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Vulnérabilité des dirigeants, la révolte égyptienne

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Le renversement du régime Moubarak restera un exemple historique de la fragilité du pouvoir politique.  En 18 jours, dans le cadre de manifestations massives impliquant à plusieurs reprises des millions de personnes et ne créant que peu de victime, le peuple a montré la porte à la dictature.

Mohammed Hosni Moubarak, président égyptien de 1981 à 2011. (Photo: CC)
Mohammed Hosni Moubarak, président égyptien de 1981 à 2011. (Photo: CC)

C’est un fait reconnu, mais trop souvent oublié: le pouvoir politique est fragile. Contre toutes attentes, le régime Moubarak est tombé en 18 jours.  Les conséquences d’un tel fait sont pourtant énormes.  Le pouvoir du dirigeant politique ne vient pas de lui.  Personne ne possède de pouvoir absolu.  Le pouvoir est cédé aux dirigeants par la population, et la population Égyptienne a retiré son consentement, le dirigeant est tombé, et son régime militaire est fortement ébranlé. 

Les personnes qui décident en démocratie d’élire le dirigeant lui offre le pouvoir, d’autres s’y accommode ou le cède pour ceux qui s’y résignent.  Dans une dictature comme c’était le cas au Caire, ce n’est pas une majorité qui lui offre ce pouvoir mais une minorité, une majorité se voit contrainte à s’y accommoder ou de s’y résigner.  En situation normale seule une faible proportion résiste au pouvoir dans le quotidien.

« Il semble exister deux visions sur la forme que prend le pouvoir.  Une perçoit les gens comme dépendant de la bonne volonté, des décisions et du support de leurs gouvernements ou de toutes les autres structures hiérarchiques à laquelle ils appartiennent.  Mais à l’opposé, on peut percevoir le gouvernement comme dépendant de la volonté, des décisions et du support des gens.  On peut aussi percevoir le pouvoir du gouvernement comme transmis et sous le contrôle des quelques individus au sommet de la pyramide.  Mais on peut aussi percevoir le pouvoir de tout gouvernement comme généré de façon continuelle par les différentes composantes de la société.  On perçoit souvent le pouvoir comme perpétuel, durable et difficile à déloger, à contrôler ou à détruire.  Mais il peut être aussi perçu comme fragile, toujours dépendant dans ses fondement de la capacité des dirigeants de nourrir les diverses sources de coopération provenant d’une multitude d’individus, de regroupements et d’associations qui peuvent choisir soit de continuer ou de cesser leur collaboration »[1]

L’analyse sur l’effet du soulèvement populaire non-violent de la population en Égypte, et de l’efficacité de l’action non-violente trouve son sens dans la seconde vision: celle voulant que le pouvoir des dirigeants repose sur la collaboration des gens, que ce pouvoir dépend du pluralisme de ses sources et qu’il est fragile car le renouvellement constant de l’appui de ses sources est une tâche extrêmement complexe.  Le pouvoir de Moubarak s’est disloqué par la mobilisation massive des masses, la perte de l’appui de l’armée et des puissances occidentales qui ont vu le contrôle du canal de Suez menacé.

La première vision, celle qui affirme que les gens sont dépendants des gouvernements, que le pouvoir politique est monolithique, qu’il provient de quelques hommes et qu’il est durable et se perpétue de façon autonome semble à la base d’une grande part des actes de violence politique.  Cette vision qui a justifié le recours à la guérilla armée pendant des décennies démontre, au fil des ans, que ses assises sont erronées.

Le pouvoir politique peut être défini comme la totalité de toutes les influences et pressions incluant les sanctions (ou punitions) disponibles, aux autorités afin de déterminer des politiques et de les mettre en application.  Le pouvoir politique, dans une société, se répartit entre les gouvernements, les régions, les institutions, les mouvements d’opposition et d’autres groupes de pression.  On peut mesurer le pouvoir politique en déterminant la capacité qu’ont les détenteurs de ce pouvoir de l’appliquer pour contrôler une situation politique, une population, et certaines institutions afin d’atteindre leurs objectifs.  Lorsqu’une population se soulève, et qu’elle a dorénavant les moyens de le faire avec une efficacité redoutable grâce aux technologies de l’information, l’effondrement des assises sur lesquelles repose la capacité d’agir des dirigeants est fulgurant.

Le 01/02/2011, la « marche du million » a largement dépassé son objectif, plus de deux millions de personnes ont manifesté le 1er février au Caire place Tahrir pour réclamer le départ du président Hosni Moubarak selon Al Jazeera. Débordant sur les rues alentours et les ponts, la foule est restée sur place du matin au soir. Un million de manifestants était dénombré à Alexandrie. En tout, toujours selon Al Jazeera, plus de 8 millions de personnes ont manifesté dans toute l’Égypte, avec comme principaux cortèges Suez, Le Caire, Alexandrie et Mansoura. La journée a donc été une vraie réussite pour les détracteurs de Moubarak qui visaient 1 million de manifestants au Caire, la journée s’est aussi très bien déroulée avec très peu voire aucun débordement et violences.

