Quand l’incurie dans la gestion forestière menace notre paix écologique
Nos gouvernements sont-ils garants de notre sécurité environnementale ? La question mérite bien qu’on y réponde rapidement ainsi que le révèle la situation particulière de la Forêt seigneuriale Joly.
La gestion de cette forêt, située à 60 kms seulement des Ministères de notre Capitale nationale, accuse un cafouillage qui laisse penser que la situation serait pire là où le suivi peut être complexifié par la distance et les difficultés d’accès. Nos gouvernements ne sont-ils pas plus attentifs aux redevances financières qu’ils ne le sont aux biotypes, à l’eau et à la santé de la population? Le sort qu’ils ont réservé à cette forêt est bien loin d’être un modèle de gestion durable.
Le dernier bloc forestier entre Montréal et Québec
Plus qu’une richesse, la Forêt seigneuriale Joly est un symbole fort de notre survie. On y retrouve les dernières terres humides et des rivières faiblement perturbées de la zone écologique de la plaine du Saint-Laurent.
Sur ce site de l’ancienne seigneurie de Lotbinière, territoire de 163 kms² sur la rive sud, on retrouve une grande diversité biologique, de petites concentrations de forêts anciennes et des arbres centenaires heureusement encore épargnés des coupes supervisées par notre ministère des Forêts. La forêt héberge la réserve Écologique Lionel Cinq-Mars, située sur le territoire de la municipalité de Saint-Édouard de Lotbinière.
Le réseau hydrographique préservé du secteur, est un excellent référent, un indicateur des changements qu’inflige le développement abusif aux cours d’eau du Québec.
Une gestion chaotique
Le site est une forêt publique appartenant aux contribuables, mais il est toujours géré à l’ancienne, c’est-à-dire comme toute forêt considérée comme une « station forestière » (propriété du gouvernement qui est aussi un lieu d’expérimentation forestière). Gestion chaotique aujourd’hui qui dénote non seulement de l’incurie mais aussi de l’impuissance du gouvernement face aux entreprises ; les redevances juteuses l’emportent sur la responsabilité.
Les forestières y sont actives en hiver et y coupent encore de façon sélective les arbres matures. Cette forme de coupe évite l’orniérage et l’érosion. Avec le temps, le site a été quadrillé de multiples routes d’accès qui favorisent la pénétration des espèces végétales envahissantes. Ces espèces à terme, vont coloniser les berges des cours d’eau et considérablement transformer l’équilibre végétal du secteur. Dans plusieurs secteurs de zones humides, ce quadrillage et un drainage mal planifié ont occasionné l’inondation de vastes surfaces et précipité la mort par asphyxie de plusieurs hectares de boisés. La multiplication des voies d’accès accroît les usages motorisés au lieu de les concentrer sur des zones précises qui peuvent être mieux supervisés. Elle favorise l’érosion du sol dans les secteurs plus escarpés, surtout en bordure des rivières.
Des droits d’exploitations d’érablières ont été accordés en quantité à la grandeur du territoire (près d’une centaine d’exploitations acéricoles totalisant des centaines de milliers, voire le million d’entailles). Bien que cette utilisation entraîne une présence, et constitue une activité économique intéressante pour la région. Les activités se font au printemps, une période de vulnérabilité particulière des forêts et des voies d’accès à l’érosion.
Pour ce qui est de la chasse, impossible de compter sur les agents de la faune supposés policer d’immenses territoires couvrant plus que la totalité de la région administrative Chaudière-Appalaches. La chasse dans la petite forêt, c’est la loi de la jungle. Peu de gens osent même s’y rendre en période de chasse, de peur de se faire intimider.
Et les ineffables gazières.
Quant aux gazières, elles préparent leur royaume au cœur de la forêt. Michael Binnion, président de l’albertaine Questerre a dernièrement affiché une image de la Forêt Joly sur sa page Facebook, laissant entendre que la fracturation ne comporte aucun danger parce qu’elle s’opère «loin des lieux habités ». On sait que, pour ses projets-pilotes de fracturation hydraulique à large échelle, l’entreprise vise Deschaillons et les deux sites dans la forêt seigneuriale.
L’entreprise Gaz Métro est aussi fin prête. Elle espère connecter des dizaines de puits à son réseau de distribution. Déjà les puits inopérants de Saint-Edouard et de Leclercville ont rasé chacun l’équivalent d’un terrain de football dans la seigneurie. Gaz Métropolitain peut bien se vanter d’avoir pris le virage solaire, mais on aimerait voir le résultat sur le terrain.
Pour être rentable, dans la forêt seigneuriale, la fracturation hydraulique n’exige rien de moins que la transformation de cette forêt en un site industriel lourd, comme ceux qu’on voyait dans les années 1950. Accroissement et consolidation des voies d’accès, pompage de millions de litres d’eau, injection massive d’eau contaminée dans les sols, pompage et refoulement vers la surface d’hydrocarbures, large bassins d’eaux usées toxiques à décontaminer, etc.
Les poissons, reptiles et batraciens de la réserve écologique, dont la menacée tortue des bois, baignent donc dans une eau de drainage industrielle, en pleine campagne.
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Établir des règles d’exploitation durables, respectueuses d’une ressource critique pour notre survie semble un effort surhumain pour nos Ministères dont les plans consistent à accommoder les exploitants forestiers touchés par les droits compensatoires américains, favoriser l’exploitation gazière en vue d’une croissance rapide de l’économie. De tels plans ne passent pas pour une forêt de la taille de la seigneuriale Joly…
Mais il n’y a qu’une population déterminée et défiante qui pourra les arrêter.
Le Dossier en profondeur!
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Les plans du gouvernement québécois sont d’accroître les droits de coupes dans les forêts publiques.
Les pressions économiques mettent en danger un pôle de biodiversité remarquable.
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La Seigneurie de Lotbinière, joyau provincial. (Partie 3 de 3)
Un environnement menacé. Jouer avec le feu avec les armes à feu.