Écrit par John Sloboda
L’auteur enseigne à l’Université Keele de Grande-Bretagne depuis une trentaine d’années. Militant pour la paix, il a mis sur pied avec un collègue, début 2003, le site internet Iraq Body Count (www.iraqbodycount.net). Ce site est devenu la référence internationale incontournable au sujet des victimes civiles de la présente guerre/occupation de l’Irak. Il est aussi directeur exécutif du Oxford Research Group (ORG) (www.oxfordresearchgroup.org.uk), un interlocuteur privilégié en matière de paix et de sécurité. Dominique Boisvert nous présente ici une synthèse de la conférence donnée par John Sloboda le 2 août 2004 à Montréal.
Nous perdons la guerre contre le terrorisme
Les victimes du terrorisme n’ont jamais été aussi nombreuses depuis l’invasion de l’Irak. L’Afghanistan est au bord de l’implosion,
selon un rapport britannique rendu public le 30 juillet 2004. Chaque semaine, l’Irak devient davantage un « État faible et failli », ce
qu’il n’avait jamais été sous Saddam (sans nier les problèmes du régime Saddam). Le Premier ministre désigné ne contrôle guère en dehors de Bagdad.
Tout cela avait été prévu par de nombreux analystes et ne devrait surprendre personne, sauf le petit cercle autour de Bush et de Blair qui pratiquent le « group thinking ». Selon le professeur Paul Rogers, de l’Université de Bradford et qui vient tout juste de publier un bilan, mois par mois, de la première année de guerre/occupation en Irak, ce pays risque d’être en guerre pour les 3 prochaines décades !
Quelles en sont les conséquences?
D’abord une instabilité sérieuse en Irak et dans la région pour les 10 à 30 prochaines années. Car le prochain président américain
(Bush ou Kerry) ne changera rien à la politique de fond. La seule solution véritable serait le retrait immédiat et complet de l’Irak de toutes les troupes étrangères . Cela ne réglerait pas tout, évidemment, mais contribuerait puissamment à désamorcer les causes d’une bonne partie du terrorisme et de la résistance actuels. Malheureusement, ce n’est pas pour bientôt, même si cela se produira inévitablement en raison du coût croissant en vies humaines.
Seconde conséquence : de plus en plus de responsables, à l’intérieur du gouvernement britannique, reconnaissent privément que la
situation est un « merdier total ». Des responsables militaires parlent d’un moral de l’armée gravement affecté pour les 10 prochaines années. De plus, le nombre des victimes civiles irakiennes est énorme : selon Robert Fisk, un des rares journalistes occidentaux encore présent sur place, il y a eu 700 morts civiles en juillet 2004 à Bagdad seulement . Selon le Iraq Body Count, on estime les pertes civiles à environ 1000 par mois en moyenne, même si on en parle de moins en moins dans les nouvelles occidentales. Par contre, de plus en plus d’ONG commencent à documenter les abus de l’occupation actuelle, y compris les possibles délits criminels ou même crimes de guerre (comme à Falloujah en mars 2004) des forces d’occupation. On prépare d’ailleurs un Tribunal international qui se tiendrait à Istanbul en mars 2005.
Dernière conséquence : il est maintenant clair que démocratie et droits humains ne peuvent jamais s’imposer de l’extérieur. La seule façon de changer une situation dans un pays est de passer par les gens de ce pays, en les aidant à régler eux-mêmes la situation. Et il faut plutôt adopter le concept de « sécurité humaine », qui remplace graduellement le concept trop vague de « paix» par quelque chose qui se mesure concrètement dans la vie quotidienne des individus. La guerre/occupation actuelle en Irak que Bush et Blair tentent maintenant de justifier par des motifs «humanitaires» compromet irrémédiablement la notion d’«intervention humanitaire» !
Où en sont les mouvements pour la paix d’Occident ?
Les foules qui ont manifesté, à travers le monde, contre la guerre en Irak au printemps 2003 sont-elles une nouvelle base pour le mouvement pour la paix ? Non, les études ont montré qu’environ 25% seulement des participantEs en étaient à leur première manifestation et que 75% étaient plutôt des activistes ou militantEs chevronnéEs venant de toutes sortes de « causes » (paix, environnement, syndicalisme, immigration, Églises, féminisme, etc.). Ce qu’il y avait de neuf, c’est que pour une rare fois l’ensemble des gens mobilisables pour diverses causes étaient tous réunis. Comment est-il possible de favoriser à nouveau une telle convergence ?
À court terme, il faut apprendre à fêter nos réalisations, même modestes, à proposer des solutions alternatives pragmatiques (auxquelles les gens « à l’interne » sont maintenant plus ouverts qu’on ne le croit), et surtout, à ne pas considérer la participation moins nombreuse aux récentes manifestations anti-guerre comme un « échec ». Car de plus en plus, le mouvement se construit à partir d’un grand nombre de petites activités/initiatives pour la paix, dont chacune s’attaque à un petit morceau de l’ensemble et qui sont ainsi plus difficiles à réprimer par les autorités qu’un large mouvement unifié.
Mais à long terme, nous devons articuler un véritable « changement de paradigme » par rapport à nos compréhensions
traditionnelles de la guerre et des conflits. Toutes les guerres sont ultimement pour le contrôle ou la possession des ressources (pétrole, eau, etc.) et ce besoin est directement causé par notre énorme surconsommation. L’incitatif à la guerre se cache dans notre propre style de vie ; nous devons réduire notre propre consommation : c’est la seule solution réaliste, même si ce n’est pas populaire. On ne peut plus séparer les mouvements pour la paix, l’altermondialisation, l’écologie, etc. Tout est désormais inter-relié et notre succès dépend de notre capacité à favoriser les convergences et les synergies.