La marche du million, février 2011. (Photo: inconnu)
La marche du million, février 2011. (Photo: inconnu)

Le pouvoir politique vient de l’extérieur, il est donné aux dirigeants par les acteurs de l’État.  Sans toutes les infrastructures militaires, policières, législatives, économiques et administratives; les détenteurs du pouvoir n’ont pas capacité physique d’exercer ce pouvoir.  Le pouvoir politique leur est donc acquis par la coopération et l’obéissance des populations, des organismes et des diverses agences qui composent une société.  Lorsque la population décide de retirer sa collaboration, de paralyser les rouages du système; le pouvoir est impuissant.

Il faut aussi considérer que toutes ces sources de pouvoir ne sont pas automatiquement à la disposition des dirigeants politiques.  Une dictature comme celle de Moubarak les acquièrent progressivement en maniant la « carotte et le bâton ».  Le régime opprime les opposants et met en place des initiatives susceptibles de gagner la confiance et la coopération des personnes.  La population est soumise, on lui impose les volontés des dirigeants et une collaboration par des actes de violence et d’intimidation.  Il soutire donc l’obéissance volontaire ou involontaire des entités qui composent cet agrégat de pouvoir politique et social.  Comme c’était le cas en Égypte, il y a souvent un gouffre intergénérationnel dans ces dynamiques de pouvoir.  Les dirigeants qui se sont hissés au sommet de la pyramide sociale, économique et politique visent à maintenir les privilèges acquis; et les générations montantes souvent beaucoup plus jeunes veulent se tailler une place.  Plus le régime se perpétue, plus cet écart s’accroît, ce qui explique bien la mobilisation de la jeunesse arabe dans les révoltes populaires qui émergent.

La structure démographique joue aussi beaucoup dans le déclenchement des manifestations. La population égyptienne est très jeune : il y a ainsi plus de 50 % de moins de 25 ans, dont 20,2 % entre 15 et 24 ans. Les diplômés du supérieur représentent 28 % de cette classe d’âge. Ces jeunes sont particulièrement à même de critiquer l’accaparement des richesses du pays et la corruption des classes dirigeantes (indice de 3,1 selon Transparency international), alors même que la place de l’État, autrefois protecteur, n’a cessé de reculer lors des ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque mondiale; il n’existe ainsi aucune allocation chômage.

Militaires et manifestants, place Tahrir, 29 janvier 2011. (Photo: CC)
Militaires et manifestants, place Tahrir, 29 janvier 2011. (Photo: CC)

Souvent, comme c’est le cas dans les soulèvements dans le «Monde arabe», le retrait ou une diminution de la coopération des populations est étroitement lié à la condition d’extrême précarité dans la vie quotidienne d’une frange importante de la population.  Des masses de citoyens n’ont plus grand-chose à perdre, et agissent pour déstabiliser le pouvoir.  Cette non-coopération au Caire a pris la forme d’une résistance ouverte, puis d’une véritable grève générale improvisée, et, de ces éléments déclencheurs, les manifestations massives qui ont émergées comme on l’a vu sur la Place Tahir au Caire.  La disponibilité des ressources qui composent le pouvoir fut ainsi réduite, neutralisée par les citoyens.  Le gouvernement illégitime ne peu plus raffiner les techniques de contrôle des populations qui repose sur d’imposantes infrastructures administratives, législatives et coercitives.  Souvent avec l’ampleur des manifestations, les forces de l’ordre sont hantées par la peur.  Le régime doit mobiliser tout les moyens possibles: propagande, répression et surveillance contre les manifestants, et parfois ses propres agents afin de mettre à l’épreuve leur allégeance. 

Voulant éviter la jonction des différents cortèges, la police, déployée en masse, intervient rapidement contre la foule à coups de lance à eau, de gaz lacrymogènes et de tirs de balles en caoutchouc, tuant une femme et faisant des dizaines de blessés. Mais la foule déborde progressivement les forces de l’ordre. À Suez et à El Mansoura, des manifestants débordent la police et prennent le contrôle de plusieurs commissariats. À Ismaïlia, Damiette et El Mansoura le siège du parti d’Hosni Moubarak est saccagé par les manifestants. À Alexandrie, les correspondants de Al Jazeera rapportent des scènes de fraternisation entre policiers et protestataires: les forces de police n’interviennent plus, tandis que dans plusieurs villes des manifestants brûlent des véhicules blindés, prennent d’assaut des bureaux officiels (à Tanta, Alexandrie), et prennent position devant des bâtiments du gouvernement (à Dahaqliya).

Les moyens non-violents de lutte peuvent agir d’une façon directe ou indirecte. Ils ont l’effet d’un agent de corrosion pour le pouvoir en place.  La perspective d’avoir à utiliser la force sur d’immenses foules qui peuvent être composées de proches hante littéralement les agents du pouvoir.  La neutralisation des médias et le contrôle des associations civiles utilisés par les opposants sont généralement les premiers gestes d’éclat des autorités.

