Hydrocarbures, quelle politique pour le Canada ?
Le promoteur du Pipeline Énergie-Est est en train d’achever sa tournée québécoise le long du trajet planifié pour l’oléoduc de TransCanada. Il veut rassurer les citoyens.
Aux journées citoyennes, ce sont les questions de sécurité et d’intervention d’urgence qui ont été abordées de front. Une thématique intéressante car, à la base, les pipelines constituent des infrastructures qui défient tous les principes élémentaires de la sécurité citoyenne et environnementale. C’est sur un très vaste territoire canadien, bordé de montagnes et de cours d’eaux que ces mécanismes de transport vont être déployés en vue d’alimenter un réseau mondial de gigantesques raffineries de pétrole. On parle d’installation d’immenses infrastructures, hautement vulnérables, sur des milliers de kilomètres, destinées à faire circuler un produit dangereux destiné à l’exportation et devant transiter par un immense territoire sensible, réserve d’eau propre et de ressource naturelle.
L’installation d’un pipeline sur un territoire génère une nouvelle installation névralgique pour un État. Car la mal fonction ou le sabotage deviennent rapidement des menaces majeures à la sécurité et à la santé des populations. Les autorités fédérales, provinciales et régionales concernées doivent planifier la surveillance sécuritaire, l’intervention en situation d’urgence et les mesures de gestion de désastre de cette immense infrastructure. Malgré les prétentions des promoteurs, le tout est ultimement la responsabilité des services publics.
Une telle infrastructure névralgique implique un état de veille permanent face aux aléas environnementaux ou des menaces humaines (sabotage intentionnel). L’installation est facile d’accès parce qu’elle est enfouie près de la surface; de par son étendue, elle est pratiquement impossible à surveiller et des dommages peuvent y être causés avec des moyens relativement modestes. L’accroissement des aléas environnementaux plus extrêmes est aussi une source de préoccupation car les assises de l’infrastructure peuvent se fragiliser et entraîner des bris beaucoup plus fréquents que ceux envisagés. Ce qui impose la mobilisation permanente d’importantes ressources, des capacités énormes pour permettre aux services publics d’agir face à des cas de catastrophe.
Nationalisme énergétique canadien
Il est intéressant de revoir l’historique de la politique énergétique canadienne en revenant au temps de Pierre-Eliott Trudeau, le père de l’actuel Premier Ministre canadien. Au début des années 80, en effet, Monsieur Trudeau a développé une politique énergétique qui a ensuite été lourdement condamnée aussi bien par les provinces pétrolières que par les multinationales. La politique en était une d’usage du pétrole canadien à des fins d’autonomie énergétique du pays. Cela semblait condamner la production axée vers l’exportation vers les marchés mondiaux.
Le contesté Programme énergétique national (PÉN) est pourtant demeuré la politique officielle de l’énergie du gouvernement du Canada durant le règne libéral depuis lors. C’est, en fait, cette politique qui explique le paysage bleu des provinces du Canada central lors des récentes élections fédérales. Nombreux étant ceux qui ont voté par peur pour le PÉN que par amour pour M. Stephen Harper!
Introduit après les crises énergétiques des années 1970, le PÉN visait à : 1) promouvoir l’autosuffisance pétrolière du Canada; 2) maintenir les réserves de pétrole, particulièrement pour la base industrielle dans l’est du Canada; 3) promouvoir la possession canadienne de l’industrie de l’énergie; 4) favoriser les bas prix; 5) promouvoir l’exploration pétrolière au Canada; 6) promouvoir les sources alternatives d’énergie et 7) accroître les revenus du gouvernement des ventes de pétrole à travers une variété de taxes et d’accords.
P.-E. Trudeau, a même créé une entreprise étatique, Pétro-Canada, qui devenait l’instrument pour réaliser cette politique. Il est intéressant de noter que dans l’Ouest du pays, le Centre Petro-Canada de Calgary était connu sous le nom de Red Square « Place Rouge ». Une désignation qui montre quelle perception les opposants à cette politique, essentiellement les citoyens de l’Ouest canadien, s’en sont faite.
Le diktat du contrôle des prix au bénéfice des Canadiens fut condamné par les intérêts du Canada central et d’abord par les grandes pétrolières, comme une politique anti marché, et seulement au bénéfice du Canada de l’Est… Cette politique a eu pour effet des raffineries implantées dans l’Est et des « jobs » créés grâce au pétrole en Ontario et au Québec. Aujourd’hui ce n’est plus réellement le cas.
Le pétrole canadien pour accélérer la transition énergétique du pays?
L’économie pétrolière d’exportation, principalement de pétrole non-conventionnel, rend l’économie canadienne hyper vulnérable. Non seulement l’exploitation de ce pétrole se réalise à coûts très élevés, mais aussi l’exportation coûte cher tout en étant régi par les caprices d’un marché mondial soumis à des fluctuations politiques.
Les pipelines sont des investissements prévus en fonction de l’exportation; les grandes pétrolières y voient les moyens de garantir l’achat d’immenses volumes de pétroles sur un très long terme. Les raffineries de calibre mondial, ayant des capacités dépassant le million de barils par jour, défient l’option de raffiner le pétrole sur place. C’est pour cela qu’il ne faut pas compter sur les grandes pétrolières quand il s’agit de produire pour une consommation de proximité, créer des emplois durables pour une demande spécialisée au Canada Central.
Mais l’engagement à utiliser ce pétrole à des fins de « Transition énergétique accélérée » ne pourrait-il pas, au moins, répondre au critère d’acceptabilité sociale au niveau canadien; ne serait-ce pas l’ouverture vers une option « gagnant-gagnant »? D’une part, ceci impliquerait la construction de raffineries sur place dans l’ouest du pays. Un plan pétrolier assurant des « jobs » au Canada Central au lieu de « jobs » au Québec et en Ontario essentiellement, jouirait d’une plus grande acceptabilité. Le Canada pourrait aussi se servir de son pétrole pour une transition de l’industrie manufacturière hors des énergies fossiles. Dans un tel scénario, on aurait besoin des énergies fossiles pour une certaine période pour implanter des centres intégrés de travail à distance, fabriquer les nouveaux équipements de transport non fossiles, creuser les infrastructures géothermiques, transporter et produire les éoliennes, favoriser les productions de proximité telles : la fabrication et l’installation de panneaux solaires, la mise en place des politiques d’économie énergétique (isolation, conversion énergétique, pour fabriquer les infrastructures de transport en commun……). Le pétrole canadien pourrait continuer d’être exploité pour accélérer la transition énergétique au Canada et son impact serait ressenti positivement à travers tout le Canada.
Plusieurs dirigeants de multinationales se sont récemment montrés ouvert à la transition énergétique. Mais il convient de rester vigilant. Ces acteurs acquis aux jeux des bourses sur les marchés mondiaux peuvent-ils se remettre en question sans y être forcés?
Il n’y a, malheureusement que la mobilisation citoyenne qui pourra imposer le redressement nécessaire à cette industrie.