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Abus sexuel d’enfants, quand le système prend charge

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Écrit par Normand Beaudet


Juin 2003, je suis au travail, planifiant la relance des activités du Centre de ressources sur la non-violence. Nous sommes un vendredi après-midi, un bel après-midi de printemps. Je prévois une randonnée sur la piste cyclable dès que je suis satisfait de mon document.

Le téléphone sonne, c’est l’agence du service de garde. On m’avise qu’elle vient de fermer définitivement la garderie en milieu
familial que fréquente ma petite fille de quatre ans. Une plainte a été reçue et, après vérification, la Direction de la protection de la
jeunesse a mis les propriétaires sous enquête. On m’avise que ma fille est en sécurité, que je peux la prendre dès que possible.

C’est le choc! Nous connaissons les responsables de ce service depuis plus de dix ans. Nos deux grands se sont fait garder là, et nous
n’avons rien vu? Que s’est-il passé?

Nous devons patienter, attendre que l’enquête suive son cours, personne ne nous informe. Culpabilité, incrédulité, angoisse et rage parcourent notre âme pendant des jours. Nous ne saurons qu’au bout de trois semaines, avec le début de l’enquête criminelle, qu’il s’agit d’accusations d’abus sexuels par attouchements perpétrés par l’homme qui vient de prendre sa retraite, sur les plus jeunes enfants de la garderie. Après une démarche très professionnelle : entrevues d’enquête, mises en scène avec les jeunes, examens médicaux et observation des comportements dans une nouvelle garderie, les premières informations nous sont transmises. Notre petite n’aurait vraisemblablement pas été touchée, aucun signe physique, propos ou comportement, aucune attitude ou réaction douteuse. Un soulagement qui ne solutionne rien, la question restera toujours dans notre esprit.
Quoi faire?

Ça fait maintenant plus d’un an. Nous croisons régulièrement l’homme en question à l’épicerie. Semble que l’enquête soit longue car, d’autres accusations sont tombées et de nouvelles enquêtes sont en cours. Nous nous tenons informés des procédures, mais le sentiment d’impuissance nous habite toujours. Toutes les personnes consultées nous ont avisé de ne rien faire avant une sentence.

Comment voir ce crime? L’action d’un homme malade? L’oeuvre d’un homme faible, insatisfait et influencé par une mercantilisation à outrance des fantasmes sexuels? Ou, l’acte criminel d’un homme imbus de pouvoir qui a décidé de briser l’autonomie financière de sa femme et reprendre le contrôle sur elle en détruisant son gagne pain? Probablement un peu de tout ça. Personne pour échanger ou nous guider.

Le plus gros dilemme pour nous reste le « quoi faire?» Laisser la justice suivre son cours résultera probablement en une
sentence plutôt clémente, car il s’agit d’une première offense. L’auteur du crime ne représente pas un danger important pour la société selon ce qui nous a été dit, et il a fait une thérapie. Les intervenants semblent très rapide dans l’étiquetage de ce type de
crime. On sent les propos teintés de termes médicaux, classant l’acte en terme de pathologie, laissant entendre que l’événement est le symptôme d’un milieu de vie carencé, que l’homme nécessite un traitement vers une éventuelle guérison. Mon scepticisme est grand, je connais l’homme assez bien. Cette médicalisation, quelque peu outrancière n’a-t-elle pas l’effet de déresponsabiliser l’individu?

On a parfois l’impression que les petites victimes ne comptent pas pour beaucoup dans la démarche. Je suis persuadé que les personnes proches des enfants qui ont subi des abus ont un rôle important à jouer. Agir est la seule façon de surpasser le sentiment d’impuissance face à une telle situation. On nous indique de ne rien faire.

Nous sommes devant un acte de violence, une forme de trahison et de manipulation de l’adulte pour satisfaire ses propres intérêts au détriment de ceux des petites victimes en développement. Il s’agit d’un acte lourd de conséquences possibles et qui risque de détruire leur équilibre émotif et psychologique de l’enfant.

De fait, les recherches observent, chez les jeunes victimes, une forte tendance à mentir, à douter et à craindre l’adulte. Le lien
de confiance avec l’adulte est brisé. Les enfants abusés sexuellement ont une tendance accrue à l’isolement social et sombrent en proportion imposante dans divers rôles de victime. On observe chez eux un niveau avancé de décomposition de l’estime de soi. On sent une confusion au niveau de l’appréciation de la normalité des comportements, surtout en ce qui concerne la relation avec le sexe opposé. Leurs chances de bâtir éventuellement une vie familiale, où la confiance mutuelle est essentielle, sont presque nulles. La possibilité que ces abus se propagent de génération en génération est très grande, affectant ainsi profondément les relations entre parents, enfants et proches. Il doit être possible d’agir.

On doit le reconnaître et ne pas minimiser la gravité de l’abus. Le système ne peut de toute évidence pas tout régler. Quelle est la
responsabilité du système? La communauté environnante a-t-elle un rôle? Quels moyens donner aux proches des victimes? Comment agir sur le responsable des actes reprochés? Nous aborderons ces questions dans le prochain bulletin.

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