Formation et préparation à l’action nonviolente : un principe et une pratique

Écrit par Laurence Guénette

Tel que vu précédemment, il ne suffit pas qu’une action directe soit exempte de violence pour qu’on puisse le qualifier de nonviolent. Souvent, la formation et la préparation contribuent pour une grande part à faire d’une action quelque chose de véritablement nonviolent, en plus de présenter plusieurs avantages et perspectives de lutte émancipatrices. La formation à la nonviolence et la préparation concrète et concertée a été une partie intégrante de plusieurs luttes et campagnes plus ou moins récentes, d’actions de désobéissance civile, de blocages, d’occupations… (Martin Luther King étant emblématique, mais aussi l’Opération SalAMI ou l’action Artung! qui sont abordés dans ces pages)

À quoi ressemble une formation ou une préparation d’action?

Formation du Programme "Jeunes pour la non-violence". (Photo: inconnu)

Formation du Programme « Jeunes pour la non-violence ». (Photo: inconnu)

L’objectif n’est pas d’offrir ici une recette de formation complète et détaillée avec un checklist des détails qu’il ne faut pas oublier en organisant une action – de tels outils existent heureusement – mais plutôt de souligner la nature, la pertinence et les avantages de la préparation consensuelle de l’action nonviolente. Mentionnons néanmoins que ces formations incluent du contenu très pratique (quoi apporter, comment se protéger physiquement de la brutalité policière, choisir une cible, quoi dire ou ne pas dire à la police en cas d’arrestation, quelle stratégie médiatique employer, quelles conséquences juridiques sont possibles, etc) ainsi qu’un contenu plus approfondi ou réflexif (par exemple : ateliers sur la recherche de consensus, les dynamiques de groupe et les dynamiques d’oppressions, la nonviolence, une évaluation de la formation elle-même et des retours réguliers (check-in) sur le processus vécu). Une formation peut aussi être agrémentée d’un contenu politique analytique relié à l’enjeu de la lutte, de même que de jeux de rôle et de simulations de différentes situations. La nature de la formation ou de la préparation dépendra de toute façon de l’action ou de l’engagement qui est en cause, du nombre de personnes y participant; elle peut durer de quelques heures à quelques jours!

La formation à la lutte nonviolente et la préparation à une action directe peuvent améliorer l’efficacité de la stratégie de plusieurs façons, en plus d’assurer davantage de sécurité aux militant-E-s. Elles permettent évidemment d’être mieux préparé-E-s non seulement aux différents scénarios qui pourraient survenir, mais aussi à notre propre comportement et aux réactions des autres participant-E-s dans des situations inhabituelles et stressantes. Sur un plan humain, elle permet de développer une certaine cohésion et un espace d’appui mutuel au sein du groupe affinitaire, en plus d’une confiance partagée, tous les participant-E-s sachant qu’ils et elles ont préparé l’action commune avec le même sérieux et en s’accordant sur certains principes.

Il existe des ressources pour appuyer la formation à la nonviolence et à la désobéissance, ainsi que la préparation d’actions directes!

→  New Tactics in Human Rights : Training Tools.  Ressources en anglais, notamment pour guider la préparation de stratégies et de tactiques de lutte, ateliers, contenus et jeux pour élaborer des formations

→  Matériel d’information légale de la CLASSE et document complet « Surprise! on a des droits?! »  du Collectif opposé à la brutalité policière, pour guider la préparation légale des actions directes ou quoi faire en cas d’arrestation.

→  Répertoire d’actions directes nonviolentes et explications, pour s’inspirer et percevoir la multitudes de moyens disponibles, élaboré par l’Institut de recherche sur la résolution nonviolente des conflits.

→   198 moyens d’action nonviolentes, persuasion, non-coopération, interventions ainsi qu’actions symboliques, liste non-exhaustive élaborée par l’Insitut Albert Einstein.

→   Technique de l’action nonviolente, informations et trucs pour la préparation d’actions directes en groupes affinitaires.

→  Autres ressources à venir!

La préparation comme mode d’organisation démocratique et inclusif

Formation du Mouvement pour une Alternative Non-violente. (Photo: inconnu)

Formation du Mouvement pour une Alternative Non-violente. (Photo: inconnu)

Si la formation des soldats préparant ceux-ci à servir dans l’armée repose principalement sur l’apprentissage de l’obéissance aux ordres, la formation à la lutte nonviolente ou à la désobéissance civile repose sur l’inverse! Les participant-E-s apprennent ensemble à s’organiser sur un mode démocratique, à prendre des décisions par consensus, à reprendre leur pouvoir d’agir plutôt que de se soumettre et se conformer, à respecter leur propres limites et celles des autres, à agir de façon à contribuer à un espace de lutte inclusif et communautaire, à être sensible aux rapports de pouvoir et d’oppression et à les déconstruire.

En effet, il ne suffit pas d’invoquer les beaux principes qui sous-tendent la nonviolence, comme la radicalité et l’inclusivité; il convient surtout de les mettre en pratique dans le mode d’organisation des luttes. Pour que la préparation ou la formation soit cohérente avec la nonviolence comme stratégie de lutte créative, autonomisante et émancipatrice, elle doit être un espace ou rien n’est négligé pour être inclusif, démocratique et libertaire. De telles pratiques dans une communauté ou un groupe affinitaire ont des impacts non seulement sur les actions entreprises mais aussi sur la culture militante des participant-E-s. Le fait de porter une attention rigoureuse aux différents rapports d’oppression au sein du groupe mène les activistes à une prise de conscience plus radicale qui a le potentiel de se transposer à tous les aspects de la vie de chacun et chacune, de même qu’aux autres sphères de militantisme côtoyées par ces personnes.

