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Cas Sepur Zarco, Guatemala: des survivantes d’esclavage sexuel mènent un combat historique

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Février 2016 marquera la justice guatémaltèque en plus de créer un précédent au niveau mondial. Pour la première fois, un cas de violences sexuelles commises à l’époque du conflit armé sera jugé devant une cour nationale. La Commission pour l’éclaircissement historique a reçu plus de 1 500 dénonciations de violences sexuelles subies durant le conflit armé, majoritairement par des femmes autochtones mayas. La magnitude des souffrances ne peut toutefois pas être comptabilisée, et peut facilement être estimé bien supérieure à se chiffre, d’autant plus que le caractère tabou du sujet contribue à occulter l’ampleur de cette partie de la mémoire historique. Afin de permettre à un groupe de 15 femmes des départements d’Izabal et d’Alta Verapaz, survivantes de violences et d’esclavage sexuels, d’accéder à la justice, trois organismes travaillant conjointement avec les victimes du conflit armé ont formé en 2010 l’Alianza Rompiendo el silencio y la Impunidad (l’Alliance pour briser le silence et l’impunité). Le cas Sepur Zarco est un acte de courage de la part des 15 femmes et 5 hommes qui en septembre 2012 ont rompu le silence en témoignant pour la première fois devant la justice. L’âge avancé de la majorité des témoins a obligé le système juridique à collecter les preuves de manière anticipative.

Sepur Zarco est le nom d’une région dans l’Est du Guatemala, à forte concentration autochtone, qui a été durement touchée lors du conflit armé entre la fin des années 1970 et 1980. Six bases militaires ont été installées dans les environs, afin de contrôler une possible présence de la guérilla dans le secteur. Les crimes actuellement étudiés par le Ministère Public ont eu lieu durant la période 1982-1983, coïncidant avec les années les plus violentes du conflit dans le pays.

Quelques mois avant les événements, plusieurs paysans de leur communauté s’étaient organisés afin de demander à l’Institut National de Transformation Agraire d’obtenir la pleine gestion de leurs terres. La réponse fut brutale ; les hommes enlevés, les maisons et les récoltes brulées et les animaux volés. Les femmes et les enfants furent laissés dans une situation d’extrême vulnérabilité. Les 15 plaignantes furent par la suite forcées de travailler pour la base militaire pendant six mois, les femmes assumant à tour de rôle ce fardeau, par blocs de trois jours à la fois. En plus d’être obligées de cuisiner, laver le linge et répondre aux demandes des militaires, elles furent abusées sexuellement de manière systématique. Elles ont souffert d’hémorragies, d’avortements spontanés et bien d’autres conséquences médicales suite aux agressions répétées. Certaines femmes ont été contraintes par la suite, comme des milliers de paysan-ne-s, à se réfugier dans les montagnes pendant plus de cinq ans afin de fuir les horreurs que commettait l’armée.

Un procès historique

En Juin 2010, le Lieutenant Colonel Esteelmer Francisco Reyes Girón et l’auxiliaire militaire Heriberto Valdez Asig furent arrêtés pour leur responsabilité quant aux crimes de guerres commis sous le mandat de la base militaire Sepur Zarco. Le premier fait aujourd’hui face à la justice en tant qu’auteur intellectuel, accusé de meurtres, ainsi que de crimes contre les devoirs d’humanité sous la forme de violences sexuelles, d’esclavage sexuel, d’esclavage domestique, de traitements cruels, inhumains et dégradants. Le second, quant à lui, est accusé pour crime contre les devoirs d’humanité sous la forme de violences sexuelles et crimes de disparitions forcées.

