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Pour ceux qui valorisent la paix

Par 
Brian Brofman. (Photo: inconnu)
Brian Bronfman. (Photo: inconnu)

Écrit par Brian Bronfman

Allocution prononcée devant les finissants de l’Institut canadien pour la résolution des conflits par le président de la Fondation de la Famille Brian Bronfman.

C’est un honneur et un plaisir d’avoir été invité pour vous parler ici, ce soir, à l’occasion de votre soirée de graduation du programme de « Tierce partie neutre » de l’Institut canadien pour la résolution des conflits (ICRC). 

Tout comme vous, j’ai commencé mon travail pour la paix et la résolution des conflits avec une formation intensive et exhaustive dans ce domaine.  Après l’école de droit et une maîtrise en environnement, j’ai passé une année complète à Woodbury Collège—une école au Vermont avec une spécialisation qui inclue la résolution de conflits.  À Woodbury, j’ai étudié, j’étais formé, et j’ai fait mes premières expériences en médiation et en résolution des conflits.  L’année s’est terminée par une cérémonie et un certificat en médiation, remis lors d’une cérémonie un peu comme celle de ce soir.

J’ai intitulé cette présentation « Pour ceux qui valorisent la Paix », avec un peu d’ironie.  Je peux soupçonner que tous, ici présents, dans la salle, valorisez la paix.  Je pourrais aussi m’avancer plus loin en disant que tous les Canadiens valorisent la paix.  La paix est un enjeu non partisan.  Elle est essentielle à la qualité de la vie des gens.  Les gens la désirent; ils la chantent; protestent en sa faveur; ils la cherchent. Nous pouvons être en désaccord sur la façon de la réaliser, mais nous la valorisons tous.

Cette constatation nous mène à un élément fondamental: qu’est-ce que la paix?  La question posée lève un problème.  Comme vous avez pu le constater dans la vidéo qui vient d’être présentée, il y a de nombreuses définitions et de nombreux sens au mot « paix ».  Qu’on s’en réjouisse, ou qu’on s’en attriste, le mot paix est « lourd de sens ».  Pour plusieurs le terme paix est associé à l’image de hippies et de manifestations… impliquant souvent la rage et l’anarchie, de personnes qui se donnent la main, et chantent, allumant ensemble des chandelles.  Le terme est associé à une vision souvent naïve, une belle idée sans assises réelles dans la vraie vie.

Brian Bronfman et Kendel Rust: Soirée de Graduation ICRC 2010. (Photo: inconnu)
Brian Bronfman et Kendel Rust: Soirée de Graduation ICRC 2010. (Photo: inconnu)

À quoi pensez-vous lorsque vous entendez le mot «paix»? Quelle est votre définition de la paix? Qu’est-ce que cela signifie pour vous? Est-ce que la paix a un rôle actif dans votre vie personnelle ou dans votre vie professionnelle? Pour moi, la dernière question est la plus facile à répondre. Tous ceux qui obtiennent leur diplôme du programme de « Tierce Partie Neutre » au CIRC ce soir, ont acquis des compétences utiles à créer un monde plus pacifique.  Vous allez certainement transposer les compétences acquises au long du programme de TPN à vos vies professionnelles ainsi que vos vies personnelles, si vous n’avez pas déjà commencé à le faire.

Lors de votre séjour au CIRC, vous avez débuté votre travail pour la paix.  Que vous ayez été accaparé par la médiation, la facilitation, les négociations, le dialogue structuré ou toute forme de résolution des disputes, de prévention des conflits ou d’outils de réconciliation.  Sur cette voie, vous avez senti une satisfaction….

-En aidant les autres à résoudre leurs propres conflits.

-En transmettant le pouvoir aux parties en litige, tout en contrôlant la démarche.

-En mettant en marche une démarche de transformation apportant la reconnaissance mutuelle, et en humanisant à nouveau la relation.

-En mettant l’emphase sur la justice et l’équité; dirigeant ainsi les échanges vers la satisfaction des intérêts de chacun au lieu de la lutte de pouvoir sur la rigidité des droits.

-En validant l’empathie permettant à chacun de se mettre dans la peau de l’autre, et de se soucier de son bien être.

-En appliquant vos compétences aux multiples réalités des cultures et au delà des différences.

-Et par le plaisir d’utiliser efficacement la communication non-violente comme outil de base pour faire émerger la compréhension- incluant l’art de la validation, l’usage approprié des questions ouvertes et, encore plus important, le développement de votre capacité d’écoute.

Pour moi les compétences et les connaissances que vous avez acquises sont les fondements de la paix– elles sont le moteur, la transmission et les assises d’une société fonctionnant sur des valeurs pacifique.  Que vous en soyez conscient ou non, votre programme de TPN vous a placé au coeur de la construction de la paix.  En appliquant les habiletés, lors de votre travail et en vous appuyant sur les fondements de ce que vous avez appris dans votre programme; vous personnaliserez ce qu’il faut, les habiletés nécessaires à la création d’une société plus pacifique et non-violente.