Les journalistes étrangers sont ciblés: ainsi, quatre journalistes français sont brièvement arrêtés par la police égyptienne, des journalistes de CNN voient leur matériel détruit par la police, un journaliste de la BBC est matraqué et d’autres sont arrêtés, etc. ;

Les cyberdissidents sont ciblés : le cas le plus connu est celui de Wael Ghonim, qui administre la page Facebook Nous sommes tous des Khaled Saïd et qui a lancé la manifestation du 25 janvier.

Le 27 janvier, la Fédération générale des syndicats, organisation ouvrière unique en Égypte, indique qu’elle tentera de limiter l’extension du mouvement social. En réaction, une Fédération indépendante des syndicats d’Égypte se crée le 30 janvier, en concurrente de l’organisation officielle, et organise un Comité constituant. Ses revendications sont le droit au travail, un salaire minimal de 1200 livres, une protection sociale, les droits à l’éducation, au logement, à la santé, la liberté syndicale et la libération des prisonniers politiques. Le gouvernement égyptien tente de contrôler les médias mais les manifestations se multiplient dans les jours suivants.

Le 30 janvier, le ministère de l’information annonce l’interdiction de la chaîne internationale satellitaire qatarie Al Jazeera, la suspension de l’accréditation de ses journalistes et la fermeture de ses bureaux.

Manifestants dans les rues de Gizeh, 25 janvier 2011. (Photo: CC)
Manifestants dans les rues de Gizeh, 25 janvier 2011. (Photo: CC)

Ces gestes de censure ont souvent l’effet de cristalliser la révolte, et ce fut effectivement le cas au Caire.  La réaction des dirigeants n’a pas tardé.  L’expérience des conflits politiques indique qu’un large éventail de moyens sont utilisés pour décourager les populations dans leur lutte.  Les menaces, les enlèvements, le harcèlement psychologique, la provocation, l’intimidation, la brutalité policière, les exécutions et la torture sont souvent des réalités incontournables de la lutte.  On a vu avec l’intervention des hommes de main de Moubarak, l’échec retentissant d’une provocation à dos de dromadaires et à coup de cocktails Molotov contre une foule désarmée.  Tous les outils semblent bons pour décourager la résistance.  Plus les moyens sont radicaux, plus on constate la situation désespérée du pouvoir.

Le mercredi 2 février, neuvième jour de contestation, de violents affrontements entre opposants et partisans du régime éclatent sur la place Tahrir au Caire. Montés sur des chevaux et des dromadaires, les partisans de Moubarak chargent la foule, mais sont bien vite encerclés et désarçonnés par les manifestants. L’armée ne prend pas position et se contente de séparer les adversaires par des tirs de sommation. Les affrontements continuent même après le début du couvre-feu. Des cocktails Molotov atterrissent dans la cour du Musée du Caire notamment.

De nombreux manifestants affirment que les pro-Moubarak sont des policiers en civil de la police secrète (les Moukhabarat) et des hommes payés par le gouvernement pour manifester en sa faveur, ce que celui-ci dément. Beaucoup de journalistes se plaignent de violences commises envers eux, notamment par les partisans du président.

Répression policière, 2 février 2011. (Photo: inconnu)
Répression policière, 2 février 2011. (Photo: inconnu)

La détermination des gens n’exempte pas de la répression. Parfois la révolte populaire non-violente se déroule sur quelques jours, dans d’autres circonstances elle progresse sur des mois et des années.  Souvent les masses doivent se retirer d’une position de confrontation afin de diversifier les stratégies.  Le défi de la lutte politique est de restreindre l’accès qu’ont les dirigeants aux sources de pouvoir, de nuire au fonctionnement normal des rouages qui servent à appliquer ce pouvoir, de dérouter les actions prises par les dirigeants afin de générer la confusion ou de paralyser leur pouvoir. 

Les 8 et 9 février, des grèves continuent dans tous les secteurs : industrie gazière et textile, services privés de sécurité de l’aéroport du Caire, dans la région du canal de Suez, dans certains secteurs de la fonction publique (malgré les 15 % d’augmentation accordés aux fonctionnaires). Ces grèves sont accompagnées de manifestations : la répression de celle d’Al-Kharga fait au moins trois morts et 100 blessés, par la suite plusieurs bâtiments officiels sont incendiés, et le Parlement au Caire est encerclé mercredi 9 janvier, contraignant à réunir le conseil des ministres en un autre lieu. En réaction, le gouvernement alarme sur les risques de chaos, et joue sur le pourrissement de la situation.

Les journalistes des médias publics, qui ont démissionné par dizaines depuis le 25 janvier, ne sont plus soumis à la censure à partir du 9 février et commencent à relayer voire à partager les revendications des manifestants. Les grèves continuent de s’étendre : le 10, ce sont les employés des chemins de fer qui se mettent en grève et bloquent les voies ferrées ; le siège du gouverneur Port-Saïd est incendié le 9, celui de la police le 10 ; certains des 24 000 employés d’une usine textile de Mahallah se sont mis en grève, ainsi que 3000 employés de l’hôpital Qasr al-Aini, au Caire. Le mouvement de négociations entamé par le gouvernement est fragilisé par le retrait de ce processus du Tagammou, parti de la gauche légale[90].

