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Le bucolique monde agricole. (2)

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Subite prise de conscience de l’importance critique de l’agriculture.

En pleine pandémie, les québécois ont appris du Premier Ministre Legault que leur sécurité alimentaire était à risque. Les travailleurs étrangers pouvaient ne pas être au rendez-vous cette année. Les besoins en personnel dans le milieu agricole seraient immenses car l’approvisionnement mondialisé pouvait cesser. Combler les besoins alimentaires localement serait urgent pour éviter la crise.

Cet impératif était criant, surtout dans un contexte où les autorités américaines accaparaient cavalièrement le matériel médical en pleine crise COVID. Comment garder une confiance envers notre principal fournisseur de produits alimentaires frais? Le gouvernement lance en toute urgence un programme de recrutement de travailleurs québécois pour éviter une crise alimentaire, un programme qui sera géré par l’UPA. Comme ce fut le cas tout au long de la crise, le Premier Ministre y met de l’argent. On peut tout solutionner avec de l’argent semble-t-il…?

Ce programme s’avère être un échec cuisant. Malgré le recrutement de certains travailleurs, des milliers de québécois resteront dans l’attente. La mise en contact avec des producteurs ayant besoin de main d’œuvre se fait attendre. Seules quelques productions semblent avoir de réels besoins. D’autres travailleurs butinent d’emploi temporaire en emploi temporaire, jusqu’à écœurement. On a l’impression que l’UPA n’est pas outillé pour gérer ce genre de programme.


D’employeur en employeur les citoyens les plus déterminés qui se portent volontaires doivent courir après les documents et numéros d’enregistrement des producteurs. Le programme d’incitatifs financier s’étend aux travailleurs étrangers ce qui amplifie le problème de notre perte d’autonomie alimentaire. Le constat est flagrant, malgré les mielleux discours sur l’encouragement à la consommation locale, ce qui compte c’est le bénéfice du producteur. Le monde de la production agricole n’exprime définitivement aucun intérêt pour les travailleurs québécois.


Sur le terrain…

C’est lorsqu’on est sur le terrain que la réalité nous saute aux yeux. Nous entrons dans un monde où malgré leurs instances de représentation, les producteurs semblent désabusés. L’omniprésence des préoccupations financières à court terme, et un souci absolu de productivité immédiate se révèlent. Peu importe la grosseur de l’entreprise; en période de production rien d’autre ne semble compter que la productivité. Il n’y a pas cette impression de crise imminente en fonction d’un besoin essentiel. On ne sent pas le besoin d’obtenir coup de main pour assurer la sécurité alimentaire des québécois.

Toutes les productions critiques semblent dépendre entièrement de la main d’œuvre étrangère. Les employés québécois ne contribuent que peu aux productions de subsistance. Ils viennent pour assurer ce qu’on pourrait appeler des productions d’appoint (petits fruits, producteurs artisanaux, centre jardins, grossistes en végétaux etc…). Les producteurs profitent de l’occasion, tout comme on le fait pour les multiples autres programmes gouvernementaux dont l’industrie est dépendante.

De plus, certains producteurs expriment une frustration envers le programme qui offrent des conditions financières intéressantes à un personnel néophyte. Dans certains cas des conditions financières supérieures aux conditions du producteur lui-même. Accroître la production pour assurer la sécurité alimentaire; Oui. Mais seulement si on assure des marchés aux produits. Bref, les producteurs auraient souhaité bénéficier directement des subventions et obtenir des garanties d’achats de produits plutôt que du personnel.

La véritable crise se situe donc ailleurs. Le manque de personnel n’est qu’un symptôme d’une activité économique critique, mais malade. Le modèle de « libre marché » ne répond simplement plus aux impératifs d’approvisionnement névralgiques de biens alimentaires.

Une réforme en profondeur.

L’argent ne règlera pas l’immense défi de la sécurité alimentaire de la province. On ne parle pas d’autonomie et d’autosuffisance alimentaire ici, mais de simple sécurité. On parle de la nécessité de pouvoir offrir le minimum de nourriture aux populations en situation de crise, qu’elle soit économique, sanitaire ou climatique. En cas de crise majeure, être organisé pour éviter la famine. Le modèle marchand actuel n’y est pas adapté.

Le secteur agricole doit être transformé au Québec. On doit dorénavant considérer le vaste secteur de l’agro-alimentaire comme un tout. L’idée d’une véritable Commission agro-alimentaire du Québec (CA-AQ) ayant pour but d’encadrer, de consolider la production agricole et alimentaire au Québec s’impose. Il faut une consolidation de la production en champs, de la production en serres, de la transformation à des fins de conservation pour les productions de subsistance et une distribution sécuritaire en situation de crise. C’est la seule voie qui permettrait de pérenniser et professionnaliser les emplois dans l’industrie.

