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Des perturbations utiles ou inutiles ?

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Il y a un petit peu plus de 100 ans, une avancée technologique révolutionnait le monde. Le moteur à combustion devenait accessible aux individus par la voie de l’automobile. Depuis, la fascination du déplacement individuel a moulé nos vies et nos villes. Mais les limites de la nature sont telles que nous ne pouvons pas, dans ce domaine, suivre indéfiniment nos désirs. Le glas pour cette fascination a sonné, depuis mai 2018 et nous en avons un écho avec le mouvement Extinction Rebellion, devenu rapidement mondial!


La science est unanime. Nous devons rapidement sortir de la combustion ou compromettre la biosphère. C’est ce qui fait agir des militants qui, par des gestes d’éclat, osent remettre en question des habitudes néfastes mais profondément ancrées. Les militants pour la réduction des polluants à l’échelle mondiale ne portent qu’un seul message : nous devons repenser l’organisation du travail et de notre société, pas dans cent ans, pas dans dix ans, mais maintenant, dans les prochains mois ou les prochaines années. Le changement doit advenir et il faut en prendre conscience maintenant! L’image forte de la menace qui justifie cette crise, c’est celle de la « terre étuve », une terre qui risque de tous nous cuire à la vapeur par le réchauffement dû à l’effet de serre.


D’où les blocages des ponts, les perturbations de la circulation, des scénarios d’automobilistes coincés dans leur « trajet de char quotidien » qui risquent de se reproduire suite à d’autres gestes d’éclat qui vont aller en se multipliant partout à travers le monde.


De telles actions sont accueillies avec un mélange de réprobation et de sympathie; elles provoquent la frustration et la rage mais ne laissent personne indifférent, et les militants s’en aperçoivent. Les conducteurs en colère refusent de se trouver prisonniers de quelques militants, sans se rendre compte de leur captivité associée à une habitude de transport, au fait que la société n’offre pas d’options pour se rendre de chez soi à son travail et vice versa. Les gestes d’éclat ont le mérite de « faire émerger le conflit », forcer la prise de conscience d’un grand enjeu de société. Ils sont à prendre comme tels même si l’on souhaite toujours une action bâtie avec une approche gagnante. Une action non-violente ne vise pas à perturber mais à construire graduellement une force politique afin d’atteindre des objectifs précis.


Pour faire entendre la cause du climat, il est souvent suggéré aux militants de prendre des stratégies plus à même de rallier les citoyens réfractaires au changement, d’exercer une influence sur des industriels et des gens d’affaires de renom, en tout cas d’éviter de se mettre à dos l’establishment et la masse silencieuse souvent indécise. Derrière toutes ces suggestions, il y a pourtant une pernicieuse présupposition : les gens seraient en mesure de changer leurs habitudes suite à la suggestion de personnes qu’elles jugent crédibles et par la simple éducation à un sens de responsabilité.

Malheureusement, comme on peut le voir, tel n’est pas le résultat de l’imposant travail accompli depuis des décennies au Québec et à travers le monde par des groupes de lutte pour la protection de l’environnement!
C’est dans ces conditions qu’on invite à une analyse plus positive des actions pacifiques qui mettent à l’avant-scène les enjeux de la crise. La majorité de nos dirigeants, toujours aveuglés par les bénéfices qu’ils tirent du statu quo, sont peu portés à s’engager pour le changement. Ils rejettent les conclusions scientifiques, relativisent tout, évitent le sujet ou font semblant d’agir, se disant que la pression va finir par passer. Couper de moitié la combustion dans les 10 prochaines années et l’éliminer complètement d’ici 2050, cela requiert des engagements politiques majeurs auxquels on n’a pas le choix de contraindre la classe politique et les masses.
Pour créer des conditions de changement, l’éducation fait un bout de chemin, certaines formes de contraintes ont aussi un rôle catalyseur à jouer.


Une certaine espérance ?


Il faut comprendre que le souci premier des politiques et de leurs systèmes de tout faire pour se maintenir et donc de favoriser le statu quo. Ce qui est souvent le fait d’un compromis entre divers détenteurs de pouvoir (aristocratie, finance et corporations).


La majorité de bénéficiaires, tous ceux qui tirent avantage du système en place sont convaincus de le soutenir. Dans la majorité des cas, ces compromis se maintiennent au détriment de certains groupes, créent des classes de sans-voix ainsi que nous l’enseigne l’histoire de l’humanité. Les plus forts mettent en place des mécanismes pour répondre à leurs intérêts, en général en asservissant les plus faibles. Le travail des enfants, l’esclavage, l’interdiction du vote des femmes, les mauvaises conditions des travailleurs, l’oppression systémique des peuples. De la part du pouvoir et de la majorité consentante, c’est donc le même slogan : Pourquoi changer les choses lorsque nos intérêts sont bien servis?


D’où la question pour les militants et militantes : quelles forces mobiliser pour contraindre le système et la majorité consentante à adopter les voies du changement? Très souvent, la stratégie est de créer les conditions de non-coopération active avec le système.


C’est peut-être à cela que le mouvement actuel pourrait nous mener.

Malgré l’occurrence des « faux pas », ces premières actions annoncent peut-être une longue lutte pour imposer le changement vers une économie sobre en émissions carbone. D’importantes transformations seront requises et, vraisemblablement, la concession de certains privilèges au bénéfice des générations futures, et une légion de citoyens sont prêts à passer à l’action. Les organisations citoyennes ont beaucoup appris en ce qui concerne les clés de la mobilisation au cours des dernières décennies. On est loin des mouvements « Occupy » et d’indignés avec l’imposante logistique des camps permanents, des dérapages de violence du mouvement des gilets jaunes et de la mouvance anarchiste de lutte des années altermondialistes. La mécanique des pouvoirs politiques est de mieux en mieux intégrée et comprise. Et la persistance des actions dans ce sens devrait permettre de défaire progressivement les compromis du statu quo.


Par-delà l’hystérie médiatique qui pousse à la dramatisation des conséquences des gestes posés, tous devraient constater qu’une redoutable force citoyenne est en émergence, une force qui redéfinit, pour ainsi dire, les assises de nos démocraties. La démocratie du « scrutin périodique » tenu aux quatre ou cinq ans est appelée à intégrer une démocratie en continu guidée par l’action directe citoyenne, démocratie au quotidien que les mouvements sociaux sont en voie d’enraciner? Si c’est le cas, la menace climatique advenant que nous relevions l’immense défi de la sortie du carbone, aura été une bénédiction!