« Idle No More » (Fini la passivité) est un mouvement qui regroupe Amérindiens, Inuits et Métis du Canada. Il refuse un imposant projet de loi du gouvernement conservateur qui risque de mener à la destruction de plusieurs composantes de la loi canadienne qui protègent certains aspects de leurs spécificités et des droits territoriaux. L’appel du mouvement a des répercutions mondiales et a mené à de multiples actes non-violents de résistance aux quatres coins du globe.
Depuis le 11 de décembre 2012, Theresa Spencer, chef de la Nation Attawapiskat qui a fait les machettes au cours de l’année en lien avec les conditions de sous développement de sa communauté, est en grève de la faim. Elle a lancé ce geste non-violent de protestation pour protester contre le refus du dialogue de Premier Ministre concernant un projet de loi qui risque d’activer l’assimilation des peuples autochtones et le refus d’aborder la question des traités imposés aux Premières Nations.
Nous publions ici l’article “Idle No More: Le pourquoi de notre mouvement”, de Pam Palmater, spécialiste des questions autochtones, tiré de la Coopérative de communication MediaCoop qui développe le thème.
Le mouvement Idle No More, qui a balayé le pays pendant les vacances, a pris par surprise la plupart des Canadien·ne·s, y compris le Premier ministre Stephen Harper et son gouvernement Conservateur.
Cela ne veut pas dire que les Canadiens n’ont jamais vu une manifestation autochtone, puisque la plupart d’entre nous nous souvenons des soulèvements d’Oka, de Burnt Church et d’Ipperwash. Mais la plupart des Canadien·ne·s n’ont pas l’habitude du genre de mobilisation soutenue, coordonnée, pancanadienne à laquelle ils et elles assistent depuis quelques semaines – du moins pas depuis 1969. L’année 1969 a été la dernière fois que le gouvernement fédéral a présenté un plan d’assimilation des Premières nations. Ce plan a été défait à l’époque par l’opposition farouche des Autochtones, et il semble que le plan agressif d’assimilation législative de S. Harper va se heurter à une résistance encore plus féroce.
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Pour comprendre ce qu’il en est de ce mouvement, il est nécessaire de comprendre le lien entre notre histoire et la situation actuelle des Premières nations. Bien qu’énormément d’injustices aient été infligées aux peuples autochtones au nom de la colonisation, les peuples autochtones n’ont jamais été «conquis». La création du Canada n’a été possible que grâce à la négociation de traités entre la Couronne et les nations autochtones. Bien que le libellé des traités varie entre les traités de paix et d’amitié conclus à l’Est et les traités numérotés conclus à l’Ouest, la plupart d’entre eux sont basés sur la promesse de base que nous allions tous vivre ensemble en paix et partager la richesse de ce territoire. Le problème est qu’il n’y a qu’une des parties à ces traités qui a bénéficié de toute la prospérité.
En refusant de partager les terres et les ressources tel que promis dans les traités, le Canada a placé les Premières nations au bas de tous les indicateurs socio-économiques – santé, espérance de vie, niveaux d’instruction et occasions d’emploi. Tandis que les terres et les ressources autochtones sont utilisées pour subventionner la richesse et à la prospérité du Canada en tant qu’État et les programmes et services de grande qualité offerts aux Canadiens, les Premières nations ont dû subir un sous-financement délibéré et chronique de tous leurs services de base aux personnes, qu’il s’agisse de l’approvisionnement en eau potable, d’installations hygiéniques, de logement ou d’éducation. Cela a conduit à de multiples situations de crise combinées dans plusieurs Premières nations, comme la crise du logement à Attawapiskat, la crise de l’eau à Kashechewan et la crise de suicides à Pikangikum.