Barrage de chars M1 de l'armée égyptienne le 4 février 2011. (Photo: CC)
Barrage de chars M1 de l’armée égyptienne le 4 février 2011. (Photo: CC)

La variété des moyens de pressions appliqués par la population est impressionnante et touchent tous les secteurs critique du fonctionnement de l’État.  Comme la plante sans eau ni matière organique; le pouvoir des dirigeants se fanera, se dessèchera et mourra faute de ressources. 

Le 11 février, l’armée annonce au matin qu’elle s’assurera de la tenue d’élections libres. Dans l’après-midi, il est fait état que la famille du président Moubarak et lui-même ont quitté le Caire pour sa résidence de Charm el-Cheikh près de la mer Rouge. En fin d’après-midi, le vice-président Omar Souleiman annonce officiellement que le Président égyptien renonce à l’exercice de ses fonctions : le pouvoir est transféré à l’armée. Hosni Moubarak accède ainsi à la revendication-clé des manifestants de la place Tahrir. L’armée a indiqué que Farouk Sultan occuperait un rôle dans le gouvernement intérimaire.

On a pu observer un tel processus de façon exemplaire avec le mouvement Solidarnosc en Pologne au cours des années 1980.  Malgré l’absence totale de moyens de communication numériques, les militants ont réussi à coordonner l’application de multiples séquences de mobilisation pour déstabiliser les diverses composantes du pouvoir.  Le syndicat indépendant, très bien structuré était passé maître en la matière.

« Une minorité ne peut rien tant qu’elle se conforme à la majorité; ce n’est même pas alors une minorité.  Mais elle est irrésistible lorsqu’elle fait obstruction de tout son poids.  S’il n’est d’autre alternative que celle-ci: garder tous les justes en prison ou bien abandonner la guerre et l’esclavage, l’État n’hésitera pas à choisir.  Si un millier d’hommes devaient s’abstenir de payer leurs impôts cette année, ce ne serait pas une initiative aussi brutale et sanglante que celle qui consisterait à les régler, et à permettre ainsi à l’État de commettre des violences et de verser le sang innocent.  Ceci définit, en fait une révolution pacifique, dans la mesure où pareille chose est possible. »[i]

L’Emprise du pouvoir:

Guerre des six jours: l'armée israélienne procède à l'alignement des prisonniers égyptiens. (Photo: domaine public)
Guerre des six jours: l’armée israélienne procède à l’alignement des prisonniers égyptiens. (Photo: domaine public)

La légitimité ou l’apparence de légitimité que le pouvoir détient varie d’un État à l’autre, c’est un facteur qui détermine le niveau de difficulté auquel fera face la lutte d’une population.  Plus le pouvoir est corrompu et répressif, plus il est fragile; les failles utilisables pour fomenter la rébellion sont nombreuses.  C’est pour cette raison que souvent, ces régimes oppressant dépendent d’une puissance extérieure pour maintenir le pouvoir. 

L’Égypte est en état d’urgence depuis 1967 (guerre des six jours) à l’exception d’une courte période de dix-huit mois au début des années 1980. Sous ce régime, la police bénéficie de pouvoirs particuliers renforcés, débouchant sur des abus, de la violence policière à la torture. Le cas de Khaled Mohamed Saïd, qui aurait été battu à mort par la police égyptienne en juin 2010 a particulièrement marqué la population du pays. Enfin, l’état d’urgence suspend les droits constitutionnels et autorise la censure. En plus de la violence de la police, la corruption gangrène le pays.

La vulnérabilité de la dictature de Moubarak ne faisait donc aucun doute.  Les détenteurs du pouvoir connaissent souvent leur vulnérabilité.  L’économie du pays est particulièrement fragile et dépend en grande partie de la communauté internationale, surtout des États-Unis.

Plus de 40 % de la population soit environ 32 millions d’Égyptiens vivent avec moins de 2 dollars par jour. Et la croissance rapide de la démographie accentue les difficultés. En 1981, à la prise de pouvoir de Moubarak, le pays comptait 40 millions d’habitants, en 2010, c’est le plus peuplé des pays arabes avec plus de 80 millions de d’habitants. L’Égypte est ainsi le plus grand importateur de blé de la planète. L’Égypte n’est pas aussi riche en ressources pétrolières que d’autres pays arabes, et ses tentatives de diversification dans l’industrie (textile) obtiennent un succès limité. En conséquence, les exportations ne couvrent pas la moitié de la valeur des importations. La comparaison avec la Turquie, pays musulman qui a réussi sa démocratisation et son décollage économique, est très au désavantage de l’Égypte, ce qui augmente le sentiment de frustration.

Le pays compte donc encore beaucoup sur ses quatre rentes :

les inondations du Nil pour l’agriculture ;

le tourisme ;

le canal de Suez (3,6 milliards annuels) ;

et l’aide américaine (1,2 milliards annuels, en baisse ces dernières années).

La déstabilisation d’une telle structure autoritaire, soutenue de l’étranger représente parfois un véritable défi pour les stratèges de la lutte non-violente.  Dans ces circonstances, il faudra que la stratégie d’action et le choix des moyens de lutte soient adéquats afin d’éviter les confrontations qui pourraient attiser le réflexe de peur tant chez l’oppresseur, que parmi les troupes non-violentes. Les irruptions de violence sont souvent initiées par des pertes de contrôle déclenchées par la peur. 

