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La corruption au Québec, pire qu’ailleurs?

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Il est difficile de nier la présence d’actes de corruption dans les structures économiques et politiques du Québec ces temps-ci. Des allégations et des preuves de transactions aussi douteuses les unes que les autres se multiplient; des témoignages par des acteurs importants du secteur public sur les abus de pouvoir et les trafics d’influence se succèdent à longueur d’année. De quoi alimenter les analyses journalistiques qui en concluent que le Québec serait un terreau fertile pour la malhonnêteté et la fraude.

N’est-ce pas une question intéressante, en effet, de se demander si la situation est pire au Québec que partout ailleurs au pays?

Nul doute, des criminels ont bel et bien infiltré la politique et des secteurs-clés de notre économie. Mais un simple survol de la réglementation sur les conflits d’intérêt, une observation attentive des mécanismes d’acquisition gouvernementaux, tant au fédéral qu’au provincial, donnent plutôt à considérer la corruption au Québec comme une manifestation locale d’un système fédéral laxiste face aux conflits d’intérêt, un système près de déboucher régulièrement sur des scandales.

Le fédéral et la réglementation

À quoi ressemblent, en effet, les cinq dernières années anti-corruption du gouvernement Harper, ce gouvernement élu suite au « Scandale des commandites » ? Un indicateur important du niveau de sérieux dans la gestion fédérale de nos resources concerne les politiques en matière de conflits d’intérêts.

Au fédéral, il existe en effet, une « période de restriction » qui interdit à tout ex-fonctionnaire d’agir, l’année qui suit la cessation de ses fonctions, au bénéfice d’un ancien fournisseur. Il ne peut ni accepter un emploi offert par ce fournisseur, ni intervenir, même par personne interposée, en sa faveur à quelque niveau du gouvernement que ce soit. La réglementation paraît contraignante. Sauf que se sont également développées des moeurs qui suffisent à l’entraver.

APORTES.TOURNATES-220x286Dans le cas des contrats militaires, par exemple, les processus d’acquisition fédéraux s’échelonnent souvent sur plus d’une dizaine d’années. Un an avant sa retraite, le fonctionnaire n’a qu’à transférer son dossier à un collègue de confiance et, la retraite venue, il sollicitera un emploi auprès du fournisseur ayant obtenu le contrat. Un an de prescription ne représente déjà pas une barrière suffisante pour éviter les conflits d’intérêts. Mais, en plus, il s’agit d’une période de restriction qui peut être réduite, et même annulée, par un « administrateur général ».

Et l’on ne compte pas les multiples facteurs qui peuvent expliquer que la réglementation ne s’applique pas en ce qui concerne des très hauts fonctionnaires fédéraux : les perspectives d’emploi du fonctionnaire, l’importance que le gouvernement attache aux renseignements détenus par le fonctionnaire avant son départ de la fonction publique, etc.

Les processus d’acquisition

Le gouvernement a largement ouvert la voie à des mécanismes permettant de contourner de façon systématique les étapes administratives de vérification. Les procédures d’appels d’offres sont évitées; les processus d’adjudication se font en catimini et l’expertise de vérification publique n’est pas renouvelée.

Une culture de l’auto-réglementation est bien installée.corruption5

Au fédéral, ce sont souvent des programmes de plusieurs centaines de millions, voire des centaines de milliards qui dépensent dans les acquisitions. On n’a qu’à penser aux systèmes informatiques pour gérer les allocations aux personnes (chômage et pensions), les constructions de prisons, les systèmes de gestion pour les opérations de contrôle frontalier ou la restriction des armes à feu. Et, bien entendu, aux vertigineuses dépenses militaires. L’espace pour la fraude et la corruption au fédéral est beaucoup plus vaste, complexe et attrayant. Le scandale des commandites impliquant des dizaines de millions de dollars n’est qu’une toute petite illustration des dérapages possibles.

Ottawa, la Mecque des lobbyistes

Les politiques d’Ottawa soulèvent des questions pour une autre raison : la capitale fédérale, est devenue, en toute légalité, la Mecque des consultants, des lobbyistes et opportunistes de tout acabit. Des  entreprises composées d’anciens hauts fonctionnaires, mandarins des services publics et politiciens recyclés ont présentement le vent dans les voiles. On le voit facilement en parcourant les profils et cheminements de carrière des conseillers et partenaires des lobbies inscrits au registre fédéral -le registre est accessible à tous sur Internet.

Le gouvernement Harper a l’intention d’acheter 65 avions de chasse F-35 JSF : un contrat sans appel d’offres de 9 milliards de dollars. (Photo : La Presse Canadienne /Northrop Grumman)
Le gouvernement Harper a l’intention d’acheter 65 avions de chasse F-35 JSF : un contrat sans appel d’offres de 9 milliards de dollars. (Photo : La Presse Canadienne /Northrop Grumman)

Les tâches des consultants, peut-on deviner, n’est autre que de faciliter le cheminement des dossiers de leur employeur dans les structures administratives du fédéral en passant par les réseaux d’anciens collègues qu’ils ont souvent, eux- mêmes, nommés à des postes-clés de gestion des acquisitions.

Et les ministères critiques en ce sens sont ceux qui administrent des contrats de centaines de millions et de milliards de dollars, soit ceux de la Défense nationale et des approvisionnements.

Le pire exemple vient d’Ottawa, d’un gouvernement qui cherchera bientôt à se faire réélire, ayant mis en place tout ce qu’il faut pour éliminer toutes les formes de vigilance et les multiples freins qui avaient été mis en place pour éviter la corruption. Les contribuables vont-ils, encore une fois, encaisser le coup de massue sans broncher?