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Collectivités scolaires à la dérive

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Une école est un environnement  qui requiert de la stabilité. Les jeunes ont besoin de se référer à un cadre de vie bien défini. Les repères constants et harmonieux de ce milieu de vie et d’apprentissage sont indispensables, à un moment crucial de leur développement. C’est encore là, on l’espère, une idée à laquelle de nombreux parents adhèrent, idée qu’ils ont contribué à matérialiser en soutenant le développement des écoles de proximité, des écoles soutenue par les communautés.

Depuis un temps cependant, nous sommes à la croisée des chemins. Un certain affairisme a investi le monde scolaire jusqu’à y implanter la culture du « service scolaire ».

Nous sommes dus au Québec pour une nouvelle relance majeure de l’éducation nationale et le temps presse.  Cette relance passe inévitablement par la stabilisation des conditions de travail des professionnels, conditions qui deviennent des soutiens à la résilience dans des conditions de crises de toute sorte. 

Une vision affairiste de l’école

L’approche de « services » adaptés aux besoins multiples de clientèles diversifiées  est, depuis quelque temps, l’option scolaire offerte aux familles. On choisit la vocation de l’école de son enfant selon ses aspirations sportives, artistiques ou certaines préférences pédagogiques et académiques. Les volets se multiplient et les écoles de quartiers perdent la diversité des champs d’intérêt qui font leur richesse.

Notre système d’éducation déjà inégal (avec ses secteurs privé et public) s’est complexifié davantage en s’ouvrant à une sorte de système éducatif à la carte. Ainsi, une part importante des familles, qui voient d’un bon œil la liberté de choisir pour leurs enfants les conditions d’apprentissage plus prometteuses, les dirigent hors de l’école de quartier. C’est la « culture du service », qui a continué de s’étendre; elle s’applique de plus en plus à la gamme complète des services scolaires : services de soutien divers, tâche du concierge qui s’évalue en minutes par classes, tâche de l’enseignant évaluée au nombre d’élèves par classe.  Dans cette vision affairiste de l’école les directions opèrent des bâtiments au pied-carré. L’école n’est plus gérée selon le besoin essentiel de l’élève.  Elle opère sous la forme d’un centre de services, c’est-à-dire selon la loi du marché.

Nous ne parlons pourtant pas de la tonte de gazon, de réinstallation de logiciels ou de surveillance de chantier, mais bien de l’encadrement de jeunes garants de l’avenir.

La précarité et instabilité

Les coupures budgétaires affectant nos écoles ont déjà lourdement hypothéqué la qualité de l’éducation publique. La plus grande charge financière de notre système d’éducation, on le devine, est constituée des salaires et des bénéfices qui les accompagnent.  Pour les nouveaux « Centre de services scolaires », contrôler ses coûts veut essentiellement dire limiter le nombre de postes permanents.  Des employés contractuels, à temps partiel, occasionnel, etc. sont les préférences. C’est la véritable culture de l’ « employé accessoire ».  Dans certains Centres de services scolaires, les employés à conditions précaires atteindraient jusqu’à 40 % du personnel toutes catégories confondues.

Les postes de « simples surveillants » d’élèves se multiplient.  Puis se sont implantés les services de garde en milieu scolaire, services auxquels on confie les jeunes tôt le matin et tard en fin de journée afin d’adapter le monde scolaire au monde du travail. 

La surveillance est devenue le service passe-partout, avec une banque de recrutement composée du personnel partiellement formé; les gestionnaires peuvent puiser dans une large banque de ressources déjà intégrées à la structure administrative. On y retrouve souvent une gamme variée de compétences à peine proches des compétences recherchées. Le statut de ce personnel est encore plus précaire, et les salaires sont beaucoup moins élevés; il est donc particulièrement avantageux d’y avoir recours.  D’un milieu d’apprentissage et d’assistance professionnel indispensable aux jeunes, on transite vers un environnement de garde pur et simple d’une part importante de nos élèves.

Les gouvernements ont beau parler de l’éducation comme une priorité, de la valorisation de la profession d’enseignant. Mais nous reconnaîtrons tous que des décennies de négligence et de marchandisation de l’éducation ont mené à une consolidation d’un secteur public de luxe financé par l’État et les citoyens (l’école privée assistée), à la diversification des offres du secteur public pour compétitionner avec ces collèges et finalement à une école de troisième zone, l’école publique de quartier en proie à une dégradation rapide de ses services. 

Nombreux sont ceux qui quittent le bateau, démoralisés, après des années d’investissement professionnel. 

Dans plusieurs écoles de quartiers, nous nous retrouvons avec des écoles ou un nombre important d’élèves sont « en mal d’attachement ».  Avant de créer un lien avec un adulte, plusieurs jeunes doivent sonder les limites de l’adulte et voir l’espace de vie ou de liberté qui leur sera alloué; ils ajusteront leur comportement en conséquence.  Dans les conditions d’instabilité chronique, un tel exercice devient sans doute impossible.

Pour une école résiliente

Nous garderons désormais en tête les éventualités de crises sociales ou environnementales  qui s’avèrent des occasions de remettre rapidement sur la table la question d’une éducation où le travail effectué auprès de l’enfant doit se distinguer d’un service d’affaire. La récente crise sanitaire aura encore plus sérieusement mis à l’épreuve les ressources humaines et la qualité de vie de nos milieux scolaires.

On a beaucoup parlé du défi de l’enseignement à distance pour les jeunes. Mais au fil des mois,  aux consignes pandémiques que tous connaissent (masque, distanciation et désinfection), se sont ajouté une panoplie de contraintes à la vie de groupe, le fonctionnement en bulles-classe, les zones d’activités dans la cour d’école et de nombreuses autres procédures sanitaires. 

L’événement mondial aura été un choc, mais aussi un puissant exercice d’apprentissage forcé sur l’importance du « vivre ensemble ». Nous découvrons dorénavant que nous sommes tous interdépendants, que notre mieux-être individuel passe après le mieux-être collectif. Face au virus, nous avons dû le constater, la collectivité va bien à grands coups de responsabilités individuelles.

L’enfant a besoin de repères, d’un cadre de vie stable. Une certaine régularité, une prévisibilité du quotidien sont nécessaires à son fonctionnement et son bon développement. L’école doit s’efforcer de le lui assurer et même de le munir des moyens appropriés de résilience.