Manifestants sur la place Galae, Le Caire, 28 janvier 2011. (Photo: CC)
Manifestants sur la place Galae, Le Caire, 28 janvier 2011. (Photo: CC)

Des actions de nuisance, discrètes mais continues, sur des cibles vulnérables seront privilégiées au début: face à un pouvoir extrêmement répressif.  Nombreuses sont les luttes populaires ayant fait face à une telle conjoncture, la lutte populaire contre le régimes Marcos aux Phillipines, la lutte des populations contre de nombreux dictateurs militaires latino américains au cours des années 90, et la chute des régimes soviétiques socialistes dans les années 90 pour n’en nommer que quelques uns.  Et que dire du défi populaire qu’a représenté la légendaire lutte au régime d’apartheid en Afrique du Sud soutenu par le système économique occidental; seul le boycott international des avoirs du pays ont pu déstabiliser le pouvoir oppresseur blanc. 

Ce genre de dilemme tactique ne semble pas avoir influé de façon importante sur la lutte populaire en Égypte qui a immédiatement débuté par des actions publiques de désobéissance civile. Dans le cas du rais égyptien, le pouvoir semble avoir été perçu comme suffisamment vulnérable et fragile, pour justifier essentiellement des actions non-violentes directes, massives et publiques afin de faire ressortir la perception réelle du régime par la population et de générer la désaffectation des divers acteurs dans le conflit.  La présence de contextes particuliers affectent souvent le déroulement des luttes populaires (conflit majeur en cours, jeux de pouvoirs internationaux, répression sauvage, tradition religieuse d’obéissance et de soumission etc.) sont autant d’éléments qui détermineront l’emprise du pouvoir sur les populations.  Dans le cas de l’Égypte, deux contraintes importantes ont affectés le rythme du dénouement du conflit; l’importance stratégique du canal de Suez et le lien particulier du régime avec l’État d’Israël. Un gouvernement républicain au pouvoir en sol américain aurait-il changé la dynamique?

Deux autres éléments importants sont à considérer dans l’analyse de l’émergence du mouvement de révolte populaire non-violent en Égypte.  L’état de vie précaire de la jeunesse, et l’étendu de la pénétration des outils portable de communication numérique.  Les masses de jeunes sans espoir n’avaient rien à perdre dans la révolte; et tout à gagner à poursuivre la lutte.  De plus ils bénéficiaient d’outils de communication et de réseautage puissant, instantanés qui permettait d’être parfaitement au courant des événements qui se déroulaient lors des mobilisations et des confrontations.

La structure démographique joue aussi beaucoup dans le déclenchement des manifestations. La population égyptienne est très jeune : il y a ainsi plus de 50 % de moins de 25 ans, dont 20,2 % entre 15 et 24 ans. Les diplômés du supérieur représentent 28 % de cette classe d’âge. Ces jeunes sont particulièrement à même de critiquer l’accaparement des richesses du pays et la corruption des classes dirigeantes (indice de 3,1 selon Transparency international), alors même que la place de l’État, autrefois protecteur, n’a cessé de reculer lors des ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque mondiale; il n’existe ainsi aucune allocation chômage.

Le pouvoir des dirigeants repose sur un nombre de personnes et d’institutions qui lui obéissent et coopèrent.  Toute la bureaucratie gouvernementale, du simple commis aux opérateurs de systèmes informatiques, des députés aux législateurs, des forces policières aux structures militaires, ainsi que de larges tranches de la population composent les fondements du pouvoir politique.  Toutes ces composantes fournissent des compétences essentielles à l’exercice du pouvoir des dirigeants.  

Nous savons tous maintenant que le pouvoir derrière le système politique égyptien, c’est l’armée et elle a joué un rôle d’arrière plan, mais centrale dans la lutte de pouvoir avec le peuple.   Cette réalité est probablement le plus grand défi auquel la population aura à faire face pour s’assurer du succès de cette révolte populaire non-violente pour en faire une véritable révolution non-violente. 

L’armée égyptienne joue un rôle politique de premier plan dans le pays, puisque tous les présidents depuis 1952 sont des militaires, de même que les principaux ministres. En principe l’armée est fidèle au président en place, mais les militaires ne sont pas favorables à une succession dynastique des Moubarak. Les militaires sont aussi historiquement hostiles aux islamistes.

Le maintien de la pression populaire dans le temps reste le plus imposant défi à relever pour faire de ce mode de transformation politique un véritable outil efficace.  Une bonne façon de jauger les possibilités de succès de la révolution sur le long terme est de comprendre les forces agissant sur la politique, et le niveau de contrôle des ces forces par ce qui reste de l’État.  Il est inquiétant de savoir que l’armée joue un important rôle à chacun de ces niveaux.

