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ACTE 2 : La chute du gouvernement pro-syrien

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Effectivement, face au défi du peuple, le gouvernement d’Omar Karamé démissionne le 28 février: « La Place des Martyrs fait tomber le gouvernement, titre un grand journal, mais cette victoire … est le début d’une sortie de crise et non la fin de la crise. »

Le 1er mars est un lendemain de fête mais aussi un moment d’incertitude. Le prochain cabinet sera-t-il neutre ou militaire? L’opposition exige du concret de la part de Damas et met la pression sur le président Lahoud pour que les mesures soient conformes à la résolution 1559 de l’ONU.

La jeunesse, de son côté, revient sur la Place des Martyrs ou de la Liberté pour partager la joie de ce premier succès mais reste en alerte et occupe le terrain. Souvent habillées de blanc, des milliers de personnes, se rassemblent près de la tombe de Rafic Hariri et agitent des drapeaux libanais. « Nous sommes habillés de blanc pour dire que nous ne voulons plus pleurer ni être en deuil, mais célébrer la naissance d’un Liban nouveau » explique un des manifestants. « Le mouvement de protestation va continuer jusqu’à ce que les troupes syriennes et leurs services de renseignements sortent du Liban, et que la vérité soit faite sur l’assassinat de Rafic Hariri ».

Cinq jours plus tard, le Liban est toujours dans le flou et attend une déclaration du président syrien Bachar Al-Assad qui est pressé de toute part pour un retrait total. Des incidents de violences urbaines sporadiques témoignent d’une tension naissante. L’annonce, retransmise sur écran géant Place de la Liberté, d’un simple redéploiement des troupes syriennes vers la Bekaa, suivi d »un retrait progressif suscite la prudence après une euphorie passagère. Est-ce le vrai début de la fin? demande la population aux soldats. Débute alors pour tout le pays une semaine cruciale.

D’une part, l’opposition appelle de nouveau à une démonstration de masse à la Place des Martyrs pour le lundi 7 mars pour réaffirmer son opposition à la présence syrienne et la volonté d’indépendance du peuple . De son côté, le Hezbollah, la force politique et armée chiite sort de sa réserve. Jusqu’ici silencieux son chef, le Cheikh Nasrallah. appelle également à une manifestation massive et pacifique pour le mardi 8 mars à place Riad El-Solh, pour protester contre les ingérences extérieures et la résolution 1559 de l’ONU, considérant notamment que le Liban ne peut encore se considérer en paix avec Israël.

Plus de 200.000 personnes se réunissent à la Place des Martyrs. Elles viennent de diverses communautés du Liban pour faire valoir une sensibilité différente, mais convergente. Leur message est clair: ignorer la volonté populaire serait une dangereuse erreur pour les dirigeants. Le fait que l’ordre ait prévalu, combiné à l’omniprésence des drapeaux libanais témoignent que des ponts existent entre ceux qui manifestent depuis trois semaines et cette immense foule qui étaient jusque là restée réservée ou silencieuse. Entrevoir une confrontation serait aussi une erreur de jugement. La population table sur les principaux trait commun qui permette d’établir des passerelles pour l’avenir. Le patriotisme libanais est un outil qui rallie . Malgré des divergences, des contacts existent d’ailleurs entre le Hezbollah et l’opposition multiculturelle.

Le lendemain 8 mars, sur la place Riad el-Solh, se tient l’importante manifestation en faveur de la Syrie et contre les ingérences étrangères dans la politique libanaise. Des milliers de musulmans chiites, sympathisants du Hezbollah y participent. Cette tendance de sympathie envers la Syrie n’est donc pas à négliger. Dans les jours qui suivent, des centaines de milliers de manifestants pro-Assad manifestent dans les rues de Beyrouth.

Comme prévu, Omar Karamé a été nommé par le Président Lahoud pour former un nouveau gouvernement mais a peu de chances d’y parvenir car l’opposition refuse de participer à un cabinet d’union nationale pour assurer la transition vers des élections législatives. Les grandes manoeuvres politiques, extérieures et intérieures, se poursuivent pendant que le redéploiement syrien vers la Bekaa bat son plein.

En même temps, Terje Roed-Larsen, envoyé spécial de l’ONU pour le Proche-Orient, est en tournée entre Le Caire, Damas et Beyrouth pour contribuer au déblocage de la situation. Lors d’une rencontre à Alep avec Bachar Al-Assad, celui-ci s’engage à fixer un calendrier précis relatif au retrait total et définitif de l’armée syrienne et des services de renseignements. Cette annonce pourrait aider au déblocage des rapports entre O. Karamé et l’opposition en vue de la formation d’un gouvernement d’union nationale.

Le samedi après-midi 12 mars, un nouveau rassemblement sur la Place de la Liberté marque la détermination de la jeunesse libanaise qui forme, avec plus de 10.000 participants, un « drapeau humain et géant pour un Liban libre, indépendant et souverain ». Le week-end s’annonce donc animé à l’extérieur comme dans les coulisses.

Une grande manifestation anti-1559 s’organise à Nabatiyé au sud-Liban et suscite un appel urgent à une contre-manifestation d’appui à la résolution de l’ONU à Beyrouth pour lundi le 14 mars, un mois après la grande journée pour la « Vérité ». Une véritable déferlante humaine converge alors vers le centre ville. Affluant de toutes les régions libanaises et au-delà de toute espérance, un libanais sur quatre répond à l’appel de l’opposition pour commémorer la mort de Rafic Hariri et exiger la vérité sur l’attentat.

Des observateurs indépendants estiment la foule à au moins 800.000 personnes, peut-être un million. Ce qui semble crédible compte tenu du cortège d’environ 5 kms nécessaires pour atteindre le lieu de la sépulture du défunt. Sans cesse, l’on crie « Abou Bahaa », le surnom de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, transformé en slogan depuis sa mort. En lettres de lumière, quelque 10 000 personnes écrivent à la tombée de la nuit sur l’un des terre-pleins de la Place des Martyrs, le mot « Vérité » en anglais et en arabe.