Écrit par Laurence Guénette
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Ce n’est pas nouveau : les étudiantes et étudiants, ici comme ailleurs, sont un « groupe » de la société souvent porteur d’idéaux progressistes, dont la rage et l’intolérance face à l’injustice est encore vive. Partout où la société civile s’active dans un mouvement de résistance ou un grand projet de changement, les étudiant-E-s sont de la lutte. Dans des régimes dictatoriaux ou démocratiques, et à des degrés différents, cette jeunesse encore libre et dont la révolte n’a pas fané est surveillée, profilée, réprimée ou ridiculisée, car trop menaçante. Le Québec ne fait pas exception. Des grèves étudiantes d’envergure ont marqué le paysage politique dès 1968, puis à sept reprises jusqu’en 2005.
En février 2010, une hausse des droits de scolarité fut annoncée par le gouvernement libéral de Jean Charest; l’augmentation de 1625$ sur 5 ans, et débutant en 2012, représentait une hausse de 75% des frais universitaires. Les étudiant-E-s entreprirent de nombreux moyens de pression (des pétitions aux actions directes) avant d’en arriver à une mobilisation et à une grève générale illimitée pour défendre l’accessibilité de l’éducation supérieure devant l’obstination d’un gouvernement qui multiplie les mesures anti-sociales. Les premières associations étudiantes entrèrent en grève dès février 2012, et rapidement le mouvement pris de l’ampleur, atteignant plus de 300 000 grévistes en mars (CLASSE, FECQ, FEUQ et TACEQ).
Il ne nous appartient pas ici de tracer un historique précis de la grève 2012. Pourtant, le ton fut rapidement donné : le gouvernement Charest refuse catégoriquement d’ouvrir le débat sur les droits de scolarité, et il négocie de très mauvaise foi avec la partie étudiante. Il tient sans relâche un discours d’utilisateur-payeur, demandant aux étudiant-E-s de faire leur « juste part », tente d’associer ceux-ci à l’égoïsme et à la violence dans l’opinion publique. La répression policière est brutale et démesurée dès le début (événements de novembre 2011 et de Loto-Québec le 7 mars 2012) et fait monter d’un cran l’indignation des militant-E-s et des sympathisant-E-s. Suivront la vague des injonctions empêchant les levées de cours dans certains campus, la criminalisation de milliers de grévistes, les événements du Plan Nord à Montréal et du Congrès du Parti Libéral à Victoriaville, la fin de semaine du Grand Prix de formule 1, et bien entendu la Loi spéciale, suivie d’une vague de désobéissance civile et par le mouvement des casseroles à travers la province et même le reste du Canada…
L’expérience des grèves étudiantes au Québec depuis plusieurs décennies semblait avoir donné aux protagonistes des scénarios probables d’évolution de la lutte de semaine en semaine, dans l’opinion publique, chez les grévistes, et dans le rapport de force envers le gouvernement au pouvoir. La grève générale illimitée qui a débuté en février 2012 a dérogé à tous les scénarios envisagés par les étudiant-E-s, et se poursuit au moment d’écrire ces lignes. C’est autant l’intransigeance obstinée et malhonnête du gouvernement que la mobilisation sociale massive qui font de la grève 2012 une conjoncture politique et sociale particulière, sensible et vive, qualifiée de Printemps québécois par plusieurs. Printemps en effet, puisque fleurit une profusion de gestes solidaires, d’actions créatives, d’initiatives rassembleuses, d’images puissantes et de moments forts; cette effusion d’expressivité est d’ores et déjà un legs précieux pour le Québec.
