Innover par la gratuité!
Ce matin, en cette inquiétante semaine de canicule du mois de mars à Montréal, se dessine une mobilisation non-violente historique des étudiants pour l’accès à tous aux études. Nous sommes face à un débat de société qui touche nos valeurs les plus profondes. En ce moment se dessinent certains fondements de la future société québécoise. Face au défi, nous devons innover, faire preuve de créativité et sortir des idées préconçues.
Tous semblent avoir leur mot à dire sur les grèves étudiantes. Les étudiants devraient-ils faire la grève, oui ou non? Ont-ils d’autres moyens efficaces d’exprimer leurs positions? Pourraient-ils retenir les frais de cours, puis être mis en lock-out? Ce serait moins nuisible que de bloquer les ponts.
Certains semblent voir en la lutte aux augmentations successives de frais un caprice de jeunes irresponsables qui voient la vie avec des lunettes roses. D’autres voient en les étudiants un groupe financièrement opprimé qui se lève contre une politique qui aboutira à couper aux générations futures l’accès à l’éducation, remettant en question les valeurs de sociale de démocratie du Québec.
Les actes disgracieux de violence se répètent jour après jour, et on s’évertue à imputer la faute soit aux étudiants, soit aux policiers.
Cette polarisation de la question peut sembler stérile et il est nécessaire de sortir de ce type de cadre d’analyse. La vraie question ne devrait-elle pas être : Comment permettre à nos jeunes d’accéder à une éducation accessible, tout en permettant de donner encore plus à la société. La réponse semble simple, leur permettre d’assumer leur juste part du poids économique des frais d’étude. Mais comment?
Une tâche collective
Assumer les coûts du système d’éducation devrait devenir une véritable tâche collective impliquant tous les acteurs de la société. Nous en bénéficions tous : les employeurs ont accès à de la main d’œuvre qualifiée, le gouvernement peut prélever des impôts plus élevés lorsque les citoyens sont éduqués; une fois sur le marché du travail ils ont un revenu élevé et nous tous, en tant que citoyens, bénéficions des services que rendent à la société les diplômés.
La base de départ serait de reconnaître que les jeunes contribuent déjà, comme étudiant, au mieux être de tous. Nombreux sont les jeunes qui s’impliquent déjà activement et de multiples façons dans notre société, et par le fait même acquièrent les habiletés essentielles à son progrès.
On ne compte plus les jeunes qui s’impliquent dans le monde communautaire, dans les milieux sociaux et sportif, qui approfondissent leur talent artistique, qui s’engagent dans des causes diverses de solidarité et de santé, entreprennent des projets d’affaire ou pilote des projets de coopération internationale. Toutes ces formes d’engagement devraient être reconnues et devenir la voie justifiant l’accessibilité financière aux études.
Ces étudiants, par leur action et leur engagement participent à une forme de service civile, et ne devraient pas avoir à travailler, en plus des études et de leur engagement. Tous ces jeunes engagés devraient pouvoir faire reconnaître ces contributions par l’organisation à laquelle ils contribuent et ainsi obtenir une aide financière de subsistance. Par un tel soutien financier; ils diminueraient ainsi le fardeau de leur frais, et ainsi accroîtraient proportionnellement leur capacité de subsistance et d’assumer des frais d’étude.
Le nerf de la question est donc le financement, qui va payer?
Plusieurs universités québécoises ont développé une formule gagnante permettant aux étudiants de financer leurs études; la formule coopérative avec des stages rémunérés. Dans plusieurs cas présentement, par le biais des programmes coopératifs, l’entreprise privée assume une bonne partie des frais de subsistance des étudiants provenant de domaines où le taux d’employabilité est élevé. Les stages rémunérés donnent actuellement les moyens aux étudiants d’assumer tant les frais d’étude que les frais de subsistance.