Les compétences et connaissances:   Le pouvoir repose sur des institutions et des individus ayant des compétences et qualifications particulières et qui acceptent de collaborer.  Ils peuvent dans certains cas être contraints à collaborer par la peur.  Dans la situation Égyptienne, l’armée a ses propres leviers partout dans la société.  Heureusement, la force de la lutte non-violente se situe dans la flexibilité de ses armes.  Des moyens d’action non-violents existent pour tous les niveaux d’engagement désirés.  Le subtil passage d’un aimant sur le disque magnétique contenant les listes de militants politiquement indésirables, peut être tout aussi efficace pour déstabiliser une autorité illégitime que l’organisation d’une désobéissance civile massive.  Plus l’infrastructure gouvernementale est importante et centralisée, plus elle dépend de services qui lui sont offerts par des firmes extérieures ayant une expertise spécifique, plus elle est vulnérable.  La structure hyper hiérarchisée de l’armée et ses multiples ramifications prêtant flanc à l’action militante pourrait devenir sa plus grande vulnérabilité.

Les ressources matérielles:   Le degré de contrôle actuel qu’a le pouvoir militaire sur les ressources matérielles et financières, et sur les ressources naturelles essentielles aux populations est un autre aspect fondamental de l’analyse des dynamiques de pouvoir.  A des fins de chantage contre la lutte non-violente, le gouvernement militaire pourrait créer des pénuries.  Le contrôle de divers secteurs clef de production fournissant des biens de consommation névralgiques pour le peuple; entre autre les systèmes de communication, de transport, d’approvisionnement énergétique etc.. sont des indicateurs du niveau de pouvoir des dirigeants.  Ce sont autant de secteurs qui font parti de l’analyse et de la planification de la lutte d’un peuple pour obtenir un contrôle citoyen sur sa destinée politique.

La capacité d’appliquer des sanctions:   L’éventail des moyens de répression dont disposent les dirigeants est un indicateur du pouvoir réel qu’ils possèdent.  Les dynamiques de pouvoir dans le pays se font dorénavant entre le peuple et l’armée qui possède tous les moyens de recours à la force. Il faut par contre reconnaître qu’il n’est pas suffisant de posséder des moyens de répression, il faut que les dirigeants puissent les utiliser à leur avantage. A maintes reprises, des dirigeants se sont complètement discrédités, face à leur population et face au monde en abusant du pouvoir de coercition.  La population a aussi dorénavant, la force des technologies numériques de l’information à son service.  De fait, la force est une épée à double tranchant.  L’épée, utilisée contre l’épée dans un duel, peut couper un membre.  Elle ne peut, par contre, rien face à l’intelligence collective.  L’armée ne peut garder un militaire derrière chaque citoyen, ou emprisonner toute une population pour refus de coopérer, insubordination ou sabotage des opérations gouvernementales.

Toutes ces composantes du pouvoir politique sont présentes dans les sociétés, mais bien peu de dirigeants exercent sur eux un contrôle absolu.  La durée de vie du régime ou d’un dirigeant repose directement sur sa capacité de garder le contrôle et à son libre accès à ces sources de pouvoir.

Retrait du consentement

La victoire égyptienne, 18 février 2011. (Photo: inconnu)
La victoire égyptienne, 18 février 2011. (Photo: inconnu)

Il serait surprenant que la population Égyptienne obtienne gain de cause au niveau de toutes ses revendications seulement par les manifestations.  Les racines du pouvoir militaires sont profondément ancrées dans les systèmes politiques de l’État.  Il faudra probablement qu’une part considérable des personnes responsables de diverses fonctions critiques se désiste.  Le peuple Égyptien devra étudier les faiblesses du système et voir à ce que les personnes clé retirent leur consentement à agir et refusent de coopérer, convaincre certain de nuire au bon fonctionnement du système ou à feindre seulement de vaquer à leurs tâches.  Le contexte de la lutte laisse croire qu’on entame simplement un long processus d’érosion du pouvoir, lequel s’accélèrera au rythme où les autres personnes détenant les fonctions appropriées emboîteront le pas.  La désintégration du pouvoir peut être très lente ou très rapide.  Les gouvernements savent pertinemment que l’ennemi politique commence à être réellement dangereux lorsqu’il devient évident aux yeux des masses qu’il a raison.

Une plus grande compréhension des mécanismes de la lutte non-violente, et le raffinement des moyens d’action pour déstabiliser un pouvoir politique sont les éléments-clés de l’efficacité d’une action populaire.  Pour qu’une révolte telle que celle que nous avons vue dans les rues du Caire, se transforme en véritable révolution, le recours à tout un arsenal de moyens de lutte pourrait s’avérer indispensable.

L’usage de la répression par le pouvoir.

Face à un tel défi à leur autorité, les dirigeants ne restent jamais impassibles.  La révolte non-violente a rapidement perçue comme une menace sérieuse.  L’armée Égyptienne a maintenant pliée et laissé partir son homme fort, le président Moubarak.  La mise en oeuvre d’une campagne de persuasion et le raffinement des moyens contrôle des masses deviendront rapidement des priorités absolues pour les militaires. 

Les déclarations susceptibles d’apaiser les masses, la dénonciation et le dénigrement de l’attitude des résistants, la mise en oeuvre d’actes de violence imputés au mouvement non-violent, la provocation, les menaces et les arrestations symboliques seront au nombre des tactiques inévitablement utilisées.   Les gens qui contrôlent toujours les lieux de pouvoir ne cèderont pas leurs acquis, pouvoir et richesse, facilement.

