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le fondement d’un «autre monde possible»

Dominique Boisvert 16 août 2016
Voici ma quatrième contribution préparée dans le cadre du Forum social mondial tenu à Montréal du 9 au 14 août 2016

De quoi parle-t-on?

la nonviolence sans trait d’union: pourquoi?
ce n’est pas d’abord l’absence de violence et encore moins le refus du combat, l’abstention d’engagement ou le manque de courage (en fait, ça en demande souvent plus) c’est pour moi une philosophie de vie, d’engagement et de combat (une vision du monde) avant même d’être une «technique» de lutte (voir La lutte non-violente, Pratiques pour le 21e siècle de Gene Sharp, Écosociété)

Discours inaudible

c’est un discours «inaudible» pour la plupart (pour le moment; surtout en période de «menace terroriste») parce qu’il va totalement à contre-courant du discours dominant depuis toujours: la violence inévitable (ou inhérente à l’humanité) nous avons besoin de «décoloniser notre imaginaire» (un monde nonviolent paraît aussi impossible qu’un monde «sans argent»)
et pourtant…

Vivons-nous dans un monde plus, ou moins, violent?

si on demande: «Vivons-nous dans un monde plus violent qu’avant?» ou «Le 20e siècle a-t-il été le siècle le plus violent de l’Histoire?», pour la plupart, la réponse évidente est OUI la réponse des faits est pourtant contraire: voir The Better Angels of Our Nature, Why Violence Has Declined de Steve Pinker (2011)

Comment expliquer une telle distorsion entre la perception publique et les faits?


les médias qui parlent surtout de ce qui va mal et rarement de ce qui va bien notre vision à court terme (qui oublie systématiquement le passé, et donc la mise en perspective) la déformation des nombres (conséquence de l’accroissement démographique fulgurant) le pré-jugé ou la sur-valorisation de la violence (nous sommes convaincus que c’est la violence qui décide en fin de compte) la peur qui fausse le jugement (voir la distorsion entre les morts chez nous et les morts bien plus nombreuses dans le Sud)
la violence n’a jamais cessé de décliner (et de manière spectaculaire), même avec les soubresauts importants qu’ont été les deux guerres mondiales au 20e siècle (XX millions de morts de 1914 à 1918 et YY millions de morts de 1939 à 1945)
même les morts violentes par armes à feu (aux USA par exemple) font moins de morts par accidents d’automobile; et les morts par terrorisme, infiniment moins que les morts par criminalité ordinaire
le travail de Pinker ne porte pas sur les statistiques (même s’il doit les étudier longuement pour établir d’abord les faits), mais sur le pourquoi de ce déclin de la violence (il est un spécialiste du cerveau humain et de son évolution)
sans chercher à résumer toute la richesse de son analyse, disons qu’il établit, de manière fort convaincante, que la violence décline dans la mesure où les individus s’en remettent graduellement de plus en plus à l’État pour exercer «le monopole de la violence légitime» par les tribunaux, la police, voire l’armée; et que cette «violence légitime» a tendance à travers l’évolution des siècles (courants «civilisateurs» des Lumières, puis des droits humains) à devenir de moins en moins brutale et de moins en moins acceptable (pour n’en donner que 3 exemples: la torture, la peine de mort et la violence faite aux femmes)
prenez la peine de lire Pinker par vous-mêmes: même un éditorialiste du grand quotidien (plutôt conservateur) La Presse a publié en janvier 2012, un éditorial sur La guerre… no Sir! dans lequel il considérait l’éventuelle possibilité d’un monde sans guerre, suite à sa lecture de Pinker

Nonviolence non seulement désirable mais possible

ce détour sur le déclin (relatif mais incontestable) de la violence avait simplement pour but de mettre en perspective notre réflexion sur la nonviolence
la violence n’est donc pas nécessairement ce fléau déplorable certes, mais inévitable (la violence étant le propre de l’humain), voire nécessaire (un «mal nécessaire»)
mieux, l’histoire de l’humain et de l’humanité montre une remise en question (et une diminution relative) constantes de cette violence
notre réflexion sur le caractère non seulement désirable mais POSSIBLE de la nonviolence n’est donc pas une pure utopie (sympathique mais irréaliste) mais bien une continuité directe (et un «saut qualitatif») de l’histoire humaine