Ces programmes d’étude axés sur l’apprentissage en milieu de travail devraient être universalisés. Le défi devient donc celui de donner accès à ce genre de projet d’étude à tous les étudiants. On pourrait aussi envisager que la participation à une formule d’éducation coopérative soit obligatoire pour les activités commerciales en territoire québécois. Ainsi on peut facilement envisager que les entreprises privées des domaines culturels, des domaines techniques, des secteurs professionnels pourraient assumer une grande part des frais associés à l’apprentissage coopératif des étudiants stagiaires. Nous parlons donc déjà d’une forme de service civile par le biais de stages en milieu de travail rémunéré en grande partie financé par l’entreprise privée.
Aucun doute, certains domaines d’étude sont plus difficiles à financer par le secteur privé; on a qu’à penser aux sciences politiques et à plusieurs domaines des sciences sociales ou de la santé. Ces domaines semblent plutôt faire exception, et nos services publics pourraient certainement rivaliser de créativité pour offrir des stages dans ces domaines. L’ironie ici, c’est que dans le cas des programmes coopératifs actuels, souvent, l’État ne fait pas sa part. Plusieurs étudiants sont présentement dans des programmes coopératifs, ils travaillent pour des services publics dans le cadre de stages d’étude, et ne sont pas rémunérés. Ce genre de situation n’a simplement aucun sens. C’est l’exemple flagrant d’un État qui n’a pas compris qu’il faut collaborer au développement de formules gagnantes qui sollicitent la participation de tous.
Le service civil pour financer les études
Sur ces bases existantes, la mise en place d’une structure de service civil, universel, rémunéré semble devenir plausible. Il pourrait s’établir en fournissant un revenu annuel minimum garantis aux étudiants. Il pourrait fonctionner essentiellement sous une forme coopérative qui engloberait des stages en milieu de travail pour un total de 600 heures et un stage d’été garantissant 800 heures; le tout permettant aux étudiants participant au service civile de cumuler un grand total de 14 000 $ par année de revenus. Le processus de participation au service civil pourrait être géré par les institutions scolaires postsecondaires.
Pour les entreprises privées et les institutions publiques qui dépensent parfois des fortunes en frais de recrutement, un tel programme permettrait de faciliter le renouvellement du personnel et de réduire les coûts de recrutement. De plus, en ce qui concerne les étudiants gradués du baccalauréat, les projets mémoires et de recherche appliquées à la maîtrise, de développement de thèses et d’études doctorales, pourraient être accrédités comme service civil et se faire au bénéfice du milieu de stage qui paie pour le service rendu.
Un tel programme éliminerait les besoins pour de nombreux programmes gouvernementaux de prêts et de bourses, d’assistance à la recherche, d’emploi d’été, d’accès à l’assurance social et d’aide au retour aux études; simplifiant d’autant les dédales bureaucratiques multiples déjà en place. On pourrait penser à rattacher le financement gouvernemental du secteur privé à la participation pro-active, au dépassant les normes établies, par les entreprises privées et les cabinets professionnels au programme de service civil. Qu’est-ce qui empêcherait le gouvernement d’y lier l’accès au crédit d’impôt à la formation des employés?
Déjà la loi 90 qui oblige les entreprises privées ayant une masse salariale dépassant le million, à consacrer 1% de leur budget en formation de la main d’œuvre. L’embauche de stagiaire est déjà reconnue comme étant une activité de formation, mais beaucoup d’entreprises préfèrent d’autres types de formation. Pourquoi ne pas obliger l’embauche de stagiaires pour les 0.5% de ce même budget ? Le cadre légal et administratif pour cette composante existe déjà. L’universalisation de cette coopération entreprise-écoles pourrait devenir une caractéristique inhérente à la gestion québécoise du travail, et de l’éducation.
Une voie de soutien à l’engagement communautaire
Il ne resterait qu’à trouver le moyen de financer les stages de service civil pour les secteurs d’activités à caractère non-lucratifs et pour l’engagement citoyen sportif et artistique des étudiants. Les organismes d’économie sociale, communautaires, sociaux, sportifs; de coopération, ethnoculturels et socioculturels pourraient être accrédités pour accueillir et superviser les étudiants stagiaires. Ainsi ils bénéficieraient de l’engagement jeunesse et des bénéfices apportés par un rapprochement avec les institutions d’éducation.