À l’été 2012, les étudiant-E-s sont donc en grève depuis 6 mois, la plus longue de l’histoire des grèves étudiantes au Québec. L’enjeu est majeur, une victoire ou un échec de cette lutte, créeront un précédent dans l’esprit des citoyens du Québec, à l’aube (pourtant bien entamée!) d’une époque d’effritement du bien commun et des services publics. Peut-être le mépris et l’intransigeance d’un gouvernement affublé de multiples tares et scandales aura-t-il contribué à l’intensification et à l’élargissement de la lutte. Depuis février, les médias de masse nous parlent d’« impasses » du conflit, alors qu’en fait, des portes inattendues se sont ouvertes pour cette société, dépassant largement les attentes initiales de la mobilisation contre la hausse de 1625$. Le conflit a mis en lumière un débat de société qui est trop longtemps resté cantonné aux milieux alternatifs, sur la façon dont nous devrions gérer notre société, poussant la réflexion bien au-delà des discours dominants. Ces discours nous rabâchent une approche électoraliste très limitative du rôle du citoyen, ainsi qu’une vision selon laquelle la mondialisation nous oblige à certains « choix » rationnels si nous voulons attirer les investisseurs, être rentables et compétitifs. Le printemps québécois a contribué à briser ce monopole rhétorique discours, en même temps que les populations du monde se soulèvent contre l’« évidence » du choix capitaliste que proposent les États dans un vent de droite qui donne froid dans le dos.
Extrait d’un tract lors du blocage du siège social de la Banque Nationale le 11 avril 2012 : « Les étudiant-E-s, les travailleurs-euses, n’ont pas à se serrer la ceinture; nous savons où est l’argent. Derrière les politiques d’austérité imposées aux populations se dissimulent bien mal les puissantes corporations et le ballet éhonté des flux financiers qui est à la source de la fameuse crise »
Les étudiants ont plus que fait leur juste part dans le débat, réfutant un par un tous les arguments néolibéraux qui nous obligent à couper dans l’éducation et autres services publics. Ils ont suggéré les alternatives, ont pointé du doigt l’argent là ou elle stagne, la corruption là ou elle pullule, les voleurs et exploiteurs véritables, les subventions scandaleuses à des entreprises privées qui ne rapporteront presque rien à l’État. Ils ont produit avec des organisations sympathisantes des études sérieuses, dans un langage que les économistes ne pourraient pas ne pas comprendre (celle de l’IRIS notamment). Mais le mépris et la rigidité du gouvernement ont propulsé les gens encore plus loin, y compris au dépassement de leurs peurs et de leurs silences indifférents. Les portes s’ouvrent sur un mouvement social certes désorganisé, décentralisé, diversifié et qui avance à tâtons en cherchant de ses multiples mains des leviers puissants pour changer son « monde » et avoir un projet de justice porteur d’espoir. Avant même de connaître l’issue de cette lutte, on peut déjà conclure au succès d’une mobilisation profonde et dynamique qui aura marqué une génération d’étudiant-E-s.
Le terrain actuel est fertile pour un mouvement social élargi et de profonds changements; il nous appartient à tous et à toutes de sauter sur l’occasion pour s’engager dans la lutte. Nous espérons avec cette publication contribuer à la réflexion, à l’inspiration et à l’élaboration de stratégies pour la suite des événements. La lutte nonviolente et la désobéissance civile ne sont pas chose nouvelle au Québec, mais il nous semble pertinent de les ramener à l’ordre du jour pour ce qu’elles offrent de potentiel dans la mobilisation actuelle.
Il est difficile, au moment d’écrire ses lignes en août 2012, de formuler une conclusion, un petit mot en guise de perspective d’avenir pour le mouvement social qui a secoué le Québec et a attiré vers nous les regards admiratifs de gens partout à travers le monde. À présent, l’éveil et la lutte doivent continuer, enrichis par la multiplicité de leurs causes et de leurs acteurs. Les espaces de soutien, d’organisation et de solidarité doivent se maintenir, et les militant-E-s criminalisé-E-s doivent être soutenu-E-s comme il se doit.