Nonviolence comme philosophie de vie

la nonviolence est donc une philosophie de vie qui s’appuie sur de nombreuses bases philosophiques et religieuses fort anciennes: dont la «règle d’or» commune à toutes les grandes traditions: «ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’ils te fassent»
elle s’appuie sur un respect a priori de l’autre comme altérité et sur une recherche commune de la vérité; si on pousse un cran plus loin, ce respect de l’autre débouche sur un amour de l’autre dans sa dignité de frère ou de soeur en humanité (un amour qui ne repose pas sur l’attirance ou le plaisir mais sur le partage d’une commune humanité, comme dans une famille)
et cet amour (même de l’opposant, de l’adversaire, de l’ennemi) conduit à faire appel à ce que l’autre a de meilleur en lui-même, à choisir de miser constamment sur ce meilleur (au lieu de présumer/pré-juger du pire)
mais cette philosophie de vie suppose nécessairement que je ne peux pas être le seul à «avoir la vérité», et encore moins à «avoir toute la vérité»; que l’autre a nécessairement sa part de vérité (ou au moins de ce qu’il croit l’être)
c’est donc une philosophie de vie qui débouche nécessairement sur le collectif, appréhendé non pas par le biais des individus et des droits individuels mais sous l’angle du «bien commun»; et sur un collectif non pas local, régional ou national mais sur un collectif global, international et planétaire («penser à 8 milliards» comme disait Riccardo Petrella)

Nonviolence comme technique de lutte

cette philosophie de vie peut trouver des applications concrètes dans bien des sphères de l’activité humaine: la communication nonviolente (développée par Marshall Rosenberg), les relations internationales (les quelques facultés universitaires spécialisées dans la résolution nonviolente des conflits), la vie de couple, l’action politique, etc.
mais il est vrai qu’on a surtout parlé, jusqu’ici, de la nonviolence comme d’une manière alternative de mener les luttes traditionnellement menées à travers les moyens violents (y compris armés): les combats non-violents menés par Gandhi, Martin Luther King, Cesar Chavez, Aung San Suu Kyi et même, paradoxalement, Nelson Mandela
bien des gens ont vécu ces pratiques sur le terrain (le récit des luttes nonviolentes, sur tous les continents et surtout au cours du dernier siècle, remplirait un bonne bibliothèque); et plusieurs ont écrit sur le sujet; mais l’un de ceux qui a le plus systématisé la réflexion et la pratique de la nonviolence est Gene Sharp de l’Institut Albert Einstein de Boston
Sharp a d’abord étudié soigneusement les caractéristiques communes à toutes les formes de «pouvoir» (qu’il soit politique, religieux ou économique) pour en conclure que «les sources du pouvoir dépendent de l’obéissance et de la coopération» du plus grand nombre; et qu’aucun pouvoir ne pouvait résister durablement si une portion significative de la population lui retirait durablement cette obéissance et cette coopération
et pour Sharp, l’utilisation des moyens de la nonviolence, comme «technique» de lutte, est d’abord un choix pragmatique, qui n’exige même pas qu’on partage nécessairement la «philosophie de vie» dont j’ai parlé jusqu’ici: il préconise la lutte nonviolente essentiellement parce qu’elle est aussi efficace (souvent même plus efficace, surtout à moyen et long terme) que les moyens violents et parce qu’elle est infiniment moins coûteuse (à tous les niveaux: en vies humaines, en destructions, en argent, etc,) que la lutte armée
à partir des très nombreuses expériences, il a identifié 198 moyens d’action non violents différents qu’on peut utiliser, seuls ou dans toutes sortes de combinaisons, pour mener des luttes et les gagner (moyens allant des pétitions ou manifestations aux multiples formes d’interventions psychologiques, physiques, sociales, économiques ou politiques, en passant par diverses formes de grèves ou de boycott et bien d’autres formes de non-coopération)
et l’étude de plus d’une vingtaine de conflits importants du 20e siècle, de 1905 à 2000 et sur la plupart des continents, montre preuves à l’appui que la nonviolence est efficace, malgré une utilisation la plupart du temps très rudimentaire et plus ou moins spontanée, sans les ressources infiniment plus grandes que permettraient maintenant l’étude de celle-ci et la préparation adéquate en conséquence

La violence a prouvé son inefficacité

en ce début de 21e siècle, la violence a fait la preuve indiscutable de sa faillite: après deux guerres mondiales qui n’ont rien réglé de manière acceptable et définitive (la seconde guerre, qui nous avait débarrassé du nazisme, a été remplacée par la guerre froide et son «équilibre de la terreur», guerre froide qui, en passant, a été gagnée par les populations de l’Europe de l’Est grâce aux moyens de la nonviolence!), un grand nombre d’autres guerres n’ont rien donné dans le long terme (guerres coloniales comme en Algérie et en Indochine, guerres anticommunistes comme au Vietnam, en Birmanie et au Cambodge, guerres nationalistes en ex-Yougoslavie, guerres civiles comme les dictatures militaires au Brésil, au Chili, en Argentine, génocide comme au Rwanda, etc.)


