Écrit par Normand Beaudet
La commission Bouchard-Taylor semble avoir été forcée d’élargir sa perspective à toute la question des adaptations culturelles entre la société d’accueil et la population immigrante au Québec. Un exercice se limitant à parler d’accommodement face à des valeurs culturelles marginales était inévitablement voué à l’échec.
Et, de toute manière, l’intégration harmonieuse des personnes qui viennent joindre la population du Québec tient à beaucoup plus qu’à de simples ajustements de perception. Pour aller au fond des choses, il faut voir à quel point l’enjeu de l’intégration est critique.
Il y a quelques années, le CRNV (Centre de ressources sur la non-violence) était en charge d’offrir des sessions de travail sur la prévention de la violence en milieu multi-ethnique dans les écoles francophones de la commission des écoles protestantes de Montréal (maintenant les écoles anglophones). Les sessions se donnaient dans certaines écoles secondaires défavorisées et les jeunes étaient d’origines très diverses.
En plusieurs mois de travail, furent organisées de nombreuses mises en situations de conflits avec les jeunes. Et, avec les enseignants, nous avons constaté, que lors des simulations, les jeunes qui tenaient les propos les plus virulents, agressifs et racistes envers les autres, semblaient être des jeunes déracinés, qui meublaient leurs opinions de préjugés divers. Lors de certains exercices en tout petits groupes, nous avions tenté de faire partager les jeunes sur leur famille, leurs origines et leurs lieux d’attache. Ceux qui connaissaient bien leurs lieux d’origine et avaient gardé des liens familiaux actifs et des attaches culturelles connues semblaient beaucoup moins virulents lors des mises en situation conflictuelles. Il nous semblait y avoir un lien clair entre l’ancrage culturel d’un jeune, la virulence émotive et la teneur de ses propos.
Le constat nous a semblé à ce point frappant que, lors des rencontres avec les équipes d’écoles, nous nous demandions si la prévention de la violence chez les jeunes, en milieu interculturel n’imposait pas un programme d’éducation et de valorisation des origines culturelles. Les jeunes déracinés, semblaient se sentir plus vulnérables, moins capables de faire face à des différences et à les accepter.
Chez les jeunes, de souche locale québécoise, il nous a semblé que l’ignorance profonde de leurs valeurs culturelles pouvait générer un sentiment d’insécurité. Impossible d’identifier un seul jeune en mesure d’identifier les valeurs importantes de sa culture, d’en faire le point de départ des échanges. À l’opposé certains jeunes, qui semblaient mieux connaître leur origine familiale, paraissaient moins incisifs dans leurs interventions, lesquelles se rapportaient presque jamais à de repères discriminatoires ou racistes. Le déracinement culturel ne serait-il pas à la base d’une insécurité chronique rendant plus agressif dans certaines situations ?
L’intégration harmonieuse des communautés culturelles n’est donc pas le seul enjeu ici. Un meilleur ancrage des jeunes québécois dans leurs valeurs et leur culture est aussi une pièce maîtresse d’une intégration et une adaptation réussie. Nous sommes portés à croire que l’harmonie sociale, la prévention du racisme et des violences sociales pourraient passer par un effort de valorisation des valeurs culturelles chez nos jeunes.