Répression policière au Caire, janvier 2011. (Photo: inconnu)
Répression policière au Caire, janvier 2011. (Photo: inconnu)

Lorsqu’un pouvoir se sent réellement ébranlé, il a souvent tendance à utiliser, les agressions physiques, les arrestations, la torture et les exécutions.  Ces moyens servent à dissuader les résistants ou à installer une atmosphère de terreur qui démobilisera, en paralysant les résistants les moins déterminés.  Un élément important restreint par contre l’utilisation de la violence par les dirigeants, le fait que la création de martyres nourrisse très souvent la résistance à long terme.  Ce que ces dirigeants ne comprennent souvent pas, c’est que la peur a besoin d’un terrain fertile pour s’enraciner; une population isolée, démunie et privée d’informations par exemple.  Par contre, une population qui possède un leadership, qui croit en la justesse de sa cause et aux moyens utilisés pour la défendre, à laquelle on fournit des moyens d’actions appropriés, et qui a bénéficié d’une formation adéquate a peu de chance d’être neutralisé par la peur.  La discipline et le niveau d’autocontrôle des résistants doivent être à toutes épreuves. 

L’existence de la chaîne de télévision Al Jaseera que ne contrôlent plus les États totalitaires, les nouveaux médias numériques d’information et l’étendue des outils de communication portables constituent d’incroyables outils qui accroissent l’efficacité de l’action populaire.  Les dirigeants auront beau vouloir utiliser des agents provocateurs qui tenteront de discréditer la résistance, l’information circulera.  Un grand nombre de moyens de répression deviennent extrêmement périlleux à utiliser.  La formation à l’action non-violente, et la notion d’action sur la base de groupes d’affinité qui ont été développé afin de pallier à ces problèmes, perdent leur statut de nécessité. 

Dans les premiers mois, une importante portion de la population sera intimidée par les actions des dirigeants, beaucoup d’entre eux seront utilisés comme délateurs afin de repérer le leadership de la résistance.  La solidarité dans la résistance et la création de multiples noyaux sociaux qui se soutiennent s’avèrera, pour le peuple une façon efficace de contrer la peur et le découragement.  Le grand atout de la résistance non-violente en ce sens est le fait que très peu de moyens d’action nécessitent une couverture par le secret.  D’un autre côté, il est à se demander si la direction ou la coordination clandestine de la lutte sera utile, voir même possible avec les média actuelle.  Comment la disponibilité des informations affectera-t-elle l’efficacité de la répression?  Les média ont accéléré le processus de déstabilisation du pouvoir, aideront-ils au même titre la coordination du maintien des moyens de pression.  Une foule de moyens d’action peuvent être improvisées à la base et grâce aux moyens de communication individualisés garder tout leur impact.  La lutte pourra vraisemblablement se contenter d’un minimum de structure d’opérations clandestine et à quelques moyens de communication clandestins.

Lors d’une intensification de la répression, il est possible d’utiliser des techniques d’apparente soumission afin de ne pas attiser la confusion créée par la dynamique de violence.  Des directions multiples, consciente de l’évolution de la lutte, qui possède une expérience dans le choix des moyens non-violents appropriés pour atteindre des objectifs de lutte bien définis restent toujours des atouts important dans la lutte.  Ces directions, surtout dans des conditions de répression, doivent être continuellement branchées sur le processus de négociation. 

La population Égyptienne réalisera rapidement que la soumission temporaire d’une population, imposée par la force est une base très fragile pour des dirigeants.  Une pause dans la stratégie de lutte peut s’avérer indispensables pour laisser le temps à l’odieux des actions du pouvoir faire leur effet, et éviter d’épuiser l’ardeur des combattants non-violents.  La lutte est exigeant, et même sans actions, les images circulent rapidement et longtemps.  Lorsque la peur d’être puni ne prend pas le contrôle psychologique des résistants, une pause peut être un puissant catalyseur de la lutte.  La violence de la répression d’une lutte non-violente n’est pas pire que la répression lors d’une guerre civile.  Pas plus qu’à la guerre, la possibilité d’être blessé ou de mourir ne devrait causer la défection des résistants.  Dans le contexte du Magreb, ou le soulèvement est issu de jeunes qui se perçoivent sans avenir, la détermination devrait surmonter la peur.  Comme les militaires, les forces de résistance non-violente populaire doivent croire suffisamment en leur cause et en leur capacité de déstabiliser les agents d’oppression, et continuer la lutte malgré les dangers pour leur intégrité physique.  La violence qui s’exerce sur la lutte non-violente ne va pas à elle seule empêcher la victoire de la lutte.  Beaucoup de lutte ont démontrés que patience et longueur de temps réalisent plus que force et rage.

En situation de conflit armé malgré la discipline imposée par la force, la perspective de cours martiale et d’autres sanctions, la haute probabilité de perdre la vie; on retrouve beaucoup de militaires qui persistent dans le combat.  Souvent la simple foi en la justesse de leur cause, dans les moyens choisis et dans leurs dirigeants suffisent.  Pourquoi en serait-il autrement pour le combattant non-violent qui a beaucoup moins de chances de perdre la vie au cours de la lutte?

