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Idle No More et l’héritage de l’été 1990

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Par Jean-François Beaudet

Barrage sur la route 344 en juillet 1990. (Photo : PC/Ryan Remiorz)
Barrage sur la route 344 en juillet 1990. (Photo : PC/Ryan Remiorz)

Depuis les débuts du mouvement Idle No More, plusieurs observateurs tentent de faire un parallèle entre ce mouvement et les événements de l’été 1990, la fameuse  « crise d’Oka ». Si tous s’entendent sur l’impact majeur de cette crise, les avis divergent radicalement quant à l’héritage laissé par celle-ci.

Blocus du pont Mercier. (Photo : KORLCC)
Blocus du pont Mercier. (Photo : KORLCC)

Pour Marie Battiste, Mi’kmaw, spécialiste de la préservation des langues autochtones et de l’intégration des connaissances autochtones à l’enseignement postsecondaire, « l’été de 1990 a été un point tournant  pour les Canadiens et les peuples des Premières Nations alors que les événements à Oka ont révélé au grand jour l’histoire, longtemps gardée sous silence, de l’oppression des peuples autochtones ». Toutefois, si les images fortes captées par la télévision révélaient  le problème de la réalité coloniale de façon dramatique, elles « ne pouvaient rendre toute la complexité de l’histoire du développement des relations entre le Canada et les Premières Nations ». Pour Battiste, l’héritage le plus important et le plus positif des événements d’Oka est la décision prise par le Premier Ministre Mulroney, quelques mois plus tard, de mettre sur pied la Commission royale sur les peuples autochtones.  Le travail de la Commission va durer six ans et son rapport, en cinq volumes, demeure, toujours selon Marie Battiste, la meilleure analyse de la situation des nations  autochtones et  du problème colonial au Canada.

En juillet 1990, des autochtones du Canada et des États-Unis entament des marches pacifiques en appui à Kanesatake. Ici, un groupe de la Saskatchewan, qui arriva à destination en septembre. (Photo : auteur inconnu)
En juillet 1990, des autochtones du Canada et des États-Unis entament des marches pacifiques en appui à Kanehsatake. (Photo : auteur inconnu)

À l’occasion du 20ème  anniversaire des événements de 1990, Doug George-Kanentiio, Mohawk d’Akwesasne, ancien éditeur d’Akwesasne Notes, trace un portrait nettement plus sombre de l’héritage d’Oka dans les communautés mohawks. Il parle de la production de drogue florissante  à Kanehsatake, de contrebande à Akwesasne, de familles mohawks détruites par la culture de la drogue. Il croit que le principal héritage de 1990,  est la destruction du « rêve des Mohawks d’Akwesasne de vivre dans une communauté unie dirigée par un gouvernement traditionnel » celui de la Confédération iroquoise.

Comment expliquer une telle divergence de points de vue autochtones sur l’héritage de l’été 1990 ? En fait, il y avait deux conflits en 1990. D’abord le conflit, bien connu, opposant les Mohawks de Kanehastake aux promoteurs désirant agrandir un terrain de golf sur des terres revendiquées par la communauté, conflit qui est à l’origine de la crise. Puis il y a l’autre conflit, celui qui divise les Mohawks d’Akwesasne autour de la question de la présence de casinos  dans la communauté. Impossible de comprendre l’un sans comprendre l’autre, nous dit Kanentiio.  Quelques mois à peine avant la « crise d’Oka », donc, le conseil Mohawk de la Confédération iroquoise, le gouvernement traditionnel, en collaboration avec les Conseils de bande d’Akwesasne (un au Canada, l’autre aux États-Unis !), cherche à mettre fin aux activités de jeux et aux divers trafics illégaux sur la réserve. Des barricades sont érigées pour tenter d’empêcher les gens de l’extérieur de la réserve de venir jouer dans les casinos. Les manifestants doivent alors affronter la Warriors Society, un groupe armé qui s’est mis à la solde des propriétaires de casinos. Dans son livre Iroquois on Fire, Doug George-Kanentiio raconte le drame vécu à Akwesasne au printemps 1990 : les barricades plusieurs fois détruites et brûlées ; leur reconstruction par les opposants aux casinos ; l’attaque par les Warriors armés de fusils d’assaut et de bombes lacrymogènes, l’évacuation de la réserve, l’intervention par les forces policières de l’État de New-York, du Québec et de l’Ontario après la mort par balles de deux Mohawks, l’occupation de la réserve pendant plusieurs mois, etc.

Près de la barricade de Kanesatake, un Métis dépose une plume dans le canon d'un tank de l'armée. (Photo : PC/Bill Grimshaw)
Quelque 3000 militaires sont déployés à Kahnawake et à Kanesatake en août 1990. Près de la barricade de Kanesatake, un Métis dépose une plume dans le canon d’un tank de l’armée. (Photo : PC/Bill Grimshaw)

Malgré ce conflit qui l’oppose aux Warriors, la Confédération iroquoise va offrir sa médiation entre les Mohawks barricadés dans la pinède à Kanehsatake dont les même Warriors, et les  gouvernements du Québec et du Canada. Cette action s’inscrivait dans une longue tradition d’implication de la Confédération dans la médiation et la résolution de conflits, de même que dans l’action en faveur de la paix.

Et les parallèles entre Idle No More et les événements de 1990 ? Dans les deux cas, il s’agit de mouvements de résistance autochtone à la réalité coloniale, réalité qui est responsable tant du conflit sur la question des casinos à Akwesasne que de l’atteinte aux droits territoriaux des Mohawks de Kanehsatake. Par sa dimension non-violente,  Idle no More est  proche de la philosophie et de l’action de la Confédération iroquoise à Akwesasne, de même que de l’action des Mohawks de Kanehsatake avant l’arrivée des Warriors d’Akwesasne derrière les barricades. La principale différence entre ces deux époques se situe au niveau de l’ampleur du mouvement Idle No More, du grand nombre de communautés impliquées. Souhaitons au  mouvement Idle No More qu’il laisse aux différentes communautés impliquées un héritage plus positif que celui des événements de 1990, et qu’il parvienne à enclencher enfin la mise en œuvre du projet postcolonial recommandé par la Commission royale sur les peuples autochtones.

Manifestation Idle no more à Montréal (Photo: auteur inconnu)
Manifestation Idle no more à Montréal (Photo: auteur inconnu)