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Dolci, Danilo ou le Gandhi sicilien

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Danilo Dolci, vers 1950 (Photo: domaine public)
Danilo Dolci, vers 1950 (Photo: domaine public)

Italie

Né le 28 juin 1924 à Sesana; décédé le 30 décembre 1997 à Trappeto

Lutte non violente contre la mafia sicilienne

Les sévices que Danilo Dolci subit durant son enfance sont à l’origine de son rejet pour la violence. Témoin de la montée du fascisme en Italie et en Allemagne, il tente, au risque de sa vie, de fuir la conscription et doit faire un bref séjour en prison. Vers l’âge de 25 ans, il quitte ses études et fréquente une communauté qui aide les orphelins de guerre.

En 1952, il s’installe à Trappeto, une commune italienne de la province de Palerme dans la région sicilienne, le royaume des mafiosi. Enchâssé au coeur du Golfe de Castellammare, à 45 kilomètres de Palermo, Trappeto est une perle rare, un coin de paradis plongé dans un scénario de beautés naturelles incomparables, une terre très fertile avec une verdure luxuriante au centre d’un itinéraire historique millénaire, très suggestif, entouré par une mer riche, aux eaux cristallines, aux couleurs splendides et avec des couchers de soleil vraiment uniques.

Danilo Dolci, activiste social, parmi  les pêcheurs de la ville de Trappeto en Sicile en1952.  (Photo: Caponnetto-Poesiaperta)
Danilo Dolci parmi les pêcheurs de la ville de Trappeto en Sicile, 1952. (Photo: Caponnetto-Poesiaperta)

Le 14 octobre 1952, Danilo Dolci décide d’aller à Trappeto, un village à 30 kilomètres de Palermo, qu’il considère comme « l’endroit le plus pauvre qu’il ait jamais connu ». Avec Vincenzina Mangano, la veuve d’un pêcheur et syndicaliste, mère de cinq enfants qu’il adopta, il y construisit un orphelinat, avant d’y initier la première de ses nombreuses grèves de la faim, sur le lit d’un enfant mort de malnutrition. Dolci devint alors connu comme le « Gandhi de Sicile ».

Sa grève prend fin lorsque les autorités s’engagent publiquement à réaliser quelques projets urgents, comme la construction d’un réseau d’égouts. Cette action lui permet d’entrer en contact avec le philosophe pérugin Aldo Capitini. En novembre 1955, il fait une grève de la faim pour pousser à la construction d’un barrage, visant à irriguer la vallée.

Dolci durant une grève de la faim. (Photo: Caponnetto-Poesiaperta)
Dolci durant une grève de la faim. (Photo: Caponnetto-Poesiaperta)

Il gagne la confiance des paysans en les soutenant dans leur lutte pour transformer la société sicilienne et améliorer leur sort. Il mène une véritable croisade pour dénoncer la corruption et la collusion existant entre la Mafia et la politique. Il défie même la loi du silence (Omerta) qui existe dans la société sicilienne. Ses jeûnes publics et les manifestations qu’il organise lui valent des arrestations, des procès. Malgré les embûches et les dénonciations, il poursuit pendant plus de vingt ans un combat non violent pour la justice économique tant en Sicile que dans l’ensemble de l’Italie.

« Il faut un engagement total, continu et stratégique pour construire un monde nouveau. »

Culture

En janvier 1956, plus de mille personnes entament une grève de la faim collective pour protester contre la pêche frauduleuse qui prive les pêcheurs de leur moyen de subsistance.

Le 2 février 1956, il organise une « grève inversée », fondée sur le principe du travail bénévole, à Partinico. Des centaines de chômeurs s’organisent pour réparer une route de campagne abandonnée . La police met un terme à la manifestation, la qualifiant d’« obstruction ». Dolci et quelques-uns de ses collaborateurs sont arrêtés.

Arrestation de Dolci en février 1956. (Photo: domaine public)
Arrestation de Dolci en février 1956. (Photo: domaine public)

Cet événement suscite l’indignation à travers le pays et provoque de nombreuses questions au parlement. De nombreuses personnes apportent son soutien à Dolci, dont les écrivains Ignazio Silone, Alberto Moravia, et Carlo Levi. Par la suite, défendu par Piero Calamandrei, Dolci est acquitté des charges d’outrage à la police lors d’un procès largement couvert par la presse, tout en étant condamné à 50 jours de prison (peine déjà servie) et à une amende de 20 000 lires pour occupation d’un terrain appartenant à l’État . Libéré, il recommence sa campagne visant à la construction du barrage et du développement économique de cette région misérable.

Dix ans plus tard, il lutte pour aider les victimes du tremblement de terre dans la vallée de Belice en Sicile. Les fonds gouvernementaux alloués aux victimes sont détournés par des politiciens corrompus, le nom de « Belice » devenant synonyme, en Italien, de corruption.

