un substitut au dispersant utilisé par BP, se comprend facilement : Nalco, le producteur du Corexit, est une filiale de BP. La pétrolière savait pertinemment bien qu’en remplaçant le dispersant par celui d’un compétiteur, elle détruisait irrémédiablement l’image de marque de l’un de ses propres produits.
Par ailleurs, le refus de BP de respecter la deuxième exigence, d’utiliser moins de dispersant, peu importe la marque, se comprend bien et nous porte davantage à réflexion. La fonction des dispersants chimiques est de prévenir l’étalement de nappes de pétrole flottant à la surface de la mer.
Pour ce faire, ils agissent comme les dégraissants du savon-vaisselle agissent sur les graisses animales, produisant des agglutinations de matières huileuses à la surface de l’eau. Le choix de faire un usage massif de ce produit en est un qui protège (relativement) les animaux de surface et les écosystèmes côtiers. Mais cela se fait au détriment de la vie sous-marine exposée, littéralement, à une pluie d’hydrocarbures. Au-delà de la question de savoir si ce choix est judicieux ou non, ce qui frappe, c’est surtout que la pétrolière tente de limiter le désastre de relations publiques provoqué par la marée noire sur les plages américaines en sacrifiant un autre écosystème, sous-marin, silencieux, inhabité par les humains, invisible.
BP mise sur l’éloignement et la difficulté d’accès aux écosystèmes sous-marins pour maintenir au beau fixe son image. L’invisibilité, la difficulté pour les non-scientifiques à saisir la complexité des effets de pollution sous-marine, permettent à la pétrolière de s’offrir des zones de sacrifice à moindre coût. Il serait absurde de penser que l’obstination de BP à utiliser tant de dispersant soient fondée sur un quelconque souci pour l’environnement. Rien dans les agissements de cette compagnie ne nous permet de lui accorder un tel bénéfice du doute.
Voilà une série d’attitudes qui illustrent, sans doute pas assez, la manière dont nos élites industrielles continuent de penser le rapport avec l’environnement, le fondement matériel de notre vie. L’étrange, l’éloigné ou ce qui ne fait pas l’objet de préoccupation immédiate sert d’exutoire. Le mal est transféré à d’autres écosystèmes, peu importent les conséquences dévastatrices futures.