Écrit par Collectif d’auteurs
C’est le postulat implicite que les non-citoyens sont plus dangereux que les citoyens qui sous-tend la majeure partie du débat sur les certificats de sécurité, y compris la nouvelle proposition de loi. C’est également ce qui justifie qu’on les soumette à des procédures que l’on condamnerait immédiatement en raison de leur caractère injuste si elles étaient appliquées à des citoyens.
Or, les non-citoyens sont nos voisins et nos compagnons de travail qui vivent, travaillent et élèvent leur famille au Canada tandis qu’ils sont dans l’attente du statut de citoyens. En vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, les non-citoyens jouissent, pour l’essentiel, des mêmes droits que les citoyens, notamment du droit à l’égalité et du droit à un traitement équitable et juste si leur vie, leur liberté ou leur sécurité personnelle est en danger.
La nouvelle loi sur les certificats de sécurité est pratiquement identique à la précédente, qui a été déclarée invalide par la Cour suprême. Les non-citoyens suspectés de constituer un risque pour la sécurité nationale peuvent être détenus indéfiniment sur la base d’une preuve confidentielle ou déportés même s’ils risquent ainsi la torture. Ces décisions sont fondées sur la «preuve» qui est constituée principalement de rapports invérifiables en provenance des agences de renseignements étrangères qui se fondent souvent sur des informateurs qui ne sont pas fiables, ainsi que sur des déclarations faites sous la torture (c’est le type de preuve qui a envoyé Maher Arar à la torture en Syrie ). Le juge doit maintenir le certificat sauf s’il est convaincu qu’il n’est pas raisonnable (ce qui nécessite un niveau de preuve très peu élevé aux yeux du gouvernement).
La nouveauté dans la nouvelle loi est un système d’«avocat spécial» emprunté au modèle britannique. Une fois que l’avocat spécial a pris connaissance de la preuve confidentielle, il ou elle ne peut communiquer à personne les éléments en question sauf si le juge le lui permet. Par exemple, si un informateur a allégué avoir vu la personne nommée sur le certificat de sécurité dans un camp d’entraînement en Afghanistan à une certaine date, l’avocat spécial n’aura pas le droit de demander à la personne citée où elle se trouvait à cette date-là, si d’autres personnes peuvent confirmer ses dires, etc. Pourtant, ce type de vérification des faits est essentiel pour vérifier la véracité de telles allégations.
Le gouvernement voudrait nous faire croire que la Cour suprême a donné son approbation d’avance aux avocats spéciaux de type britannique. Il n’en est rien. En fait, la Cour a fait remarquer que le régime britannique a été critiqué parce qu’il ne fournissait pas suffisamment de garanties quant à l’application de la loi selon les procédures prévues. Celle-ci a fait référence aux modèles alternatifs canadiens dans le domaine de la sécurité nationale, notamment les procédures appliquées devant le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) qui supervise les opérations du SCRS, l’enquête sur Arar ainsi que le procès Air India. Dans les deux premières affaires, un conseiller spécial a pu communiquer avec la personne citée après avoir pris connaissance de la preuve confidentielle, alors que dans la troisième affaire, le conseiller du défendeur a eu l’autorisation d’accéder à la preuve. Dans les trois cas, le conseiller devait éviter de parler de la preuve confidentielle à la personne citée, mais pouvait la questionner afin de vérifier la véracité des faits.
En juillet 2007, le Comité mixte sur les droits de l’Homme de la Chambre des Communes et de la Chambre des Lords a conclu que le recours britannique à des avocats spéciaux était «très loin de ce que l’on pourrait considérer comme une procédure équitable». Pour rendre le système un tant soit peu juste, il a recommandé que les avocats spéciaux soient autorisés à communiquer avec la personne concernée après avoir pris connaissance de la preuve confidentielle; que le gouvernement soit obligé d’informer la personne citée des charges qui pèsent contre elle; et que le gouvernement doive fournir des preuves mieux étayées.
Le nouveau régime de certificats de sécurité proposé par le gouvernement canadien se trouve très en-deçà de ces normes. Et même si toutes ces garanties étaient ajoutées au régime des certificats de sécurité, il resterait injuste. Contrairement à ce que défendent ses défenseurs, la loi n’est pas un instrument de contrôle des frontières qui sert à éloigner les ressortissants étrangers potentiellement dangereux sur la base d’actes commis outremer. Les certificats de sécurité sont utilisés contre des gens qui ont vécu au Canada, souvent pendant plusieurs années, comme réfugiés ou comme résidents permanents. Si de tels résidents non-citoyens ont commis un crime, ils devraient être mis en accusation et jugés, à l’instar des citoyens, selon le système de justice pénale.
Cela n’est pas seulement d’une question d’équité envers les non-citoyens qui résident au Canada, aussi important que cela puisse être. Il s’agit ici de protéger efficacement le public canadien en identifiant les réelles menaces à notre sécurité sur la base de preuves incontestables qui peuvent tenir à l’examen.
Comme l’avocat spécial britannique Ian MacDonald l’a expliqué, l’interrogation poussée des agents de renseignement est souvent peu efficace pour vérifier la véracité des faits car les agents n’ont pas une connaissance de première main des faits, qui ont été essentiellement glanés dans des rapports en provenance des services de renseignement étrangers qui à leur tour sont fondés sur des déclarations non vérifiées faites par des informateurs, notamment des déclarations faites sous la torture. MacDonald a opposé cela à une bonne enquête faite par la police, fondée sur la cueillette de preuves de première main qui doivent être suffisamment pertinentes et dignes de confiance pour convaincre un juge indépendant que la personne a commis un crime.
Les certificats de sécurité – avec ou sans avocats spéciaux – sont fondés sur la foi aveugle en la crédibilité des «renseignements» fournis par le SCRS. Combien d’affaires comme celle d’Air India ou celle d’Arar faudra-t-il pour que nous réalisions que c’est vraiment une très, très mauvaise idée? Déterminer la culpabilité des individus est la tâche du système de justice pénale, pour les citoyens comme pour les non-citoyens.
-Janet Cleveland, chercheure, Chaire de recherche du Canada en droit international des migrations, Université de Montréal
-Sharryn J. Aiken, professeure, Faculté de Droit, Queen’s University
-François Crépeau, professeur de Droit, Chaire de recherche du Canada en droit international des migrations, Université de Montréal
Pour davantage d’informations sur la question des certificats de sécurité : www.adilinfo.org/fr