Extrait de l’ouvrage: Gene SHARP (2009), La force sans la violence, L’Harmattan, Paris; 98 p.
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DÉVELOPPER UNE ALTERNATIVE RÉALISTE À LA GUERRE ET AUTRES VIOLENCES
LA VIOLENCE dans la société et la politique, qu’elle se présente sous forme de guerre, de terrorisme, de dictature, d’oppression, d’usurpation ou de génocide est largement reconnue comme un problème grave. Toutes les suggestions pour résoudre le problème de la violence, ou simplement certaines de ses formes, ont été vaines. Il est probable que ces suggestions ont échoué parce qu’elles s’appuyaient sur une compréhension erronée de la nature de la violence. Il est difficile, sinon impossible, de résoudre un problème si on ne le comprend pas.
Le but de cette réflexion est de proposer une autre manière d’appréhender la nature du problème de la violence généralisée dans la société et la sphère politique, afin de déterminer ce qu’il est nécessaire de faire pour en venir à bout. Il nous faut donc analyser dans quelles conditions il sera possible de réduire nettement le recours à la force militaire ou à tout autre mode violent de gestion des conflits. Il nous faut examiner les raisons pour lesquelles la violence est si fréquemment considérée comme nécessaire pour mener à bien des causes, tant bonnes que mauvaises. Il nous faudra aussi déterminer les changements fondamentaux qui pourraient être réalisés pour nous éloigner de cet état d’esprit.
L’objectif de cette réflexion est simple mais peut-être fondamental pour résoudre le problème de la violence dans les conflits politiques et internationaux.
Il est important d’admettre que le conflit dans la société et la sphère politique est inévitable, voire fréquemment souhaitable. Certains conflits peuvent être résolus par des moyens modérés tels que la négociation, le dialogue et la conciliation : autant de méthodes qui impliquent d’accepter des compromis. Mais ces méthodes ne sont applicables que lorsque les enjeux en cause ne sont pas fondamentaux. Et même dans ces cas, il apparaît que la résolution d’un conflit par la négociation est plus souvent influencée par les relations de domination existant entre les différentes parties que par l’acceptation conjointe et raisonnée du compromis le plus juste. Pourtant, dans de nombreux conflits, les enjeux en cause sont, ou du moins sont tenus pour, fondamentaux. Ce sont des « conflits aigus ». Ils ne sont pas adaptés à une forme de résolution qui suppose des compromis.
Dans les conflits aigus, au moins l’une des parties considère qu’il est nécessaire et juste de mener un combat violent contre la partie adverse. Les conflits aigus sont souvent menés dans le but de faire progresser la liberté, la justice, une religion ou une civilisation, ou encore de résister à une violence hostile. Ce type de violence peut être employé pour imposer une oppression, pratiquer des injustices, mettre en place une dictature, contester les principes moraux ou religieux d’une communauté, attenter à la dignité humaine ou encore menacer la survie d’un groupe humain.
Dans le cadre de tels conflits, l’une des parties estime qu’il serait catastrophique, compte tenu de ses principes, de ses convictions, de la société entière, et parfois pour sa survie même, de se soumettre, de capituler ou de perdre. Dans de telles situations, combattre aussi vigoureusement que possible paraît une nécessité.