Écrit par Anne-Marie Claret
Eau, ma douce, toi qui es source de vie depuis le jaillissement du monde, si tu savais tout ce qu’on entend à ton sujet depuis quelques temps. Je suis inquiète pour toi… et pour nous car quand tu es menacée, nous le sommes aussi. Viendras-tu à nous manquer ? Eau, ma douce, bien sûr chez nous tu coules en abondance dans notre majestueux fleuve, nos lacs et nos rivières. Certains parlent même de nous comme le Pays de l’or bleu. Mais l’or, si précieux soit-il, n’est pas indispensable, il peut être remplacé par d’autres minéraux. Toi, par quoi pourrait-on te remplacer ? Nous ne pouvons vivre sans toi. Tu coules dans nos veines comme dans celles de la Terre.
Eau, ma fragile et puissante, je me laisse bercer par ta douceur, je redoute ta fureur et je m’incline devant toi, élément sacré de notre patrimoine. Aujourd’hui cependant, on dirait qu’il n’y a plus rien de sacré, sauf le marché. Et des frères humains ont décidé que ton inestimable valeur serait désormais surtout monétaire. Eau, ma libre, tu es en train de devenir une marchandise, une source de profits pour des gens assoiffés de pouvoir. Toi, emblème de notre bien commun, certains veulent te transformer en bien privé. Mais à qui donc peux-tu bien appartenir si ce n’est à un écosystème et au cosmos ? Essayez de garder une poignée d’eau…
Eau, ma vive, on te pollue puis on te dépollue. On te harnache, on te détourne, on te traque dans tes moindres recoins souterrains. On te prospecte, on te pompe, on te capte, on te stocke, on te gaspille, on t’épure, on t’exploite, on t’embouteille, on te distribue aux plus offrants. On est en train de te pétroliser. Et on oublie de te contempler, de te célébrer et de te remercier. On comptait sur toi, maintenant on te compte. Et ce qui compte, c’est l’argent.
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Tu me demandes alors ce qui advient des plus démunis et si on te partage. Je ne sais quoi te répondre car, vois-tu, tout se passe comme si le droit à la concurrence l’emportait sur les autres droits. Des organisations internationales comme l’OMC décident désomais des règles du jeu et veulent te libéraliser en faisant sauter les lois ou les dispositions constitutionnelles te protégeant. Tu es en colère ? Tu as raison. Il y a actuellement 1 milliard 400 millions personnes qui n’ont pas accès à l’eau potable. Ne culpabilise pas ma douce, ce n’est pas toi l’égoïste. On t’exporte dans des pipelines pour des fins industrielles, pas pour étancher la soif. Tu sais, c’est un peu la même chose avec la nourriture. Il y aurait de quoi nourrir toute la planète si on s’y prenait autrement.
Eau, ma belle, ma rebelle, tu sais bien qu’aujourd’hui on ne peut plus vivre seulement d’amour et d’eau fraîche. Il y a des coûts pour prendre soin de toi, pour t’acheminer dans nos maisons, pour t’aider à nous aider. Nous avons bâti des équipements collectifs, nous avons des politiques pour te redonner un peu de ta véritable valeur. Nous avons des coalitions qui parlent en ton nom. Partout des gens se mobilisent pour toi. Savais-tu que l’année 2003 qui se termine était en ton honneur ?
Eau, ma douce, ma bien-aimée, je m’excuse au nom de tous les miens pour tout le mal qu’on t’a fait. Nous voulons continuer à vivre avec toi, à te soigner, à te protéger, à te partager. Nous avons besoin de toi.