Une première étape importante serait au minimum d’assurer une sécurité financière au secteur agro-alimentaire via les services publics (services de gardes, écoles, centres de formation, prison, forces armées, CHSLD et autres.) Une politique ferme d’approvisionnement local en bien alimentaires de base serait l’incontournable point de départ de cette réforme. Tous les services publics devraient mettre leurs ressources financières dédiées aux approvisionnements alimentaires au service de la sécurisation de notre production et de nos approvisionnements. C’est le minimum vital.

Il faut professionnaliser l’industrie. Des milliers de québécois ont acquis des compétences académiques importante en production agro-alimentaire, sans jamais pouvoir les mettre en valeur. Nous aurions en fait la possibilité de créer des milliers d’emplois permanents dans ce secteur essentiel, avec de bonnes conditions de travail et une stabilité un peu similaire à celle des travailleurs de la construction.

Il faut se rappeler du passé. Avoir en mémoire la réalité des travailleurs en construction avant la création de la Commission de la Construction du Québec (CCQ). Les métiers de la construction se caractérisait par des tâches difficiles, une précarité de l’emploi, une saisonnalité du travail, des salaires de crève faim, et des conditions de travail particulièrement dangereuses. Seuls les nouveaux arrivants acceptaient de se soumettre à un tel régime de travail caractérisé d’exploitation.

La création de la commission de la construction était une nécessité. Parallèle important ici, L’industrie de la construction en ces temps tournait autour des travailleurs migrants grecs, italiens, portugais et autres. Bref, une situation qui ressemble beaucoup à la situation actuelle de l’agro-alimentaire.

MISSION ACTUELLE DE LA CCQ.

Il est intéressant de se pencher sur le mandat de la Commission de la construction du Québec. La CCQ regroupe présentement les acteurs de l’industrie (employeurs syndicats et instances professionnelles), et ils se sont vus confier le mandat de veiller à l’application de la convention collective ou du décret de l’industrie de la construction. Au fil des ans, des mandats se sont ajoutés, notamment :

administrer des régimes complémentaires d’avantages sociaux (1963);

surveiller les normes de sécurité sur les chantiers de construction (1972-1980);

administrer un fonds d’indemnisation de salaire en cas de faillite de l’employeur (1973);

organiser le scrutin d’allégeance syndicale (1975);vérifier et contrôler l’application des normes relatives à l’embauche et à la mobilité de la main-d’oeuvre (1978);

s’assurer de la compétence de la main-d’œuvre et veiller à l’application des mesures et des programmes relatifs à la formation professionnelle (avant 1968 et depuis 1987, sauf en ce qui a trait à la gestion du carnet d’apprentissage et des examens de qualification depuis 1993);

lutter contre le travail au noir dans l’industrie de la construction (1994).

Vers une Commission agro-alimentaire du Québec (la CA-AQ).

Une réforme agricole au Québec devrait prendre une direction similaire. La situation du monde agricole ou tout est pratiquement géré par les producteurs (UPA), en fonction de l’économie de marché n’est plus adapté à l’importance stratégique de l’industrie.

Laisser une industrie d’une telle importance voguer selon les aléas de l’affairisme des marchés mondialisés n’a aucun sens. Les marchés mondialisés et leurs prix soutenus par les subsides au transport pétroliers globaux sont à l’origine des bas prix actuels. Sans les subventions massives des États aux compagnies de transports internationales et à l’immense secteur pétrolier; ce mode d’approvisionnement ne serait pas viable.

Les avantages destructeurs des marchés imposent au monde agricole québécois l’allocation de conditions de travail minimales, une réalité de précarité, et la saisonnalité qui combinés maintiennent des conditions pénibles, que peu de travailleurs acceptent. Il n’est pas surprenant de voir l’incroyable dépendance de notre approvisionnement alimentaire envers les importations mondialisées et la main d’oeuvre étrangère. Cette intenable réalité doit cesser.

Il y a quelques années, il aurait été difficile d’envisager une telle commission. Mais la transformation rapide de l’industrie avec notre électricité en surplus, les progrès des énergies renouvelables et la serriculture moderne offrent maintenant une vaste gamme de possibilité.

Soyons clair, une telle commission serait la base d’une réforme agraire d’envergure au Québec. Cette Commission doit repenser l’industrie en fonction d’intérêts autres que celui des marchés et des grands producteurs ayant accepté l’agribusiness alimentaire mondialisée. Le modèle doit être agro-alimentaire compte tenu des particularités saisonnières de l’agriculture au Québec.

Comment y parvenir?

Tel que mentionné précédemment, le point de départ serait l’approvisionnement alimentaire local obligatoire de toutes nos instances publiques, incluant les sociétés d’État. Avec la production annualisée en serre sur les toits en milieu urbain et en serres solaires passive avec appoint électrique dans toutes les régions, c’est dorénavant plus que possible. Les connaissances et la technologie sont là permettant un virage majeur.

Grâce à un réseau de pôle agro-alimentaire sur l’étendue du territoire québécois un service soutenus par les municipalités et les MRCs; une stabilité au niveau des mises en marchés pourrait être assurée. On parle d’installations coopératives offrant une gamme de services aux producteurs dont la possibilité d’une transformation à des fins de conservation, des services de réfrigération, de congélation et des espaces de vente à l’année.