Danilo DOLCI

Après avoir complété ses études à Milan, durant les années du fascisme, Danilo Dolci développe une profonde aversion pour la dictature. Arrêté en 1943 par les Nazis, il réussit à fuir. En 1952,  il déménage en Sicile occidentale où il engage une lutte Non-violente contre la Mafia et le sous-développement, en faveur des droits et du travail. Il y subit plusieurs persécutions et procès. Danilo Dolci est considéré comme l’une des plus importantes figures de la non-violence dans le monde.

À partir des années 70, l’engagement éducatif occupe une place centrale dans le travail de Dolci. Il approfondit son étude, toujours en parallèle avec l’expérimentation, de la méthode socratique, c’est-à-dire une manière coopérative de débattre,d’étudier et de rechercher en commun la vérité, dans la lignée des Ferrer, Freinet et autres éducateurs non-directifs. Vous pouvez lire: « Enquête à Palerme » paru chez Julliard. Le 30 décembre 1997 voyait la disparition d’un grand éducateur.

Portrait de Danilo Dolci. Conférence à Genève, 25 Mai 1992. (Source: CC BY-SA 3.0)
Portrait de Danilo Dolci. Conférence à Genève, 25 Mai 1992. (Source: CC BY-SA 3.0)

Le Gandhi sicilien

Inutile de dire que tout le monde ne se laissa pas intimider aussi aisément que le docteur Allegra. Mais celui qui se laissa le moins impressionner fut sans doute Danilo Dolci.

Celui que la Mafia, entre autres, appelait le Gandhi sicilien se voulait un réformateur social, tout entier voué en apparence à la destruction de la célèbre organisation criminelle.

Né à Trieste, Dolci proclamait qu’il était tombé amoureux de la Sicile lors d’un séjour qu’il y avait fait dans sa jeunesse et qu’il avait été frappé par les conditions misérables de ses habitants.

Selon ses analyses, les maux dont souffrait l’île étaient dus à deux facteurs principaux : le premier était l’absence d’un système d’irrigation pour alimenter les terres brûlées par le soleil ; le second était la Mafia, non seulement parce qu’elle s’opposait à la mise en place d’un tel système, la distribution de l’eau dont elle avait le monopole constituant pour elle une source inépuisable de profits, mais encore parce que c’était une « monnaie de sang » qu’elle extorquait aux paysans — autant que ceux-ci ne pouvaient consacrer à l’amélioration de leurs conditions d’existence.

Des grèves de la faim à l’organisation de manifestations de masse, Dolci ne négligea aucune forme d’action pour faire triompher sa cause. Mais presque tous ses efforts s’avérèrent inutiles, en particulier les plans qu’il avait conçus d’un gigantesque barrage sur le Jato, pour retenir les eaux boueuses au centre de la région déshéritée du Triangle de la Mort et irriguer des milliers de kilomètres carrés de terres desséchées.

Les détracteurs de la Mafia disent que c’est elle qui, grâce à son influence en haut lieu, fit échec à Dolci aussi bien qu’aux espoirs des paysans. Il est curieux que la condamnation à mort de Dolci n’ait jamais été prononcée par les chefs de l’organisation dans la région du fameux triangle (Palerme, Montelepre et Trapani). Certains avancent qu’en fait la Mafia l’utilisait à son insu pour faire monter le prix des terres dans la province, en laissant miroiter l’espoir d’un barrage. D’autres le suspectent d’avoir tout bonnement travaillé pour le compte de la « nouvelle Mafia », qui, à l’encontre des vieux dirigeants moustachus, voyait qu’à long terme elle pourrait quadrupler ses bénéfices avec des terres convenablement irriguées. Mais, hormis la superbe voiture américaine avec laquelle Dolci parcourait inexplicablement la campagne sicilienne, il n’y avait aucune preuve d’une entente tacite entre Dolci et la Mafia.

Dolci, architecte-sociologue, pacifiste et non-violent, mène la guerre à la misère, à sa manière, une guerre de guérilla qui mènera un demi-siècle jusqu’à sa mort, guidé par sa conscience et soutenu par sa confiance en l’homme. C’est un épisode de cette guerre de cent mille ans, dans laquelle nous vivons tous encore. Le combat et l’œuvre de Dolci dans le Sud-Ouest de la Sicile furent longs, difficiles, audacieux, courageux et marqués par des pressions des forces occultes (Mafia et Chiesa, même combat) et par une répression systématique des autorités. Le procès que l’on fit à Dolci (en 1956) à Palerme fut retentissant et vinrent pour le défendre tout ce que l’Italie de l’époque comptait d’hommes honnêtes et courageux parmi ses intellectuels; du monde entier vinrent des témoignages de soutien.