Les populations en luttent dans le Maghreb réaliseront que, tout comme la lutte armée, la non-violence ne garantie pas la victoire dans toutes les batailles, et une bataille ne fait pas la victoire.  Il y a des périodes d’ajustement où divers moyens sont utilisés pour sonder les points faibles et les points forts de l’adversaire.  L’important, c’est d’en arriver à apprendre de ses défaites et de ne pas commettre à nouveau la même erreur.  La lutte non-violente est pourtant le moyen le plus sûr d’en arriver à une fin en accord avec les aspirations de justice et de démocratie.  L’Histoire, comme Gene Sharp l’a si bien démontré, fourmille d’impressionnantes victoires acquises par la lutte non-violente.  S’il existait un moyen de lutte infaillible, tous l’auraient choisi et il n’y aurait plus de guerre.  Tous seraient certains de gagner.  Il faut choisir la voie du moindre mal, la lutte non-violente à ce chapitre domine tous les autres moyens.

Aussi curieuse que cette observation puisse paraître, l’omniprésence de l’armée dans la société Égyptienne pourrait s’avérer comme un atout pour les résistants.  Les arrestations, les emprisonnements, la violence physique doivent être justifiés aux yeux des groupes qui soutiennent les dirigeants.  Mais encore plus important, ces actes doivent aussi être justifiés aux yeux des forces de répression. L’injustice peut s’avérer un puissant agent de corrosion des forces de l’ordre.  Dans les cas où les militaires font face à un soulèvement basé sur les moyens de lutte non-violente, disciplinée et responsable: – modèle de lutte auquel ils ne sont pas habitué de faire face -, la répression est très difficile à justifier.  Les troupes au service du pouvoir ne peuvent plus justifier leur violence face aux résistants non-violents par l’excuse d’être en situation de légitime défense.  On a vu lors des récents soulèvements que, seulement en de très rares cas, l’intégrité physique des policiers et des militaires n’a été menacée.  Le dilemme moral pour les troupes militarisées, en ce qui a trait à l’utilisation de leurs armes, est lourd à porter.  Cette réalité n’est pas une garantie à toute épreuve pour les gens engagés dans la lutte.  A plusieurs reprises, et dans des circonstances très différentes, on a vu les forces de l’ordre agresser des foules sans armes (entre autre, au cours de la révolution russe en 1905, lors du massacre du temple d’Amritsar en Inde en 1919, sur les campus américains en 1968 et en Chine lors du soulèvement de 1989 ou en Birmanie au cours des années 1990).   Souvent ces dérapages violents ont cristallisé la lutte, et accéléré certains changements.   

Comme on a pu le constater lors de l’offensive des hommes de main de Moubarak, dans une résistance bien orchestrée, avec des troupes non-violentes déterminées, lors des manifestations publiques, les agents provocateurs sont dans l’embarras et nourrissent l’embarras des militaires.  Ils se retrouveront rapidement isolés, faute de pouvoir inciter les résistants au désordre et mettront à jour l’hypocrisie de ceux qui dirigents des opérations militaires.  La provocation est rapidement démasquée.

Place Tahrir, 18 février 2011. (Photo: inconnu)
Place Tahrir, 18 février 2011. (Photo: inconnu)

Une véritable révolution non-violente s’opère grâce à une combinaison de mécanismes.  Une généralisation du refus de se plier à l’autorité, le développement d’une sympathie chez les agents de répression et le dégoût généré par l’utilisation de la violence contre une résistance non-violente sont des résultats directs de l’utilisation de la non-violence face à une répression.  L’utilisation de la répression face à une lutte non-violente a de grandes chances d’accélérer la chute des dirigeants politiques qui l’utilisent.  Le choix de la non-violence ne s’apparente en rien à une manufacture de martyrs pour la cause.  En fait, le choix des armes serait beaucoup plus approprié en ce sens.  Le choix de la non-violence est fait par ceux qui ont un profond souci de justice, qui comprennent bien la dynamique du pouvoir politique et la psychologie humaine, qui se sont penchés sur les conséquences à long terme de la violence et qui ont le courage de prendre d’autres moyens. 

Comme le disait Georges Clémenceau, « gouverner à la pointe de la baïonnette est à la portée du premier imbécile venu », il faut y ajouter « mais ca ne fait pas un gouvernement fort ».  « La bêtise de ces puissants, c’est d’acculer les pauvres au désespoir.  Et quand le désespoir devient collectif la révolution éclate par combustion spontanée.  Parce que la force des petits, c’est de n’avoir rien à perdre. »[2]      


[1]               Traduction faite par l’auteur d’un extrait du livre: »The Politics of Nonviolent Action »  Tome 1 « Power and Struggle » de Gene Sharp.  Porter Sargent Books. Cambridge.  1973.

[2]               Les deux citations de ce paragraphe proviennent du livre de Doris Lussier, Vérités et sourires de la politique, éditions Stanké, 1988.


[i]               Ibid.