«la guerre au terrorisme», lancée par l’administration américaine suite aux attentats du 11 septembre 2001 est une faillite encore plus évidente: guerre en Afghanistan, en Irak, en Lybie, et en Syrie où le mensonge politique (comme sur les armes de destruction massive), les intérêts économiques (alliances avec les pays arabes du Golfe et, en particulier, l’Arabie Saoudite), les profits considérables du complexe militaro-industriel (y compris l’industrie privée de la guerre et de la «sécurité») ont connu beaucoup plus de succès que la paix, la démocratie et la sécurité internationales que l’on prétendait restaurer ou installer dans ces régions


et non seulement les guerres ne réussissent pas à établir la paix, la sécurité et «nos valeurs» que nous voulons propager (ce qui serait déjà un échec suffisant pour repenser le tout) mais les guerres causent des fléaux majeurs et durables là où elles se déroulent (vies humaines perdues ou transformées à jamais, destructions des pays et des infrastructures, reculs considérables dans les domaines de la santé, de l’éducation, des trésors culturels, etc.). Sans parler de toutes les horreurs, des représailles, de la torture ou du viol comme armes de guerre, des milliers ou millions de réfugiés et de personnes déplacées, etc. Les seuls vrais gagnants des guerres sont, à tous coups, les marchands de canons et le Produit Intérieur Brut!

Pourquoi alors la violence est-elle plus utilisée que la nonviolence?

si la violence est si inefficace, et si la nonviolence est aussi efficace que ses adeptes l’affirment, pourquoi n’a-t-on pas, depuis longtemps, remplacé l’une par l’autre?
pour plusieurs raisons:
économiques d’abord: la guerre est plus payante que la paix (à la fois pour le complexe militaro-industriel contre lequel le président républicain Dwight Eisenhower —pourtant général et héros de guerre— mettait ses compatriotes en garde dans son discours d’adieu, et pour l’économie des pays belligérants: ce n’est pas pour rien qu’on a dit qu’«il n’y a rien de mieux qu’une bonne guerre pour relancer l’économie»)
politiques ensuite: la guerre est souvent un cri de ralliement autour duquel des politiciens réussissent à galvaniser les foules (aussi bien dans les régimes autoritaires que démocratiques: voir la popularité de Georges W. Bush avant et après le 11 septembre 2001); il ne faut pas oublier, non plus, que les «forces armées et les forces de l’ordre» sont généralement des alliés précieux pour les détenteurs du pouvoir
historiques: on a jusqu’ici essentiellement valorisé la violence comme garante du pouvoir (comme on a toujours, jusqu’à récemment, écrit l’histoire du seul point de vue des hommes) et ce n’est que tout récemment qu’on a commencé à relire l’histoire autrement
psychologiques: devant n’importe quelle peur, raisonnable ou irraisonnée, le recours à la force publique (au niveau du nombre et du symbole) est presque toujours le premier recours de tous les dirigeants (même sans rapport avec l’efficacité escomptée): il faut «rassurer le peuple» à tout prix
sociales: la violence peut être déléguée (à la police ou à l’armée) tandis que la nonviolence ne peut pas se déléguer: elle ne peut se pratiquer qu’«à la première personne, du singulier ou du pluriel»
et même académiques: on étudie la guerre et les «études stratégiques» depuis très longtemps dans les universités tandis que les études sur la paix et la résolution alternative des conflits sont encore les parents (très) pauvres de la recherche universitaire; l’industrie militaire est un lobby et une source de financement très puissants, tandis que qui peut parler et financer pour les efforts de paix?
la volonté politique en faveur de la paix est bien faible quand on la compare à la volonté politique en faveur de l’économie et de la croissance (voir la décision du Canada au sujet de la vente pour 15 milliards de chars militaires à l’Arabie Saoudite); ce n’est pas pour rien qu’il y a, dans tous les gouvernements, un ministère de la Défense et/ou des Forces armées, mais aucun ministère de la Paix; de même, on procède présentement à une révision de la Politique de Défense du Canada et si on parle beaucoup de «sécurité», on ne parle à peu près nulle part de «paix»


