Il y a un peu plus de trente ans maintenant, de jeunes militants écologistes et pacifistes fondaient le Centre de ressources sur la non-violence. Certains, actifs au sein de l’Alliance Tournesol, un tout petit organisme anti-nucléaire, militaient en faveur des énergies douces ou énergies renouvelables. Ils constituaient ainsi une résistance aux pressions de l’électro-nucléaire au Canada. D’autres, à l’intérieur de l’Union des pacifistes du Québec, s’opposaient à la course aux armes nucléaires, particulièrement active dans le cadre de la crise des missiles intermédiaires en Europe. Au fil des jours, le thème du danger nucléaire a fait converger les deux fronts de lutte. À l’évidence, la fascination pathologique pour une technologie manipulant l’essence de la matière annonçait des temps amers. Des réflexions ont été entreprises dans le sens des « alternatives » aux modèles économiques destructeurs et contre les dogmes de la croissance, de l’extractivisme, etc. À l’exterminisme nucléaire (civil et militaire) prêché par les puissances, il fallait opposer la construction d’une société basée sur des principes de non-violence, une société éco-responsable. C’est dans cette mouvance avant-gardiste que le Centre de ressources sur la non-violence a vu le jour, s’érigeant comme organisme de promotion des alternatives.
Des luttes à pérenniser
Le mouvement en faveur d’une écologie sociale établi près de chez nous, au Vermont, prônait des formes de biorégionalisme en opposition à un mondialisme affairiste en forte émergence. Le biorégionalisme se voulait un modèle économique basé sur l’organisation écologique de notre environnement : un pays, c’est avant tout un regroupement de bio-régions, des régions caractérisées par leurs composantes environnementales (climat, particularité géographique, composition de sols, faune et flore). L’économie doit se construire en respectant des conditions d’approvisionnement que peut fournir la biorégion, ses capacités de réponse aux besoins essentiels des personnes et de participation efficace à des échanges entre biorégions.
Le CRNV et l’économisme
Basé sur ces principes, la production et les approvisionnements mondialisés devenaient une absurdité, en particulier dans des conditions socio-économiques déficientes et dans celles des pays exploités. Nous devions travailler à pousser une telle vision au sein de mouvement altermondialiste, vision en parfaite harmonie avec les mouvances anti-militaristes européennes. On se rappellera des actions de masses en Europe où des millions de personnes prenaient la rue afin de s’opposer au déploiement de missiles nucléaires dit « à portée intermédiaire ». Ces missiles sous juridictions soviétique et américaine transformaient l’Europe en théâtre probable de conflit nucléaire. Les Américains déployaient une batterie de missiles nucléaires de croisière et Pershing, l’URSS ses missiles SS-20. Les mouvements contre les missiles condamnaient ouvertement les politiques derrière ces déploiements qui allouaient des parts de plus en plus élevées des ressources financières étatiques à la production de technologies militaires de destruction massive. Par la voie de l’impôt, les contribuables étaient forcés à investir dans la technologie de leur propre extermination. L’absurdité de la culture politique exterministe rendait indispensable la lutte pour les alternatives.
Aux origines du Centre
Le Centre de ressources s’est structuré autour de ces enjeux. En premier lieu un comité de travail sur les enjeux de guerre et de paix a été formé pour rendre clairs les enjeux militaires et promouvoir la notion de défense civile non-violente comme alternative à l’armée. Le comité a travaillé pendant longtemps sur les questions de refus de payer les impôts militaires, la réflexion sur les alternatives à l’armée dans un éventuel Québec souverain et les mobilisations anti-guerre québécoise.
L’enjeu de l’extractivisme au détriment de populations opprimées, particulièrement révélateur du caractère violent et colonisateur du système économique capitaliste, a mené à la formation d’un autre comité orienté vers la solidarité internationale dans la lutte. Le Centre a ainsi contribué de près à la création des organismes Non-violent Peaceforce et Brigades de paix internationale, surtout en élaborant un cadre d’accompagnement préventif pour la protection des militants réprimés en Amérique Centrale.
Sur des bases locales, en collaboration avec des organisations pancanadiennes, le Centre a formé un petit comité de solidarité avec les Nations autochtones. Ce comité a, entre autres, joué un rôle important dans la campagne d’opposition aux vols à Basse altitude au dessus du territoire des Innus du Québec-Labrador. Parmi de nombreuses autre initiatives en lien avec les Algonquins et les Mohawks, le principe d’action était de soutenir l’action directe non-violente conduite par certains membres des communautés autochtones en lien avec leur souveraineté territoriale.
Bien entendu, l’action du Centre devait a dû s’assurer d’un enracinement local mais sans faire double emploi avec des organismes spécialisés en prévention des violences. Une des priorités pour nous fut la formation des jeunes à la gestion saine des conflits, et le Centre a mis en place les premières initiatives de médiation par les pairs dans les écoles, initiative qui a, par la suite, été portée par différents organismes pendant plusieurs années.
Toutes les crises actuelles qui se manifestent sous forme de menaces d’extinction, pour autant qu’elles nous ramènent aux besoins d’une solidarité à grande échelle et de responsabilité bio-régionale; les soulèvements contre les exploitations abusives des combustibles fossiles ou pour protester contre la religion économique et son dieu, l’argent, pour peu qu’elles continuent la lutte contre l’extractivisme des hydrocarbures; …tout cela semble nous ramener aux convictions qui ont présidé à la création du Centre de ressources sur la non-violence : que la non-violence active doit devenir un mode de vie et une culture de transformation, que nous pouvons améliorer notre qualité de vie si chacun y travaille tant dans sa vie privée qu’en société.
Ces convictions et les principes qu’elles imposent sont souvent la ligne directrice qu’il s’agit d’imprimer sur différentes manifestations d’action directe, ces formes de lutte qui deviennent incontournables face à d’importantes crises de la représentation.