Et il y a de bonnes nouvelles en ce sens, vous n’êtes pas seul!  Depuis de nombreuses années des personnes et des organismes communautaires se sont acharnés à promouvoir et élargir le recours à ces compétences dans la société.  Ces organisations ont longtemps travaillé dans une sorte de vacuum, en arrière plan, chacun dans leur coin à développer une niche; sans avoir la possibilité ou « le luxe » de pouvoir travailler de façon plus globale sur les questions de paix.  Je parle de « luxe », car comme vous le savez certainement, les organismes sans but lucratif luttent dans le quotidien pour assurer leur survie; ils ont peu d’opportunités pour sortir la tête et pouvoir voir la situation sur laquelle ils travaillent dans son ensemble et développer des stratégies.  C’est certainement le cas des organismes travaillant à l’émergence d’une société plus pacifique et non-violente.  Mais, cette réalité a peut-être changé; du moins, les graines de ce changement sont semées.

En 2009, j’ai eu l’opportunité de coordonner la visite du Dalaï Lama à Montréal. L’expérience a été merveilleuse et pleine de satisfaction personnelle. C’est dans le cadre de cette visite que notre groupe organisateur a développé un certain nombre de soi-disant « évènements périphériques. » Ceux-ci étaient des évènements en lien direct avec la visite du Dalaï Lama, qui étaient compatibles avec le message de Sa Sainteté, qui avait une certaine approbation de son organisation, mais qui ne faisaient pas partie des évènements officiels de la visite, et auxquels le Dalaï Lama n’était pas présent. Il y avait seulement une poignée d’entre eux, et Outils de Paix était un de ces événements.

L’idée derrière “Outils de paix” était de permettre au public de développer leurs compétences de paix, et de les appliquer de façon concrète dans leur vie.  Des organismes de paix ont été mandatés pour offrir une programmation pratique de formation touchant trois aspects de la paix: la paix en soi ( la méditation, l’appréciation du bien-être, et la tolérance), la paix avec autrui (touchant la médiation, le dialogue et la communication non-violente) et les aspects de la paix sociale (intervention non-violente en situation de conflits).  Ces catégories illustrent le genre de choix que vous aurez probablement à faire, une fois sur le marché du travail.

L’héritage de cette initiative est encore plus intéressant, les organismes chargés de préparer cette programmation il y a deux ans, se rencontrent toujours.  La dizaine d’organismes participant à l’initiative « Outils de paix », ils travaillent toujours étroitement ensemble et planchent sur de nouvelles collaborations.  Pour vous donner une meilleure idée des organismes participants, ils portent les noms suivants :

Centre de formation sociale Marie-Gérin-Lajoie, Centre de ressources sur la non-violence, Mise au jeu, Centre de services de justice réparatrice, Montreal Dialogue Group, Equitas, Initiatives et changement, Leave Out Violence (je siège sur leur comité de programmation), La Fondation pour la Tolérance (je siège sur leur conseil d’administration) et l’Institut pacifique (organisme avec lequel j’ai travaillé deux ans pour développer un programme de médiation sociale).

Plusieurs autres organisations ont été associées à Outils de Paix, y compris Brigades de paix internationales Canada, les Scouts, Katimavik, Service civil de la paix Canada, YOUCAN, les Établissements Verts Brundtland, les Maisons de l’Amitié, l’Institut interculturel de Montréal, et, bien sûr, votre propre Institut Canadien pour la Résolution des Conflits.

Ces organismes ne sont pas que de possibles opportunités d’emploi pour vous.  Cette évolution est importante car, tout comme ce fut le cas il y a quarante ans pour la cause de l’environnement, la cause de la paix est une valeur suscitant une large sympathie; mais qui bénéficie de peu de visibilité et qui a très peu d’assises dans notre société.  Lorsque des gens comme moi s’assoient et font un chèque pour une contribution charitable; ils pensent évidemment aux hôpitaux, aux organismes de lutte contre la pauvreté et aux autres grandes causes touchant leurs valeurs.  La cause environnementale n’était même pas « sur le radar » il y a quelques années.  Elle a maintenant été propulsée à l’avant plan, comme la cause no 1, raflant le plus de contributions parmi les membres du réseau Fondations philanthropiques Canada en 2009; le plus important réseau de donateurs privés au pays.

Vous constatez avec moi qu’il y a de nombreux organismes qui travaillent de façon constructive, pratique et efficace à la construction d’une société plus pacifique.  Je suis persuadé que ces initiatives resteront peu connues, et mal soutenues si elles ne travaillent pas ensemble afin de créer un impact pour être – mieux connues – mieux comprises et par le fait même mieux financées.

Ces organismes se rencontrent maintenant sur une base régulière, ils planifient un symposium en mars prochain, ils sont sur le point de développer un plan de communication commun, travaillent à la rédaction d’une offre de service commune qui sera présenté aux communautés et aux municipalités.  Le tout repose sur la complémentarité de leur travail et l’attrait des compétences de chacun.