Le gain le plus important et le moins quantifiable de ce printemps québécois réside sans aucun doute dans cette agitation révoltée, qui pour la première fois depuis de nombreuses années, a secoué la société et fait comprendre aux gens le potentiel de leur indignation. Cet état d’esprit collectif et cette intelligence de l’injustice, se transposeront aux luttes sociales à venir, quelles que soient les causes qui mobiliseront les énergies. Pendant que se multiplient les mesures d’austérité et l’appauvrissement des peuples, le recul des droits et libertés et des véritables valeurs démocratiques, il nous appartient de continuer de résister, de réfléchir et de rechercher sans relâche les mécanismes de poursuite de la lutte. Ce qui est sûr, c’est que nous pouvons être fiers et fières d’avoir constitué une force dérangeante, d’avoir approfondi nos réflexions, aiguisé nos convictions, dépassé nos peurs, remis en question notre docilité, ébranlé notre indifférence et entraîné une masse de gens dans cet éveil enthousiaste et indigné.
Paroles de citoyen-NE-s, recueillies à la manifestation du 22 août 2012
« Dans les prochaines années, les luttes sociales au Québec devront beaucoup au mouvement étudiant, qui a été une bougie d’allumage. Les gens doivent se politiser et prendre en charge leur situation. »
« Les étudiants ont été très courageux. J’admire leur créativité, leur sens de l’humour et leur constance extraordinaire. »
« Merci de nous avoir réveillés! Les étudiants ont soulevé plein de ferveur contre le néolibéralisme. On a tous une responsabilité citoyenne de continuer ce mouvement. C’est la fin du repli sur soi! »
« Bravo!! Chapeau!! Les étudiants ont le courage de leurs convictions. Ils ont réussi à questionner le statut quo et à monter un mouvement qui, je l’espère, ne va pas s’arrêter. »
« Un ami m’a dit « Il était temps qu’ils se réveillent, les jeunes! », je lui ai répondu « Il était temps qu’ils NOUS réveillent!! » »
« Ce qui m’a plu dans ce mouvement c’est la désobéissance. Les étudiants se sont fait interdire plein de choses, mais ils ont désobéit. Un moment donné, il faut transgresser, c’est comme ça qu’on arrive à quelque chose. Faut pas lâcher! »
« Continuez, le plus longtemps possible! La grève étudiante a été un départ magnifique qui s’est élargi de façon très intéressante, et avec beaucoup d’intelligence. Il faut que la question de fond soit abordée, celle du système socioéconomique actuel; il faut continuer, au-delà des élections, et c’est une responsabilité de tous les citoyens et les citoyennes. »
Au sujet de ces textes…
Ce document s’adresse à tous mes camarades investi-E-s dans la lutte pour la justice sociale; intéressé-E-s par un projet collectif orienté par une recherche radicale de dignité humaine; engagé-E-s dans la résistance étudiante qui a changé pour toujours la saveur de notre citoyenneté;
Le contenu théorique sur les stratégies de lutte nonviolentes et la désobéissance civile y côtoie des actions directes de résistance issues du printemps québécois ou d’autres contextes, ou encore des considérations critiques sur les modes d’organisation des militant-E-s. Autrement dit, ce document se veut un guide de réflexion et d’inspiration militante, qui se nourrit du mouvement social des derniers mois et espère à son tour et à sa manière contribuer à alimenter ledit mouvement et la réflexion critique qui doit l’accompagner jusqu’au bout.
En tant que militante et étudiante engagée dans la grève depuis plusieurs mois, j’ai eu la chance de d’élaborer, de documenter et de rédiger ce document. Il importe toutefois de préciser que les réflexions contenues en ces pages sont le produit d’échanges et de dialogues avec de nombreux et nombreuses camarades et ami-E-s, entre autres issu-E-s du mouvement étudiant, de groupes féministes, de militant-E-s de Profs contre la Hausse et de membres du Centre de Ressources sur la Nonviolence (CRNV). Merci à toutes les personnes qui ont collaboré à ce document par leurs réflexions comme par leur aide technique. Un merci spécial au CRNV pour avoir vu dans le mouvement étudiant l’occasion de lancer ce projet et pour tout l’encadrement qui m’a été fourni durant sa conception!
Pour accéder à la version intégrale du texte, cliquez sur Printemps Québécois_ Nonviolence et désobéissance civile.
La lutte se poursuit!
Laurence Guénette
**Bibliographie de la recherche:
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