Une délégation de quatre Libanais a visité Montréal du 27 au 30 avril 2005 à l’invitation de Initiatives et Changement et du Cercle inter-religieux de Montréal auxquels collaboraient le Centre d’oecuménisme canadien et le Centre de ressources sur la non-violence.
Au Liban, de 1975 à 1990, une guerre fratricide fit plus de 100 000 morts et deux fois plus de blessés. Durant cette période, deux des invités, Mustapha Chehab et Assaad Chaftari, l’un musulman et l’autre chrétien, étaient responsables de milices. Ils n’ont pas oublié leur passé d’hommes de guerre mais ils reconnaissent leurs torts. Aujourd’hui, ils demandent publiquement pardon et deviennent des éducateurs de paix tant dans leur pays que sur la scène internationale.
C’est devant une soixantaine de personnes qu’ils ont partagé leurs expériences de pardon et de réconciliation en vue d’une coexistence fraternelle entre les diverses cultures et communautés du Liban. Désormais réunis dans un même esprit de pardon, ils regardent avec inquiétude la situation dégénérer entre Israéliens et Palestiniens. Pour eux, il ne pourra y avoir de réconciliation sans justice.
Cultiver le pardon pour s’éloigner de la haine
Assaad Chaftari
Durant la guerre, cet ingénieur de profession, qui travaille présentement en éducation, était responsable des unités de sécurité dans la principale milice chrétienne. Un poste clé où il se battit sans pitié.
«Chaque musulman, jeune ou vieux, militaire ou civil, était mon ennemi, un traître à ma patrie. J’avais ma vision de l’histoire du Liban. Pour moi, il était normal que les chrétiens soient mieux placés dans la société et qu’ils détiennent tous les pouvoirs. Et lorsque le conflit a commencé en 1975, il a été tout aussi évident que je devais les combattre. À mon poste, j’étais devenu le policier, le juge et le bourreau de mes victimes. »
Une rencontre fortuite avec des membres de l’organisme Initiatives et Changement amène Assaad Chaftari à se remettre en question. Il commence alors un long cheminement vers le pardon. « C’est là que j’ai rencontré pour la première fois le musulman comme un être humain et compris que je devais l’accepter avec ses différences. J’ai appris qu’il pouvait être père, qu’il avait ses rêves et ses craintes. Et surtout, qu’il nourrissait autant de rancoeur que moi! »
Après s’être engagé dans le travail de réconciliation entre chrétiens et musulmans, il publie, dans le quotidien libanais An Nahar, une lettre demandant pardon à ceux qui avaient été ses victimes. Il y avoue avoir longtemps emprunté un chemin loin de Dieu et de l’amour d’autrui. «Je veux maintenant apprendre à rencontrer l’autre, à le respecter sans pour autant lui ressembler. Je ne peux redonner vie à ceux que j’ai tués mais je peux demander pardon. »
Muhieddine Mustapha Chehab
Ce maire du quartier de Ras-Berouth depuis 1998 avait été Intégré dans une milice islamiste dès l’âge de treize ans. Il y subit l’endoctrinement classique, avec les musulmans d’un côté et, de l’autre, des infidèles vivant dans un monde corrompu qu’il faut détruire. Il devient un combattant aguerri et participe à toutes les grandes confrontations avec les Chrétiens.
Un jour, à Beyrouth, alors qu’il a dans la ligne de mire de son fusil, une vieille dame et son petit-fils, il refuse de tirer. « Elle ressemblait à ma propre grand-mère, et l’enfant à l’un de mes cousins. » Ce jour-là, il désobéit et décide «qu’aucune cause ne vaut un bain de sang».
Mustapha Chehab quitte la milice, étudie le Coran et s’aperçoit que l’Islam qu’on lui a présenté est une manipulation politique. «À la fin du 19e siècle, rappelle-t-il, le monde musulman se montrait très intéressé par le monde chrétien. Mais au lieu de nous aider, les États occidentaux nous ont colonisés? Dans la Bible et le Coran, on trouve les mêmes versets sur l’amour d’autrui. Je sais maintenant qu’un vrai musulman doit respecter les Juifs et les Chrétiens. Au Liban, chacun a été encouragé dans une culture de la haine et non de la tolérance. Cela a amené la guerre et la désolation sur notre pays? Après la guerre, je suis allé dans les quartiers chrétiens. J’étais surpris et choqué. Le chrétien est un humain, comme moi?»
Mustapha Chehab a admis publiquement ses torts et a demandé pardon à ses anciens ennemis.
Ce texte reprend des éléments du communiqué émis par l’organisme Initiative et Changement et publié dans la Revue protestante de Genève par Pierre Léderrey.