Oser la vérité sur la guerre et la paix pour le Canada

c’est pourquoi parler de nonviolence représente un saut qualitatif si important: dans notre imaginaire formaté par des siècles de violence, la nonviolence apparaît spontanément comme impossible, sympathique peut-être mais totalement utopique; et c’est précisément pour cela qu’il faut d’abord «décoloniser notre imaginaire», le déprogrammer, faire de la place pour une autre façon de voir le monde et les choses
et d’abord commencer par regarder les choses en face: les faits, plutôt que la rhétorique ou l’idéologie; oser la vérité sur la guerre et sur la paix
à quoi doit servir notre armée au Canada?
si c’est pour défendre nos frontières, face à quels ennemis potentiels? et on constatera très vite que nos frontières sont tout simplement indéfendables contre tout adversaire vraisemblable (la Russie et les États-Unis, au premier chef) pour des raisons de géographie et de démographie, quelles que soient les augmentations de budgets, d’effectifs et d’équipements militaires
si c’est pour servir de force organisée de sécurité civile (crise du verglas, inondations, feux de forêts, garde côtière), l’armée n’est ni l’outil le plus efficace, ni le plus économique pour rendre ce service essentiel; l’équivalent d’une garde nationale serait sans doute beaucoup mieux adaptée et plus utile pour ce genre de besoin
si c’est pour assurer la juste part de la responsabilité internationale du Canada dans la sécurité et la paix mondiales, là encore notre armée sera toujours «à la remorque» de plus grands pays et de pays dont les intérêts politiques et économiques sont beaucoup plus liés aux rapports de force ou de domination souvent hérités de l’histoire; le Canada, comme moyenne puissance sans passé colonial (sinon à l’interne, à l’égard de ses peuples autochtones), est beaucoup mieux placé que la plupart pour se spécialiser dans ce qui a longtemps fait sa force et sa réputation: la diplomatie, l’interposition, les casques bleus ou blancs, bref, toute la panoplie des alternatives nonviolentes et non militaires
et même l’idée d’un pays sans armée n’est pas aussi farfelue qu’il peut sembler: il y a présentement une trentaine de pays sans armée dans le monde (même s’il est vrai que la plupart d’entre eux sont très petits et bénéficient d’alliances de défense); et un pays sans armée ne signifie évidemment pas un pays sans sécurité ou sans forces de l’ordre! Il s’agit simplement d’un pays dont les impératifs de sécurité, de défense nationale ou de participation à la paix dans le monde sont assurés par d’autres moyens que les forces armées traditionnelles.

Pourquoi la nonviolence est indispensable pour un «un autre monde possible»

je reviens donc à mon titre de départ: NONVIOLENCE: le fondement d’un «autre monde possible»
si nous voulons un autre monde, il y a deux caractéristiques fondamentales du monde actuel qui devront changer radicalement: l’argent et les rapports de pouvoir fondés sur la violence; tant que l’argent (l’économie mondialisée et financiarisée actuelle) et la violence continueront d’être les moteurs du monde, il n’y aura AUCUN «autre monde possible»
je vais laisser ici l’argent de côté (j’en ai parlé dans un autre atelier dans le cadre du Forum Mondial Théologie et Libération qui se tient en parallèle avec le FSM) et me concentrer sur la violence
la violence dont il est ici question est évidemment beaucoup plus vaste que la seule violence armée ou militaire; c’est le rapport de force ou de domination imposé par la violence (ou la menace de violence) aussi bien ouverte (menaces, pressions, corruption, et très rarement l’usage clandestin de la force directe) que plus discrète, systémique (celle des riches à l’égard des pauvres, celle des puissants et des élites, celle des «règles su jeu» biaisées en faveur du pouvoir, celle de la justice façonnée en fonction de la propriété individuelle et du capitalisme, etc.)
c’est pourquoi la nonviolence qui me semble être un fondement incontournable de tout «autre monde possible» est beaucoup plus que la seule «technique» de la lutte nonviolente étudiée magistralement par Gene Sharp ou qu’un éventuel pays sans armée; c’est véritablement une philosophie sociale et collective différente qu’il s’agit de promouvoir et de mettre graduellement en place dans nos «zones (peu à peu) libérées» (je fais allusion ici aux milieux, plus ou moins grands ou diversifiés, dans lesquels nous implantons graduellement des façons différentes de vivre, comme ces villages, villes ou régions «en transition» qui développent de nouvelles façons de vivre sans, ou avec très peu d’énergies fossiles, ou comme ces régions où on implante et on utilise des monnaies alternatives ou parallèles fondées sur une tout autre logique monétaire, etc.)