La préparation nonviolente permet de se réunir sur une base égalitaire pour réfléchir ensemble aux objectifs fondamentaux que nous poursuivons dans une conjoncture politique et sociale donnée, de même que pour choisir ensemble les principes généraux et les détails tactiques de l’action. C’est grâce à une telle préparation que l’action peut s’avérer véritablement inclusive; tous les participant-E-s ont la possibilité de s’exprimer, de contribuer à la création de l’action, de mesurer les risques envisagés et leur propres limites, de choisir un rôle au sein de la lutte.

« La formation à la nonviolence est importante car elle nous autonomise, nous redonne le pouvoir et nous oblige à considérer les fins et les moyens, et aussi parce qu’elle décentralise le pouvoir. Plus important encore, la formation renforcit le mouvement pour le changement social » Lynne Shivers, militante féministe, dans Reweaving the Web of Life)

Secret ou transparence dans l’action directe?

Il est nécessaire d’envisager un certain degré de transparence pour arriver à mettre en pratique tous ces principes; une action secrète préparée par un groupe affinitaire de quelques individus qui invitent des centaines de militant-E-s à participer à l’aveuglette ne permet évidemment pas cette inclusion. Si le secret permet un certain effet de surprise – à supposer que la surveillance policière n’ait pas réussi à se faufiler dans nos téléphones, nos courriels et nos demeures! – il prive en outre certain-E-s militant-E-s de pouvoir participer librement à l’action directe. En effet, les parents de jeunes enfants, les personnes déjà judiciarisées ou celles ayant des restrictions légales en raison de leur statut migratoire, ou simplement celles qui en sont à leurs premières expériences de lutte, pour ne nommer que quelques exemples, sont parfois forcées de s’exclure elles-mêmes de l’action directe en raison du secret total entourant la nature de l’action. Le choix du secret n’est pas nécessairement répréhensible ou uniquement désavantageux, mais il faut être lucide par rapport aux limites qu’il impose!

formation à l'action directe nonviolente

Formation à l’action directe nonviolente. (Photo: inconnu)

L’effet de surprise peut être avantageusement remplacé par l’effet de préparation dans une lutte. C’est là-dessus que compte un groupe opposé à l’exploitation des gaz de schistes au Québec, Moratoire d’une Génération, qui a donné des dizaines de formation à la désobéissance civile au vu et au su des médias et des autorités politiques et policières! Ces derniers sont au courant que dans plusieurs villages québécois où les gaz de schistes et les concessions minières généreuses attirent des compagnies d’extractions favorisées par le système légal, des citoyens et des citoyennes sont prêt-E-s à l’action directe dès que les foreuses se pointeront le bout du nez! La pression est donc entamée avant l’action elle-même, y compris sur certaines entreprises extractives. Bien que guidé par la recherche absolue de la rentabilité des investissements, le président d’une compagnie gazière canadienne constatait cet effet dissuasif de savoir la population mobilisée et formée : « une équipe de fracturation coûte environ 500 000 $ par jour. Alors je ne payerai pas ce genre de tarif si le risque est trop grand qu’il y ait des manifestants qui s’enchaînent aux installations et qui empêchent l’équipe de travailler » (Voir moratoiredunegeneration.com)

Créer un réseau solidaire et un espace d’appui mutuel

Nous avons déjà mentionné que la formation à la nonviolence ou la préparation à une action directe peuvent contribuer à créer plus de cohésion entre les militant-Es qui s’y organisent. En plus de créer des liens entre les individus, elles deviennent un espace de solidarité potentiellement libre de contraintes hiérarchiques et de rapports de pouvoir. Cet espace doit permettre à chacun-E d’exprimer ses peurs, ses doutes, ses limites ou son enthousiasme, en dehors de toute perception traditionnelle de performance.

Chaine humaine comme arme non violente. (Photo: inconnu)

Chaine humaine comme arme non violente. (Photo: inconnu)

L’organisation de la lutte nonviolente et de l’action directe doit aussi aspirer à cette santé psychologique collective qui est trop souvent mise de côté ou perçue comme secondaire dans les milieux militants. Il en va de même après une action ou une campagne; les réseaux solidaires et affinitaires doivent permettre aux militant-E-s qui le désirent de chercher de l’appui et de l’écoute, de même que de procéder collectivement à un retour critique sur l’action ou la campagne où tous et toutes pourront s’exprimer librement. Dans la cohérence de la nonviolence, les participant-E-s devraient être sensibilisé-E-s dès la préparation d’une action aux thèmes de safe space, de soutien psychologique, de fatigue, de respect de soi. La nonviolence radicale invite à faire preuve de prudence et de criticisme face au réflexe habituel de performance, qui nous pousse à exiger de nous-mêmes et des autres un engagement et un dévouement constant, parfois au prix de notre santé!

« La fatigue et la lutte », quelques mots sur la grève étudiante de 2012

« La grève apparaît comme un moment d’exception qui mérite qu’on se jette corps et âme dans les réunions ou les manifs. Beaucoup d’entre nous craquent de fatigue, d’angoisse, rêvent à des flics, égrènent des passages du code Morin. On se demande parfois si on n’est pas en train de reproduire une certaine tendance à la performance, profondément enchâssée dans nos sociétés postindustrielles. Le burn-out de la militante ou du militant ? Non, voyons, la lutte continue.

[…] Nos contres-pouvoirs doivent être des lieux d’inclusion, autant au plan de l’identité que de la mobilité physique, de la « capacité ». Est-ce que nos formes de participation politique sont pensées selon ce paradigme ? » (extraits de La fatigue et la lutte, Pascale Brunet et Julien Simard, Voir, 10 mai 2012)