Fonds publics pour acheter un pipeline…
Le gouvernement du Canada a récemment fait l’acquisition du pipeline Trans Mountain en Alberta, une infrastructure qui transporte du pétrole brut et des produits raffinés de l’Alberta vers les États-Unis en passant par la côte de la Colombie-Britannique. Avec cette acquisition le Canada entend relancer les travaux d’extension de l’oléoduc TMX qui permettra d’acheminer le pétrole canadien vers des marchés internationaux.
Pour justifier son choix, le gouvernement a évoqué le bien commun, le besoin d’agir dans « l’intérêt national », entendons : en « diversifiant le marché d’exportation pétrolière » et en créant « des milliers d’emplois ». La notion de bien commun semble à ce point emmêlée qu’il devient de plus en plus légitime de se poser des questions sur son utilisation.
Un bien au service des communautés?
En général, le terme de bien commun nous fait penser à des ressources matérielles, culturelles et institutionnelles dont une société assure l’existence pour le mieux-être de ses membres. Au Québec, compte tenu du climat, il est facile de saisir pourquoi les gouvernements considèrent l’électricité comme un bien qui se doit d’être accessible à tous. Malgré les limites de l’institution, il n’y a pas de doute que, pour la majorité de la population, Hydro-Québec est un bien commun à protéger.
Dans une démocratie libérale, beaucoup d’infrastructures et institutions sont citées parmi les réalisations accomplies pour le mieux-être de tous : le système routier, les parcs publics, la sécurité publique, le système judiciaire, les écoles publiques, les institutions culturelles, le transport public, etc. Il s’agit des biens et des institutions qui servent les intérêts de la majorité de citoyens, qui ont été conçues et réalisées en tenant compte des autres priorités des communautés, de leurs besoins vitaux, des valeurs qui leur sont chères.
La notion de bien commun évoque des assises sociales significatives dans la vie des gens, des valeurs fondamentales (libertés individuelles, droit de propriété), un sentiment de sécurité, des ressources vitales comme l’air pur, l’eau propre, etc.
Il n’est pas qu’une affaire de rentabilité
Dans les discours pour la promotion des investissements pétroliers, il manque cette vue globale des besoins de la société. Le bien-être de la communauté est à ce point dilué qu’il faut se demander si la notion même de bien commun n’a pas perdu tout son sens, si le glissement de sens ne relève pas d’une stratégie pour faire adhérer la population à des choix économiques autrement socialement inacceptables.
Il y a quelques mois, un promoteur albertain a tenté de persuader la population du Québec du bien fondé du projet d’oléoduc Énergie Est. Pour les promoteurs de Transcanda, il y avait un enjeu d’autonomie énergétique. Il fallait comprendre que l’investissement en était un pour le bien-être collectif. Mais il est clair maintenant que c’était faux. Avant que l’entrepreneur ne soit contraint à l’arrêt du projet, les citoyens ont bien compris que les intérêts étaient privés; l’enjeu d’autonomie déclaré dissimulait celui de l’exportation. Inutile de préciser que l’entreprise n’a manifesté aucune préoccupation quant aux risques de contamination de l’eau potable puisée dans le Saint-Laurent.
Nous faisons face à des distorsions malsaines de la notion même du « bien commun » qui font en sorte que toute entreprise privée qui emploie des citoyens voudrait se qualifier comme promotrice du bien-être commun. Le simple fait que le pétrole des sables bitumineux, une fois exporté, amène des devises et crée des emplois ne suffit pas. Il demeure important de se poser toujours comme questions : ce projet protège-t-il des biens essentiels à la vie des gens? L’investissement a-t-il une valeur d’actif important pour la population?
Les distorsions : la source des injustices
Avec les distorsions néolibérales qui courent depuis les années 1980-1990, les élites ont fait disparaître la ligne de séparation entre le public et le privé. Le privé se porte garant du bien commun. Ce fut l’arrivée massive d’entrepreneurs « plus efficaces » à la tête d’agences de l’État, avec cette notion tordue de partenariat publics privés (PPP). Se sont ainsi multipliées les formules de financement public et d’évitement fiscal des entreprises et fortunes privées. Toutes ces distorsions mènent à l’accaparement des Fonds publics pour soutenir activement et sans limites les initiatives économiques privées. S’en est suivi un massif détournement de Fonds publics vers le financement des entreprises et l’émergence d’une forme de « bien-être social » des Corporations. Ces distorsions sont la source de principales injustices d’ordre économique. Par l’impôt, les pauvres sont forcés à soutenir les turpitudes de riches entrepreneurs sous prétexte qu’ils créeront de l’emploi!
Dans une communauté, en principe, la « vie publique » est un effort partagé entre les membres pour maintenir certains biens et services qui sont mal desservis par le privé, dans l’intérêt du mieux-être de chacun surtout des plus vulnérables. Les services publics visent à pallier aux déficiences du privé. Et la « vie privée » consiste en une liberté de chaque membre dans la poursuite d’un ensemble bien distinct et de projets personnels, qui peuvent servir le mieux-être de tous, mais qui vise à ce que chacun individuellement puisse améliorer sa condition.
Nous devons éviter la confusion des genres.