la nonviolence dont je parle ici est caractérisée par:


la priorité mise sur le collectif (le vivre-ensemble, le bien commun) plutôt que sur les droits individuels ou la satisfaction des besoins individuels
une valorisation de la différence, de l’altérité (aussi bien entre les élèves à l’école, les concitoyens d’une même collectivité, avec les étrangers, etc.)
une éthique de coopération plutôt que de compétition (à tous les niveaux de la société: entre individus comme entre groupes, organisations, entreprises, religions, etc.)
une collectivité construite autour des personnes (êtres humains) plutôt qu’autour de l’argent, l’économie ou la richesse (monétaire ou matérielle)
et donc par un système éducatif qui est axé sur ces valeurs (dès la maternelle et jusqu’à l’université), incluant le développement d’habiletés pour résoudre les conflits (inévitables) autrement que par les rapports de force ou la domination d’un point de vue sur l’autre
Les seules vraies solutions

je suis bien conscient que la réalité du monde n’est ni simple, ni facile; et que la violence est encore très présente un peu partout (et particulièrement à la «une» de nos médias, en cette période d’apparente épidémie terroriste)
mais ne nous laissons pas tromper par l’actualité (et sa sur-médiatisation) et par la carence de perspective de nos émotions: il n’y a rien de pire que nos réactions-réflexes (habituellement violentes et vindicatives, aussi bien au niveau individuel qu’au niveau de nos responsables politiques: voir mon texte de septembre 2001 «Et si la réponse n’était pas dans les représailles?» en annexe à la réflexion écrite suite aux attentats de Paris du 13 novembre 2015)
trouver des coupables ou des boucs-émissaires est un réflexe normal et spontané, mais une réponse bien mal avisée si elle cherche l’efficacité plutôt que la facilité ou l’auto-satisfaction rapide
que ce soit pour les conflits géopolitiques plus classiques (retour de la guerre froide avec la Russie, ambitions chinoises dans la mer de Chine, tensions économiques entre les États-Unis et leurs rivaux, poudrière du Moyen-Orient, etc.) ou pour le fléau du terrorisme qui semble vouloir se répandre sur la planète, la solution réelle des problèmes NE POURRA JAMAIS être militaire (avec ou sans «bottes sur le sol»); toute solution militaire (quand elle réussit parfois à s’imposer) ne pourra être que partielle, temporaire et, à terme, insatisfaisante et insoutenable
les SEULES VRAIES SOLUTIONS sont toujours politiques, fruits de négociations qui tiennent compte de l’adversaire et de ses (souvent légitimes) griefs (une des leçons importantes que j’ai apprises dans le livre de Steven Pinker, c’est que les belligérants ont presque toujours autant la conviction d’avoir raison —d’être dans leur droit, de représenter le BIEN— l’un que l’autre; et que notre certitude d’incarner le BIEN pendant que nos adversaires représentent le MAL —que ce soit Hitler durant la 2e guerre mondiale ou DAESH/l’État islamique actuellement— est une erreur de perspective commune à tous les conflits qui justifie la violence alors que la nonviolence nous inviter plutôt à chercher comment et pourquoi l’autre pense comme il le fait)
ce respect de l’autre ne signifie bien sûr aucunement un relativisme qui justifie n’importe quel point de vue; pas plus que la nonviolence ne signifie une acceptation de l’inacceptable ou une passivité face à l’injustice! Au contraire, le combat nonviolent est un véritable combat et le respect de l’adversaire cohabite avec une lutte déterminée contre les injustices et une condamnation sans équivoque des comportements inacceptables (qu’ils soient ceux de l’adversaire ou de son propre camp): torture, par exemple, attaques d’hôpitaux ou de personnel médical, attaque de populations civiles, etc.
en ce sens, la nonviolence est non seulement une manière de lutter (de plus en plus efficace à mesure qu’on en développera l’utilisation, et incomparablement moins coûteuse à tous les points de vue que la violence) mais elle est également la seule qui se préoccupe véritablement de trouver une solution juste et durable (deux conditions de la PAIX); car l’usage de la violence peut parfois conduire à des «victoires», mais celles-ci ne sont à peu près jamais durables, et encore moins justes
c’est pourquoi j’aimerais conclure en affirmant que si la violence (notre manière habituelle de réagir face à des menaces ou de régler des conflits) peut parfois assurer une certaine «sécurité» (toujours temporaire et précaire) et si la violence peut aussi obtenir des résultats plus rapidement (même si ces résultats sont souvent illusoires: voir la guerre de Georges W. Bush en Irak), seule la nonviolence peut construire et assurer la PAIX (qui seule peut assurer une sécurité véritable et durable et garantir une solution juste des problèmes).


Dominique Boisvert, le 26 juillet 2016