Toujours grâce à une tarification électrique préférentielle, les producteurs peuvent utiliser les installations pour transformer les produits maraîchers ou d’élevage à des fins de conservation. La mise en marché peut se faire à l’année. La dépendance des éleveurs envers de méga abattoirs est de plus en plus problématique. On le sait, les abattoirs régionaux pourraient devenir la norme pour les petits élevages. Chose certaine, sans une implication active du gouvernement et des instances publiques régionales hors des lois marchandes, cette réforme agro-alimentaire est impossible.

L’émergence d’un nouveau secteur économique névralgique et robuste.
Nous parlons ici de la consolidation d’un vaste secteur d’activité économique. Le rôle des instances publics peut facilement être étendu à d’autres enjeux connexes au secteur agro-alimentaire.

On peut aussi considérer l’angle de la gestion des déchets bioalimentaires, et des surplus sectoriels de production à des fins d’amendements de sols. On peut parler de la production locale de biogaz pour répondre aux besoins spécifiques de la production alimentaire locale. Ce sont des secteurs ou, encore une fois la marchandisation des services s’est avérée totalement inefficace. L’intégration d’un large éventail d’activité aidera à la consolidation du secteur industriel et des emplois qui y sont rattachés.

On peut facilement envisager intégrer au secteur agro-alimentaire toute la filière acéricole, et la valorisation active d’autres produits forestiers non-ligneux tels que:
• les produits de l’alimentation, qui regroupent, entre autres, les fruits sauvages, les champignons et les produits de l’érable.
• Les produits ornementaux, qui comprennent notamment les arbres de Noël et les couronnes de Noël.
• Les produits pharmaceutiques et nutraceutiques, qui incluent notamment les extraits de l’if du Canada, le ginseng et la gomme de sapin.
• Les produits manufacturés et les matériaux, qui englobent les huiles essentielles, les résines, les alcools et désinfectants, etc.

Avec la création d’une telle commission, il est facile d’imaginer la totalité de nos services publics provinciaux et fédéraux s’approvisionner localement soit via les producteurs locaux membres de pôles agro-alimentaires. Nous aurions un moteur pour aider à développer ces services dans toutes les régions du Québec. Le coeur du mandat de cette CA-AQ serait d’assurer la sécurité alimentaire du Québec. Cette sécurité passerait par trois composantes fondamentales :

L’approvisionnement à l’année des services de garde, écoles et autres institutions d’enseignement post secondaire, centres hospitaliers (incluant CHSLD), Banques alimentaires, centres de détention, OSBL de services en première ligne Coopératives d’habitation et HLM, services municipaux et fédéraux et autres services publics en bien alimentaires, sur une base annuelle.

La création à cette fin, d’un vaste réseau de serres solaires passives, avec électrification d’appoint; combiné à un vaste réseau de pôles agro-alimentaires de transformation et de conservation des nécessités alimentaires dans les localités, en collaboration avec les municipalités et les MRCs. On pourrait y greffer des abattoirs régionaux.

Le développement d’un véritable secteur d’emploi, stable, pérennisé et essentiel; recrutant du personnel régulier, professionnel et de qualité. On verrait émerger un nouveau secteur de travailleurs québécois qualifiés qui oeuvrent et migrent selon les besoins dans les diverses activités de ce vaste secteur.

Nous parlons donc ici d’une profonde réforme, qui va beaucoup plus loin que l’injection d’un peu d’argent. Il s’agit ici d’un important virage qui sort de la perception de la nourriture comme un simple bien de consommation comme les autres. On parle d’un véritable virage vers l’alimentation comme un bien de première nécessité imposant un une production, une transformation et un approvisionnement local sécurisé. On vise comme point de départ une autonomie alimentaire pour les productions essentielles à la subsistance des populations dans chacune de nos régions. Cette Commission devient la base d’une nouvelle politique alimentaire et une instance visant à l’encadrement beaucoup plus stricte des marchés agricoles.

Il y a dans cette transformation de notre vision de l’alimentation. Un véritable projet de société qui implique l’utilisation d’une tarification électrique préférentielle à des fins de diminution du transport de biens agro-alimentaires. La consolidation de nombreux emplois dans l’industrie agro-alimentaire dans toutes les régions du Québec pour mettre fin à la malsaine dépendance envers les travailleurs étrangers. On parle aussi d’une lutte active aux déserts alimentaires de plus en plus présents au Québec. Nous pourrions aussi relevé le défi de la diminution drastique du gaspillage alimentaire et prendre la voie vers une gestion intelligente des résidus organiques et de nos terres arables qui s’impose. Devrons-nous nous rendre jusqu’à une redistribution des terres? Chose certaine nous parlons d’une réforme agraire d’envergure. L’accès à la terre en est une assise principale.

En cette période critique ou les menaces de crises se multiplient, on doit se pencher sur d’imposants projets de réformes, le monde alimentaire devrait se classer au sommet dans les priorités.