»Tout d’abord, il y a longtemps que plusieurs militants, associations ou groupes autochtones tentent de faire ressortir la question des femmes autochtones disparues ou assassinées sur la place publique et qui se questionnent sur le nombre, très préoccupant, de femmes autochtones portées disparues ou assassinées. En 2004, un rapport d’Amnistie Internationale Canada-Francophone faisait état de la situation suivante: » le rapport On a volé la vie de nos soeurs : Discrimination et violence contre les femmes autochtones (…) concluait notamment que « dans tous les cas, les autorités canadiennes auraient pu et dû en faire plus pour assurer la sécurité de ces femmes et jeunes filles ou pour s’attaquer aux facteurs sociaux et économiques qui ont contribué à les mettre en danger » (….). J’ai aussi pu constater que la mobilisation a été en s’intensifiant avec le temps sur ce sujet et que la revendication d’une demande d’enquête publique sur la question est apparu de plus en plus souvent dans les médias, chose qui a probablement favorisé une meilleure conscientisation publique à la tragédie. Il y a eu plusieurs vigiles, manifestations et actions, de la part de groupes autochtones, en collaboration avec des groupes québécois, pour supporter la cause, notamment en 2015. Il faut aussi ajouter que j’ai remarqué, avec le temps, la situation d’invisibilité des disparitions, dans les grands médias, comparativement aux jeunes filles ou aux personnes québécoises. Cette situation avait été dénoncée par certains militant(e)s autochtones, mais également par certaines familles de jeunes femmes disparues, dont la maman d’une jeune fille disparue qui a donné une entrevue à La Presse, à l’automne 2014.
Si le gouvernement libéral était déjà critiqué sur ses actions par Amnistie Internationale sur le sujet, en 2004, le gouvernement conservateur a simplement considéré ces meurtres et ces disparitions comme étant des crimes qui se devaient d’être punis par la justice. Ce regard ne considère pas qu’il puisse y avoir des causes sociales ou même politiques qui font que la situation en est là et que l’on se retrouve avec un si grand nombre de femmes autochtones portées disparues ou assassinées. Jusqu’à la fin de son mandat, il a refusé l’idée d’une enquête publique indépendante. La mobilisation qu’il y a eu ces dernières années a peut-être favorisé la réflexion du Parti Conservateur sur le sujet.
En septembre 2014, j’ai proposé à l’équipe de 99% Média de publier des avis de disparitions pour les femmes et les jeunes femmes autochtones au seindu média. L’ouverture de l’équipe a été fantastique et l’équipe comprenait bien la nécessité que cela se fasse. Nous avons également fait une entrevue avec Widia Larivière, de Femmes Autochtones du Québec, qui a pu décortiquer les mythes et les réalités de ce fléau, pour bien faire comprendre que c’est une réalité aussi Québec (et pas que dans l’Ouest), et ensuite publier l’entrevue sur vidéo, aux personnes qui suivent 99% Média. Ce vidéo a circulé sur les réseaux sociaux et a sans doute permis à des gens être plus conscients de la situation.Comme j’étais également conseillère sur le conseil d’administration du Centre Wampum, à ce moment, j’ai également abordé le sujet des avis de disparitions dans les médias. Il faut mentionner que comme le Centre travaille à un rapprochement entre les Québécois et les Autochtones, et qu’il tient une rencontre mensuelle où diverses thématiques sont abordées, ce sujet interpellait. Nous avons décidé de faire venir une conférencière de chez Femmes Autochtones du Québec, sur la situation des femmes autochtones disparues ou assassinées, en 2015. Cela a peut-être favorisé des prises de conscience ou confirmé des impressions déjà présentes, chez les gens qui ont eu la chance d’assister à la conférence.
J’ai remarqué qu’il y avait dans le public là-aussi un intérêt à ce que les gens soient alertés au moment d’une disparition. J’ai donc choisi de rendre encore plus visibles les avis de disparitions déjà présents, pour aider du mieux que je pouvais la cause, vu les moyens dont je disposais. Ainsi, il fut publié plusieurs avis de disparitions sur la page Facebook de 99% Média dès le printemps 2015 (ainsi que dans le média même) que la clientèle du Centre Wampum et les abonné(e)s de 99% Média pouvaient consulter. Les avis pouvaient provenir de petits journaux locaux (il y a eu à deux reprises des avis provenant de journaux de masse et est-ce dû au fait que les mobilisations avaient lieu? Je ne pourrais le confirmer, mais c’est possible) ou même de la page de la GRC directement. Au fil du temps, la clientèle du Centre Wampum a reçu également des avis de disparitions sur la page Facebook du Centre et tout le monde, que ce soit la clientèle du Centre ou les abonnés de 99% Média, était invité à partager sur les réseaux sociaux. Cela a contribué à ce que ces disparition soient plus visibles sur les médias sociaux, pour ainsi augmenter les chances de retrouver les femmes. Je suis consciente aussi qu’en tant que média alternatif, 99% Média est suivi par de plus grands médias et ainsi, j’espérais que cela entraîne un effet d’entraînement chez ceux-ci. Il faut également ajouter que lorsque l’équipe d’Enquête, à Radio-Canada, s’est rendu à Val d’Or, en mai 2015, afin de parler avec la famille de Cindy Ruperthouse, qui avait été portée disparue et qui voulait dénoncer la lenteur des recherches effectuées par la police dans ce dossier, l’avis que les enquêteurs ont envoyé dans un journal local pour retrouver des informations permettant de trouver des réponses à la disparition de Cindy a également été publié sur la page Facebook de 99% Média.
J’ai eu espoir que les avis de disparitions pour les femmes autochtones soient plus nombreux et plus visibles dans les grands médias, le jour où M. Trudeau a annoncé qu’il y aurait une enquête sur les meurtres et disparitions des femmes autochtones, après son arrivée au pouvoir. En effet, le soir même, au bulletin de 22h, à TVA, les nouvelles ont commencé avec les avis de recherche de plusieurs femmes et jeunes femmes autochtones. Du jamais vu, de mémoire. Deux de ces avis de recherches concernaient justement deux jeunes femmes qui étaient disparues ensemble des années plus tôt, dans la région de Val d’Or et dont une des familles avait justement dénoncé, 14 mois plus tôt, le fait que les médias ne s’intéressaient pas à leur fille. Malheureusement, la dernière disparition sur laquelle j’ai travaillé a eu lieu lors de la découverte du corps de la petite Cédrika Provencher. Ainsi, tandis qu’une famille savait enfin ce qui était arrivé à sa fille, une autre était morte d’inquiétude et a fait des pieds et des mains, avec l’aide de plusieurs personnes, tant abonnées à la page de 99% Média qu’à la page du Centre Wampum, sur les réseaux sociaux, sans l’aide des grands médias pour la retrouver. J’y ai vu également un traitement médiatique très différent et ce genre de chose peut vulnérabiliser encore plus les jeunes femmes ou femmes autochtones-inuites portées disparues. Depuis, je ne sais pas si la situation perdure (par manque de temps j’ai dû cesser), mais j’espère éventuellement que les choses changeront et que ces disparitions seront considérées comme aussi importantes que celles des personnes québécoises qui disparaissent ».