Écrit par Josiane Loiselle-Boudreau
Les élections générales au Guatemala, prévues pour le 9 septembre 2007, suscitent la controverse. Au sein de la vingtaine de partis politiques engagés dans la course électorale, il y a d’un côté Rigoberta Menchu Tum, lauréate du prix Nobel de la paix de 1992, qui se présente comme candidate à la présidence à la tête du premier parti politique autochtone du pays, l’alliance Encuentro por Guatemala (EG-Winaq). D’un autre côté, le général José Efraín Ríos Montt, ex-dictateur de 1982 à 1983, se présente au sein du Front républicain guatémaltèque (FRG) pour un poste de député au Congrès alors qu’il fait face à des accusations de génocide et qu’un mandat d’arrêt international pèse contre lui.
Pays de contrastes et d’inégalités, le Guatemala fut profondément marqué par les 36 années de conflit armé interne (1960-1996) qui ont engendré 200 000 morts, 45 000 disparus, 660 massacres et anéanti 400 villages. Les exactions perpétrées durant ce conflit par les régimes militaires successifs, notamment par celui de Ríos Montt, furent essentiellement dirigées à l’encontre de la population maya.
Ainsi, le grand paradoxe de cette campagne électorale vient du fait que Menchú fut l’instigatrice des poursuites intentées en 1999 contre Ríos Montt en Espagne[1]. À l’instar des organisations de défense des droits de la personne et des groupes de victimes, elle attribue à Ríos Montt et sa « politique de la terre brûlée »[2] les violations massives des droits de la personne et le génocide envers la population maya. Malgré les recours intentés pour l’en empêcher, le Tribunal suprême électoral a officiellement accepté la candidature de l’ex-putschiste le 2 mai dernier. Non seulement Ríos Montt aspire-il à un poste de député, mais aspirerait même, selon une déclaration faite en avril dernier, à présider le Congrès.
Depuis que les Accords de paix, signés en 1996, ont officiellement mis fin aux hostilités, la société guatémaltèque tente de se reconstruire. Ainsi, plusieurs groupes de la société civile guatémaltèque, appuyés par des organisations internationales, se sont engagés dans une lutte contre l’impunité et pour un meilleur système de justice. C’est dans ce contexte qu’en 1999, la Fondation Rigoberta Menchú Tum [3] a déposé une plainte contre Ríos Montt[4] devant la Cour nationale espagnole pour crime de génocide et pour l’incendie à l’ambassade d’Espagne. Ce n’est toutefois qu’en 2006 qu’un mandat d’arrêt international a été émis contre lui. En 2001, l’Association pour la justice et la réconciliation, appuyée par le Centre d’action légale en droits humains, déposa une plainte devant les tribunaux guatémaltèques. Toutefois, plus de dix ans après la signature des Accords de paix, les responsables des multiples exactions commises durant le conflit interne restent impunis et l’inefficacité du système judiciaire guatémaltèque demeure toujours à son comble. Cette situation vient d’ailleurs miner les efforts déployés pour que se concrétise la réconciliation du peuple guatémaltèque avec son lourd passé.
Dans ce contexte, la participation de l’ancien dictateur Ríos Montt au processus électoral lui procure déjà une immunité parlementaire qui sera prolongée pour les quatre prochaines années si ce dernier était élu. Pour les 101 organisations internationales qui ont appuyé les groupes locaux dans leur lutte contre la candidature de Ríos Montt, l’élection de celui-ci au Congrès retarderait considérablement les efforts de justice et de réconciliation du peuple guatémaltèque. Lors des élections générales de 2003, les mobilisations n’avaient pas réussi à empêcher Ríos Montt de déposer sa candidature pour la présidence, puisque les magistrats de la Cour constitutionnelle avaient finalement statués en sa faveur.
Enfin, parmi les candidats controversés qui se présenteront pour un poste au Congrès se trouve aussi Rudy Pozuelos Alegría, un ex-colonel et ex-dirigeant de l’État-major présidentiel pendant le gouvernement d’Alvaro Arzú qui aurait été lié au meurtre de l’évêque Juan Gerardi en 1998.[5] Il est à noter que depuis le début du processus électoral, la violence envers certains candidats jette une ombre considérable sur la démocratie au Guatemala. Déjà, le 26 mai dernier, pas moins de quarante-cinq dirigeants politiques avaient été assassinés selon la secrétaire générale d’EG-Winaq. Toutefois, le dernier sondage sur les intentions de vote donne une note d’espoir, puisque Menchú se retrouvait en troisième position[6], alors que le candidat du FRG n’était qu’en cinquième position.
[1] Le père de Rigoberta Menchú trouva la mort, avec 36 autres personnes, dans l’incendie de l’ambassade d’Espagne en janvier 1980.
[2] Au Guatemala, la « politique de la terre brûlée » se réfère à la politique répressive selon laquelle les villages étaient rasés par l’armée et les habitants, massacrés. Les femmes étaient violées, les plantations brûlées et les animaux domestiques sacrifiés. Après les massacres, les cadavres étaient exposés sur la place publique.
[3] La somme d’argent qui accompagnait le prix Nobel remporté par Rigoberta Menchú en 1992 lui a permis de fonder sa fondation, la Fondation Rigoberta Menchú Tum.
[4] La plainte visait en tout sept anciens dirigeants, militaires et chef de la police guatémaltèques (José Efraín Ríos Montt, Oscar Humberto Mejía Víctores, Angel Aníbal Guevara Rodríguez, Germán Chupina Barahona, Pedro García Arredondo, Benedicto Lucas García et Donaldo Alvarez Ruiz) tous accusés de génocide, de torture, de terrorisme et de détention illégale.
[5] Mgr Juan Gerardi fut assassiné le 26 avril 1998, deux jours après la parution du rapport Nunca Más, un projet de l’Office des droits humains de l’archevêché du Guatemala (ODHAG) qui visait la récupération de la mémoire historique en rapportant les exactions commises par l’armée durant les 36 années de conflit armé interne au Guatemala.
[6] Avec 10,2% des intentions de votes selon le sondage CID-Gallup réalisé du 7 au 13 mai 2007. Voir El Periodico du 28/05/2007.