Une telle avancée est remarquable compte tenu du fait qu’il y a quelques années seulement, ces organismes n’avaient que peu de liens, et parfois ne se connaissaient même pas.  Cette nouvelle réalité illustre leur désir de contribuer efficacement à la cause, la pertinence de leurs idéaux et leur travail à « élargir la tarte » au lieu de se « battre pour s’accaparer des mêmes morceaux. »

Dans une perspective similaire, une collaboration plus étroite est en développement parmi les donateurs.  Il y a un an et demi, j’ai créé le « Réseau québécois des donateurs pour la paix » afin de stimuler le développement de la paix auprès des donateurs comme un domaine de contribution valable.  Ainsi, nous sommes présentement sept fondations privées qui croient que la paix –  dans sa version la plus concrète, positive et pratique – représente un champ important de contribution.  Cette vision inclus des personnes comme vous, des professionnels formés et dont les compétences vont inévitablement contribuer de façon constructive au mieux-être de notre société. Le RQDP s’intéresse particulièrement aux initiatives citoyennes, nous croyons que les interventions les plus significatives pour la paix émergeront de la société civile, se développant de la base vers le sommet plutôt que l’inverse.

Le Réseau québécois des donateurs pour la paix se concentre présentement sur le Québec. Nous savons pourtant tous que ce n’est qu’un début, les outils et les approches en cours, pilotées entre autres par les organismes d’Outils de paix, sont transférables à tous les milieux de vie et sont adaptables à toutes les sociétés. C’est pourquoi le Réseau des donateurs va surement élargir sa portée géographique de son action d’innovation au fil du temps.

L’objectif ultime ici est de faire de la “paix” un secteur reconnu et un investissement efficace pour les philanthropes.  Je crois personnellement, et le Réseau québécois des donateurs pour la paix croit, qu’il y a un important besoin pour une meilleure reconnaissance des approches concrètes et pratiques de transformation pilotées par les organismes énumérés précédemment.  Au cours de cette formation de 160 heures vous avez acquis les bases essentielles pour une mise en application concrète des compétences pratiques pour la paix, bases qui nous permettront d’atteindre notre but.

Tel que souligné lors de la plus récente conférence de la “Fondation pour l’innovation sociale”, la collaboration dans l’action sociale est critique.  Nous tentons de mettre cette observation en partique à de multiples niveaux – entre les organismes, entre les donateurs et bien sûr, entre les donateurs et les organismes.  Évidemment, nous constatons qu’il y a un long chemin à parcourir, mais nous croyons sincèrement avoir le bon point de départ, et nous croyons aussi être dans la bonne direction.

Revenons maintenant à la première question de cette présentation, nous sommes peut-être en meilleure position pour comprendre la véritable signification du mot « Paix ».  Pour moi, la paix signifie l’équilibre et l’harmonie, que ce soit dans la société en son tout, dans notre entourage immédiat, ou en nous.  Nous savons qu’il a des moyens et des outils concrets pour la réaliser.  Ces moyens utilisent, à la base, les connaissances et compétences que vous avez acquises lors de votre séjour au CIRC.

Il est intéressant de constater que, il y a un ou deux ans, très peu des organismes du réseau Outils de Paix se présentaient comme des « groupes de paix».  Maintenant, lorsqu’ils ont la possibilité de travailler ensemble, et de réfléchir sur ce qu’ils font et comment ils contribuent à la société, leurs perceptions sont en train de changer;  la non-violence et la paix sont au cœur de leur réflexion. En fait, bon nombre d’organisations dont le nom comprend le mot «paix» sont exclus du réseau Outils de Paix, parce qu’ils se concentrent sur le lobbying ou sur des évènements de sensibilisation populaire symboliques, sans implication concrètes.

Pour être franc, je n’avais pas véritablement pensé aux enjeux de paix lors de ma formation en médiation au collège Woodbury.  Il est possible que ce soit aussi le cas pour vous.  Le travail pour la paix auquel je contribue présentement, et la perspective que je porte, ont émergés lors de mes implications auprès d’organismes citoyens, mon implication professionnelle comme médiateur, l’implication dans des conseils d’administration et l’opération de ma fondation philanthropique familiale.  Je dois, bien entendu, souligner mon travail pour la venus du Dalai Lama à Montréal, suivi d’une Soirée pour la paix qui a regroupé plus de 200 personnes pour laquelle la vidéo que vous avez vu a été créé.

Sur cette voie, j’ai rencontré des personnes brillantes, des personnes engagées qui ont choisis de faire une différence pour faire de ce monde, un monde meilleur et plus pacifique.  Vous êtes maintenant parmi eux.  Suite à votre séjour au CICR, vous êtes prêt à partir et faire de notre monde, une société plus équilibrée, harmonieuse et non-violente.

Nous valorisons tous la paix.  Et je veux réaffirmer que je reconnais la valeur de la formation que vous avez suivi, et le travail que vous ferez.

Merci

Brian Bronfman