Déjà des bases existent pour la création d’emplois étudiants financés par le fédéral; mais les actuels programmes sont inadéquats, ne permettant d’embaucher les étudiants que pour quelques semaines. Les allocations ne dépassant que rarement un parfaitement ridicule 2 500 $. Dans une majorité de cas, afin de rendre possible l’embauche, les organismes doivent investir des montant qui seraient autrement utiles à leur prestation de services aux moins nantis.
Afin de permettre l’accès au service civil pour les organismes, un certain nombre de programmes sportifs et culturels pourraient être harmonisés via le service civil. Puis, pour une portion limitée des frais de ce type de programme, des mesures d’imposition peuvent être envisagées : rétablir l’imposition des entreprises à son taux d’il y a 20 ans, rétablir les paliers d’imposition sur le revenu personnel d’il y a 10 ans ou instituer un système de redevances sérieux sur l’utilisation des ressources naturelles. L’institut Fraser affirme qu’au Québec les redevances sont parmi les plus faibles au monde, inférieures à ce que la majorité des pays défavorisé exigent. On pourrait penser à une taxe Tobin sur les transactions financières revendiquée par les mouvements d’occupation, à une taxe à l’exportation de ressources brutes (non-transformées), à une taxe à l’exportation de produits de défense ou à d’autres formules de financement permettant de soutenir le service civile en milieu communautaire. D’un point de vue strictement économique, il est important de rappeler l’éducation n’est pas une dépense mais un investissement très rentable pour une société. Un jeune éduqué fait un bon salaire, et paie beaucoup plus d’impôt, il contribuera donc aux généreuses pensions actuelles et à venir. Un dollar investie en éducation universitaire par le gouvernement en rapportera neuf au cours de la vie active d’un diplômé.
L’universalisation du service civil, en passant par les programmes d’éducation coopératifs, complété par l’implication du gouvernement dans ces programmes et d’une forme de soutien à l’engagement communautaire, a toutes les caractéristique d’une solution viable et fonctionnelle impliquant le plus grand nombre dans le financement.
Bien entendu, avec une telle formule de service civil, nous sommes bien loin des conditions offertes aux jeunes dans le cadre du service militaire, qui peuvent empocher plus que le double de ce que propose ce texte en faisant parti de la réserve des Forces canadiennes. Mais le modèle existe, et il est valable pour un engagement militaire permettant à la défense de s’assurer un recrutement continu de personnel compétent, pourquoi ne le serait-il pas pour un engagement civil, bénéficiant en premier lieu au secteur public? Rares sont les étudiants effectuant un service militaire ou participant à un programme coopératif rémunéré qui se plaignent de la hausse des droits de scolarité.
Vers des solutions
Les étudiants demandent la possibilité d’un dialogue avec les dirigeants et la société. On demande que cette question ne soit pas une décision unilatérale de politiciens comptables. Les avenues de solutions sont nombreuses, et c’est en explorant ainsi les pistes de solution que le débat actuel sur l’augmentation des frais d’étude et l’investissement sur l’avenir que constitue l’éducation universitaire retrouvera sa place. Non pas un sujet de manipulation pour les démagogues, mais une simple question de réflexion sur la façon optimale d’organiser notre société afin de favoriser un accès aussi universel que possible aux études.
Cette manifestation historique des étudiants québécois tombe à point. Elle pourrait nous forcer à prévenir le problème de l’arrivée massive de cohortes de finissants endettés par les études, qui creusent leur endettement par des hypothèques de 200 000 $, incapable de contribuer à la solution au problème croissant des frais de pensions? Plusieurs comptables biens pensants devraient se réveiller avant que surgisse le véritable cauchemar.