Une partie du problème tient à ce que la politique fédérale à l’égard des «Indiens» a toujours pour objectif principal de se débarrasser du «problème indien». Plutôt que de travailler en fonction du mandat officiel des Affaires indiennes, soit «améliorer le bien-être social et la prospérité économique des Premières Nations», Harper tente, à travers un programme ambitieux très agressif, d’accomplir ce que le Livre blanc de 1969 n’a pas réussi à faire : se débarrasser du problème indien une fois pour toutes. Les Conservateurs ne le nient même pas – en fait, un discours prononcé par Harper le 24 janvier dernier à Ottawa, lors de la Rencontre de la Couronne et des Premières Nations, a porté sur un déverrouillage des terres des Premières nations et sur une intégration des Premières Nations dans la société canadienne pour le «plus grand bénéfice» de l’ensemble des Canadiens. [Quant à la loi C-45], cette suite d’environ 14 textes de loi a été élaborée, présentée et débattue sans le consentement des Premières Nations.
Idle No More est un mouvement coordonné, stratégique, qui n’est dirigé par aucun politicien élu, chef national ou directeur exécutif rémunéré. Il s’agit d’un mouvement d’abord dirigé par des femmes autochtones, auquel se sont ensuite ralliés des leaders populaires des Premières Nations, des Canadien·ne·s, et maintenant des gens de partout dans le monde. Il a débuté comme un moyen de faire opposition au projet de loi C-45, le projet de loi omnibus qui affecte les droits à l’eau et les droits fonciers reconnus par la Loi sur les Indiens, il s’est agrandi pour inclure l’ensemble des lois canadiennes – et des coupures budgétaires correspondantes – qui cherchent à censurer les plaidoyers des organisations politiques des Premières Nations.
Nos activités comprennent une campagne progressive d’envoi de plus en plus de lettres aux député·e·s et aux ministres, des teach-ins, des défilés et des flash-mobs, et vont jusqu’à des rassemblements, des manifestations et des blocus. Notre concept consistait à donner au Canada toutes les chances possibles de venir à la table d’une manière significative et aborder ces questions en suspens depuis longtemps; l’escalade ne se produirait que si le Canada continue de ne pas tenir compte de nos voix. Malheureusement, le premier ministre Harper a décidé de rester fermé aux appels au dialogue comme il a refusé de tenir compte de la grève de la faim de la chef Attawapiskat Theresa Spence.
Même si le mouvement Idle No More a débuté avant la grève de la faim de la chef Spence et qu’il se poursuivra après, sa grève est symbolique de ce qui se passe pour les Premières Nations au Canada. Chaque jour où Spence ne mange pas est une étape de sa mort lente, et c’est exactement ce qui se passe pour les Premières Nations, dont les durées de vie sont jusqu’à 20 ans plus courtes que la moyenne des Canadiens.
Idle No More présente une revendication semblable en affirmant la nécessité pour le Canada de négocier le partage de nos terres et de ressources. Mais le gouvernement doit d’abord faire preuve de bonne foi en retirant la loi 45 et en rétablissant le financement de nos communautés. Il est essentiel de faire quelque chose pour résoudre la crise immédiate à laquelle sont confrontés les gens de la base de ce mouvement.
Je suis optimiste quant à la puissance de nos peuples et je suis convaincue que nous en viendrons à remettre sur la bonne voie une relation de négociation de ces traités. Cependant, je suis moins confiante quant à la volonté du gouvernement Conservateur de s’asseoir avec nous et de résoudre ce problème de façon pacifique dans un proche avenir. Je m’attends donc tout à fait à ce que ce mouvement continue de se développer et s’intensifier. Le Canada n’a pas encore vu tout ce que ce mouvement a à offrir. Il va continuer à croître à mesure que nous renseignerons les Canadiens sur les faits de notre vécu et les nombreuses façons dont nous pouvons toutes et tous vivre ici en paix et partager la richesse.
Après tout, les Premières Nations, avec nos droits ancestraux constitutionnels et ceux issus de traités, sont pour les Canadien·ne·s le dernier et le meilleur espoir de protéger les terres, les cours d’eaux, les plantes et les animaux d’une destruction complète – et cet espoir n’avantagera pas seulement nos enfants, mais les enfants de l’ensemble des Canadien·ne·s.
Pamela Palmater préside la chaire de Gouvernance autochtone à l’Université Ryerson et c’est une militante autochtone au sein du mouvement Idle No More.
Source : www.mediacoop.ca/blog/martin-dufresne/15364
Lire aussi le journal Le Devoir pour le contexte québécois.
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