Ce lundi 1 février 2016 a débuté la phase du débat oral public au Tribunal de Haut Risque A, mené par l’honorable juge Jazmin Barrios dans la capitale guatémaltèque. Se fut un moment symbolique, autant pour les témoins et les trois organismes dénonçant le cas (Mujeres Transformando el Mundo, Union Nacional de Mujeres Guatemaltecas et Equipo de estudios comunitarios y acción psycosocial)), que pour la société guatémaltèque en entier. La possibilité d’entendre publiquement les crimes commis par l’armée pendant le conflit, et particulièrement à l’encontre des femmes autochtones, est une avancée prodigieuse en termes de justice dans le pays. La violence sexuelle est une arme de guerre fréquemment utilisée (pensons ici à la Bosnie, au Sierra Leone et au Rwanda dans les années 1990 pour ne mentionner que quelques exemples). Or, c’est la première fois qu’elle sera jugée comme crime contre l’humanité au Guatemala. Le processus fut loin d’être facile pour les 11 survivantes retenues par la juge qui témoignent en ce moment. En effet, ces femmes ont dû transformer leurs sentiments de stigmatisation, de honte et de culpabilité en une conviction de ce qu’elles sont réellement à présent : de courageuses défenseures des droits humains.

Combattre la peur par la solidarité

Un aspect particulier du cas Sepur Zarco est la forte stratégie de communication de la part de l’Alianza Rompiendo el silencio y la Impunidad. En effet, l’organisme a demandé à la société civile, femmes et hommes, de démontrer leur appui aux survivantes en venant assister aux audiences publiques. La forte présence de l’Alliance dans les réseaux sociaux a pour but de conscientiser le plus d’individus possibles et d’augmenter la visibilité du procès. Il est important de mentionner que le Guatemala a un long passé d’impunité et que les défenseur-e-s de droits humains font face à de multiples campagnes de diffamation. Une des voix particulièrement forte est celle d’AVEMILGUA (Asociación de Veteranos Militares de Guatemala). Cette Association des vétérans militaires a vu le jour un an avant la signature des accords de paix de 1996, avec pour but d’élaborer une protection légale pour ses membres ainsi qu’une solidarité entre militaires.

Dans le but de protéger leur identité et pour des questions de sécurité en lien avec la nature des témoignages présentés, les 11 femmes qui témoignent présentement dans le cas Sepur Zarco ont en permanence le visage couvert à l’aide de tissus traditionnels. Plusieurs personnes dans l’audience, en support aux victimes, ont fait de même. Nonobstant, dans une entrevue avec le journal en ligne Nomada, le président d’AVEMILGUA, José Luis Quilo Ayuso, a affirmé connaître le nom de toutes les victimes ayant témoigné dans le cas Sepur Zarco. Leur divulgation dans les réseaux sociaux est une façon d’utiliser la peur afin de nuire à l’avancement du procès. L’Association compte présentement 42 000 membres et une autre des stratégies utilisées est de promouvoir l’affiliation à AVEMILGUA dans les communautés touchées par les procès impliquant des ex-militaires. José Luis Quito Ayuso a expliqué que cela permettait de mieux connaître l’ennemi. Sur la page Facebook de l’AVEMILGUA, un message démontre ouvertement leur vision du cas Sepur Zarco. #CasoSepurZarco “Nous espérons que le tribunal agisse de manière conforme au droit et non en fonction de la présence internationale ».

La présence internationale était en effet sans équivoque lors de l’ouverture du procès le 1er février. La présence du diplomate américain Tobb Robinson a reçu énormément de couverture médiatique. Il était accompagné de nombreux autres diplomates et représentants internationaux, notamment de l’Allemagne et du Canada. Près de 300 personnes se sont déplacées afin de participer à la première journée d’audience. Plusieurs organismes travaillant en droits humains ont répondu à l’appel de l’Alianza Rompiendo el silencio y la Impunidad et sont venus appuyer les plaignantes. À l’extérieur de la Cour, certains avaient allumé des chandelles en mémoire des victimes du conflit armé et d’autres chantaient en cœur au nom de la justice. Le procès Sepur Zarco devrait durer une quarantaine de jours, durant lesquels témoigneront une trentaine d’individus. Les émotions sont fortes dans le Tribunal de Haut Risque A de la capitale guatémaltèque en ce mois de février. Le résultat espéré du procès marquera le Guatemala en plus de créer un précédent dans le jugement de la violence sexuelle en temps de conflit armé à travers le monde.

Sources et documents complémentaires :

  • Avances en Materia de Justicia de Género en la Corte Penal Internacional, Convergencia Ciudadana de Mujeres, Guatemala, 2012, p.9